Le casse-tête des remboursements pour les voyagistes privés
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Si certaines agences de voyages s’étaient préparées à l’éventualité de rendre les sommes déjà déboursées à leurs clients, d’autres éprouveront plus de difficultés à faire face aux dépenses déjà effectuées.
L'Arabie saoudite a annoncé, ce lundi, qu'elle organiserait un hajj "très limité" cette année, alors que le pays est toujours aux prises avec la pandémie de coronavirus. Les autorités saoudiennes ont déclaré, hier, qu'elles n'autoriseraient qu'un millier de pèlerins résidant dans le royaume à effectuer le hajj et qu’aucun visiteur étranger ne sera accepté.
Au Sénégal, où l’on s’attendait de plus en plus à cette perspective, l’on accepte avec beaucoup de piété cette décision. Même si, sur un plan purement économique, elle implique quelques soucis à venir, surtout pour certains voyagistes privés impliqués dans l’organisation de ce pilier de l’islam obligatoire pour tous les musulmans physiquement et financièrement capables de s’en acquitter.
Cette situation ne doit être comprise que comme la ‘’volonté divine’’, pour Babacar Ndiaye de Mboup Voyages. Cependant, il explique la complexité de la situation pour lui et ses collègues voyagistes. Avec l’annulation du hajj 2020 pour tous les étrangers, l’argent ayant servi aux préparatifs doit être remboursé, dans l’écrasante majorité des cas, à leurs propriétaires. Et pas moyen d’y échapper. ‘’Maintenant, nous comptons rembourser tout ce que nos clients avaient déjà donné en vue d’aller accomplir leur pèlerinage cette année. En ce qui nous concerne, cela correspond à un peu moins de 20 millions de francs CFA. Pratiquement 50 % de cette somme l’a été. Le reste devrait suivre d’ici le début du mois de juillet. Mais cela se fait sur fonds propres’’, reconnait Babacar Ndiaye.
Une logique que suit aussi El Hadj Idrissa Gaye, évoluant dans le même secteur et patron de Moubarak Voyages, qui assure que ‘’tout pèlerin ayant versé son argent au sein de Moubarak peut réclamer le remboursement de l’intégralité de cette somme. D’ailleurs, on peut dire que 80 % ont été remboursés’’.
Cependant, il note que certains clients préfèrent reporter leur argent sur l’édition de l’année prochaine.
Pourtant, au début de la pandémie, l'opération d'enrôlement des pèlerins pour le hajj 2020 avait été suspendue jusqu'à nouvel ordre. Le ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l'extérieur, Amadou Ba, l'avait fait savoir en mars, à l'occasion d'une rencontre avec l'ambassadeur du royaume d'Arabie saoudite à Dakar. Cela, après la suggestion du royaume d’Arabie saoudite de ‘’bien vouloir surseoir à tout engagement nouveau concernant l'organisation de l'édition 2020 du pèlerinage à La Mecque jusqu'à ce que la trajectoire de la Covid-19 soit claire’’.
Par la même occasion, Amadou Ba avait demandé à l'ensemble des voyagistes d’éviter d'effectuer toutes formes de dépenses relatives à l'édition 2020 du hajj.
Des dépenses qu’il fallait engager très tôt
Cependant, le coup était déjà parti, pour beaucoup de travailleurs évoluant dans ce secteur. Car, explique le patron de Mboup Voyages, ‘’nous commençons très tôt les démarches en vue du hajj. Il faut faire les procédures de réservation de billets auprès des compagnies d’aviation entre décembre et janvier. En février, nous cherchons des lieux de logement à La Mecque pour les futurs pèlerins. Et toutes ces dépenses se font avec les premiers acomptes versés par les clients. A Mboup Voyages, nous avions déjà entamé des dépenses dans les réservations d’hôtels, avant que la pandémie de Covid-19 se déclare. Au niveau local, les fonds ont été dépensés dans la publicité et la logistique d’organisation’’.
El Hadj Idrissa Gaye donne plus de détails et fait savoir que dans le privé, les versements ne se font généralement pas d’un seul coup. ‘’Nous mettons en place des mécanismes pour faciliter la tâche aux clients. Ils peuvent payer en plusieurs tranches, selon leurs possibilités’’, précise-t-il.
Toutefois, la situation peut différer selon les agences. Du côté d’Al Amine Lil Hajj wal Oumra, El Hadj Daouda Ndiaye assure avoir suivi les recommandations du ministre des Affaires étrangères. N’engageant aucun pèlerin, aucun problème par rapport aux remboursements n’y est à signaler.
Que faire alors de l’argent déjà versé aux compagnies de transport privé et aux hébergeurs saoudiens ? Pour Babacar Ndiaye, ‘’il faudra négocier avec nos partenaires établis à La Mecque afin de trouver des solutions pour reporter ces investissements pour l’édition de l’année prochaine. C’est la meilleure solution, puisqu’il est très difficile de se faire rembourser l’argent déjà investi auprès des partenaires saoudiens. Ce qui permet de garder espoir, c’est qu’il s’agit d’un cas de force majeure et que l’annulation pour les étrangers a été décidée par les autorités saoudiennes’’.
Un moratoire pour les dettes des GIE et structures qui n’officient que dans le pèlerinage
Si la situation est loin d’être évidente pour tous les voyagistes, elle est plus compliquée pour certaines catégories. En plus des agences de voyages, il y a différentes structures (GIE, associations reconnues) qui officient dans l’offre de voyage pour le pèlerinage. Les agences peuvent faire face à cet imprévu grâce à la diversification de leurs sources de revenus. Beaucoup font parallèlement de la vente de billets d’avion toutes destinations, de la réservation d’hôtels, de l’assurance de voyages et d’autres activités touristiques. Ce qui n’est pas le cas des structures qui ne s’intéressent qu’à l’organisation du hajj. Et ces dernières sont les plus impactées par la situation.
Soucieux de leur situation, El Hadj Idrissa Gaye invite l’Etat à venir ‘’en aide aux 286 structures associatives actives dans l’organisation du pèlerinage, face aux dépenses qu’elles ont déjà effectuées’’. Pour anticiper sur les réservations d’hôtels ou de places dans les compagnies de voyages, des GIE ont dû contracter des prêts bancaires. Raison pour laquelle Babacar Ndiaye appelle les autorités étatiques à négocier un moratoire pour ces prêts afin d’éviter des complications. Quant aux agences de voyages, des financements, dans le cadre du Force-Covid-19, étaient prévus avec un fonds de roulement pour les accompagner, informe le patron de Moubarak Voyages.
A propos du hajj 2020 C'est la première fois, dans l'histoire de près de 90 ans de l'Arabie saoudite, que les visiteurs étrangers sont interdits de pratiquer le hajj. Le pèlerinage a été annulé en raison de la guerre et des épidémies passées à travers l'histoire, mais pas depuis la fondation du royaume d'Arabie saoudite en 1932. Hier, lors d'une conférence de presse virtuelle, le ministre du Hajj, Mohammad Benten, a déclaré que le gouvernement saoudien était toujours en train de revoir le nombre total de pèlerins autorisés, affirmant qu'ils pourraient être "environ 1 000, peut-être moins, peut-être un peu plus". Les personnes de plus de 65 ans ou souffrant de maladies chroniques ne seront pas autorisés à pratiquer le hajj. Le ministre de la Santé, Tawfiq al-Rabiah, a déclaré que les pèlerins subiraient un test de dépistage du coronavirus avant d'arriver dans la ville sainte de La Mecque et seraient tenus de se mettre en quarantaine à la maison après le rituel. |
Lamine Diouf