Défis du contenu et de la qualité
Il y a une cinquantaine de sketchs ndogou diffusés sur les chaines de télévision au Sénégal et sur la toile. Cela peut choquer, et il y a de quoi. Les contenus posent encore problème, malgré la campagne de sensibilisation du Cnra dont a parlé un des membres, Pape Faye. D’autres écueils peuvent être soulevés. ‘’EnQuête’’ pose le débat.
Dire que le contenu des sketchs ramadan pose problème est devenu une lapalissade. Tout le monde en est conscient. Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra) l’a dénoncé. Cette année, il a pris les devants, en publiant un communiqué dans lequel il a appelé les acteurs à la retenue. Membre du Cnra et président national de l’Association des artistes du théâtre sénégalais (Arcots), Pape Faye est d’avis que les artistes ont pris bonne note des remarques.
‘’Les artistes ont pris conscience, maintenant, qu’il leur faut changer leur manière de jouer, d’écrire les sketchs, pour ne pas heurter les Sénégalais dans leurs croyances religieuses, pour ne pas inciter les gens à une sorte de révolte, parce qu’on a eu récemment des imams, maitres coraniques qui ont occupé l’espace médiatique, en dénonçant de telles pratiques venant des comédiens. Nous avons parlé aux scénaristes, aux comédiens, aux metteurs en scène. Nous leur avons dit que nous sommes dans un pays composé majoritairement de musulmans et que le ramadan est un mois de pardon consacré à Dieu, à l’islam. Il faudrait que toutes nos dévotions soient orientées vers ces prescriptions de l’islam. Nous leur avons parlé et ils ont compris’’, dit-il.
En effet, poursuit-il, le Cnra a fait des émissions pour sensibiliser les téléspectateurs. Lui, avec sa casquette de président de l’Arcots, en a fait autant avec ses pairs. ‘’Nous avons fait ce que nous devrions faire et observons maintenant les acteurs. Jusqu’ici, à part les premiers dérapages que nous avons constatés tout au début, les gens ont rectifié le tir. Et jusqu’au moment où je vous parle, nous n’avons pas reçu de plainte’’, a-t-il déclaré.
Les télévisions diffusent jusqu’à 5 sketchs par jour
Seulement, même s’il n’y a pas de plainte, même s’il y a eu des campagnes de sensibilisation, il est regrettable de constater que les contenus ne sont toujours pas de haute facture. ''Il y a un danger dans certains sketchs. Certains n’éduquent pas. Les dérapages, ce sont les insultes’’, constate le comédien Kader Diarra dit ‘’Pichininico’’. C’est à croire que la mission menée n’a pu toucher tous les acteurs. Ce qui est bien compréhensible, vu le nombre de sketchs ndogou qui passe sur diverses chaines de télévision et sur Youtube. Il y en a une cinquantaine, sans exagérer. Il y a des chaines qui n’en diffusent pas moins de cinq.
C’est le cas de la Télévision futurs médias (Tfm) qui diffuse ‘’Ndogou Soleil Levant’’, ‘’Adja’’, Koru Bideew’’, ‘’Ndogoulen’’ et ‘’Al Khatami’’. Il en est de même presque pour toutes les autres chaines. ‘’On a dénombré une cinquantaine de sketchs. Cela me semble un peu trop. Je me demande si on n’a pas exagéré. Peut-être qu’ils ont ceux qui passent à la télé, sur les sites, etc. C’est tout cet ensemble qu’ils ont comptabilisé pour trouver un chiffre de cinquante. Mais ça m’étonnerait qu’il y ait autant de sketchs sur les chaines de télévision et les sites’’, s’interroge M. Faye, apparemment incrédule devant ce chiffre astronomique.
Et pourtant, ‘’EnQuête’’ a pris le temps de faire le calcul. C’est bien une cinquantaine de sketchs qui a été bien dénombrée. Ce n’est donc pas une surestimation. Cette production à outrance, Kader Diarra l’explique par une certaine ouverture notée dans leur métier. ‘’Tout le monde est comédien, maintenant’’, a-t-il regretté. Le comédien Ibrahima Mbaye Sopé, ancien membre du Cnra, est d’un tout autre avis. ‘’La production des sketchs ndogou est devenue un business pour les producteurs, les réalisateurs et les comédiens. Et chacun y va de sa stratégie’’, a-t-il déclaré.
Mais cela ne va pas sans conséquence. ‘’Il y a des dangers. On ne respecte pas les normes. Il y a des normes techniques, audiovisuelles, artistiques, sociales et religieuses qu’il faut respecter. Le danger est qu’on ne sait plus qui est qui. Il y en a qui sont bien, qui respectent quelque part la déontologie. Mais il y a d’autres qui arrivent, on ne sait d’où. Chacun tente de gagner quelque chose. A partir du moment où on ne sait pas qui est qui, qui monte ou qui réalise, c’est là où se trouve le danger. L’autre difficulté, c’est que les gens ne veulent pas qu’on les contrôle, à travers les chaines de télévision ; ils se tournent vers l’Internet’’, a-t-il analysé.
Production démesurée, symptomatique d’un mal-être du secteur ?
Par ailleurs, cette production démesurée serait-elle symptomatique d’un mal-être du secteur ? Le ramadan est-il le seul moment de l’année où les comédiens peuvent espérer des ristournes ? Des questions qui méritent d’être posées aujourd’hui, vu l’écosystème.
‘’En dehors de la période de ramadan, les artistes ont assez de productions, mais certaines restent dans les tiroirs, parce qu’il faut trouver une chaîne de diffusion. C’est là le problème. Et les chaines de diffusion sont très regardantes’’, indique Pape Faye. Aussi, considère-t-il, ‘’les gens sont libres de créer, parce que quand on est écrivain, scénariste, metteur en scène ou autre, on attend le mois de ramadan pour pouvoir faire preuve d’imagination, essayer de vendre. C’est un moment où les annonceurs profitent de l’instant pour rendre visible leurs produits et les faire écouler. Ce n’est pas une mauvaise chose, sauf qu’il va y avoir des qualités, des productions de qualité et d’autres, malheureusement, qui n’ont pas de valeur. L’annonceur et le public sauront apprécier’’, ajoute-t-il. Il se désole que beaucoup de productions souffrent dans les tiroirs des réalisateurs et producteurs.
Mais pour Ibrahima Mbaye Sopé, le caractère excessif de la production est un bon signe. ‘’Le fait d’avoir autant de productions prouve que les comédiens commencent à travailler et que les choses bougent. On est content qu’il y ait une production. Franchement, ça fait plaisir. Seulement, il ne faudrait pas que les gens cultivent cette politique de la quantité. Je pense que les gens devraient aller vers la qualité. Sinon, ça risque de tuer le théâtre. Je pense sincèrement que cette prolifération, si elle n’est pas maitrisée, va se répercuter sur le théâtre’’, analyse-t-il.
Il ne compte pas du tout sur le Cnra pour freiner le phénomène, car l’autorité ne vérifie, selon lui, que les contenus diffusés sur les chaines de télévision et non sur Internet. Elle ne s’intéresse à ce qui se passe sur la toile qu’en période d’élections, à l’en croire.
MIIN NË NDAKARU, COMEDIEN ‘’Comment on se partage le pactole’’ Il joue dans un sketch ndogou qui porte son nom de scène ‘’Miin Në Ndakaru’’. Seydou Kamara explique à ‘’EnQuête’’ que, contrairement aux autres, lui n’est pas producteur de la série qui passe sur la 2Stv, même si elle porte son nom. Il est sous contrat et c’est le réalisateur Brams Mbaye qui s’occupe du tournage et de la diffusion. Il est conseillé, toujours avant de signer un contrat, par un de ses amis avocats, fait-il savoir. C’est ainsi qu’au-delà du cachet qui lui est payé, il a des ristournes sur les recettes publicitaires. Ce qui fait bien son affaire. Au début, ils n’avaient qu’un sponsor. Au fil des diffusions, ils en ont trouvé deux autres. ‘’Avant, on partageait à part égale les recettes publicitaires avec tous ceux qui jouaient dans la pièce. Ce n’est plus le cas. Moi, je négocie mon contrat et un pourcentage sur les recettes publicitaires, en amont. C’est beaucoup plus bénéfique pour moi’’, avoue-t-il. Ainsi, ce qu’il gagne dépend du nombre de sponsors obtenus. L’on ne peut donc nier qu’il y a bel et bien business derrière toutes ces productions. Abdou Lahad Ndiaye alias ‘’Taan Bombé’’, comédien dans ‘’Ndogoulen’’, lui, ne peut espérer le même traitement. ‘’On travaille avec Ndiaga Ndour, c’est lui qui paie les cachets. Auparavant, on se partageait le pourcentage des sponsors. Mais maintenant, on ne le fait plus. Le montant de nos cachets reste notre seule salaire’’, avance-t-il. La situation ne le dérange pas du tout. ‘’Si on voulait produire nous-mêmes, ce serait difficile. Cette année, par exemple, on n’a pas eu de sponsors’’, avoue-t-il. ASSANE DIOUF – DIRECTEUR DES PROGRAMMES WALF TV ‘’Les critères de sélection des sketchs diffusés…’’ Huit différents sketchs dont ‘’Ndogou li’’, ‘’Kooru Indo’’ ou encore ‘’’Kooru Baye Galaye’’ sont diffusés tous les jours, depuis le début du ramadan, sur la chaine de télé privée Walfadjri. C’est le directeur des programmes et chef du desk religion, Oustaz Assane Diouf, qui le fait savoir. Des critères prévalent dans les choix. ‘’Il faut que les productions allient l’utile à l’agréable. Il faut donc une bonne dose d’humour dans les pièces, mais avec des messages utiles, une histoire cohérente. On tient compte, également, des qualités techniques, surtout au son et à l’image’’, dit-il. Parmi les huit sketches, il y en qui sont produits par le groupe Walfadjri. |
AIDA DIENE