Publié le 18 Jul 2020 - 18:25
MARCHE CONTRE LES INJUSTICES SOCIALES, FONCIERES ET ENVIRONNEMENTALES

Rouge de colère 

 

Près de vingt collectifs ont marché, hier, avec la Plateforme pour le développement durable de Mbao. Ils réclament un retour à la justice sociale…

 

Hier après-midi, la place de la Nation (ex-Obélisque) a refusé du monde. Dès 16 h, la sonorisation apportée pour la circonstance a annoncé la couleur. Sous un soleil de plomb, des centaines de jeunes venus des quatre coins de Dakar se sont donné rendez-vous pour dire non à… l’injustice sous toutes ses formes. Pancartes, morceaux de tissu rouge et tee-shirts sont distribués çà et là. Du rouge, il y en a partout, comme pour dire que l’heure est grave. Plus de 20 collectifs se sont joints à la Plateforme pour le développement durable de Mbao, pour dénoncer les tares d’un gouvernement ‘’qui piétine les faibles’’.

Si l’endroit se remplit peu à peu, la police, de son côté, veille au grain. Un important dispositif sécuritaire, digne des grands rassemblements, est déployé.

De part et d’autre de cette place symbolique, les policiers observent scrupuleusement les moindres faits et gestes des manifestants. A tour de rôle, les responsables des différents collectifs présents expliquent les motifs de leur participation. Mais le temps file, il faut démarrer la marche pour être dans le temps, à savoir finir à 18 h. ‘’Nous disons non !’’ ‘’Ça suffit !’’, hurle-t-on dans la cohorte disposée en rangs serrés.

Oumar Ndoye est membre de ladite plateforme. Il transpire à grosses gouttes. ‘’On ne va pas accepter que l’on touche à cette forêt. Nous ne croyons pas du tout à cette histoire de cimetière, parce qu’on sait qu’on va se lever un matin et trouver là-bas des bâtiments et des hôtels. On est prêt à y laisser notre vie. Nous serons les premiers qu’on va enterrer dans ce cimetière qu’on veut nous imposer’’, martèle-t-il sur un ton colérique derrière ses lunettes noires fumées.

L’homme arbore un tee-shirt blanc où il est écrit en vert : ‘’Ne touchez pas à la forêt classée de Mbao’’ devant et derrière : ‘’Forêt classée de Mbao= poumon vert.’’ Sur le podium, les prises de parole continuent, les applaudissements pleuvent. La manifestation compte principalement les membres d’Aar Li Niou Bokk, Doy Na, Noo Lank, Noo Bagn et Amnesty International.  

Une heure après, c’est le top départ. Le pas pressé, les manifestants crient et chantent pêle-mêle : ‘’Souniou société yeugeutouneu, naniou ame fayda, naniou respecter sunu Sénégal’’ (notre société va mal, on doit s’armer de courage et respecter notre pays), ‘’Nio bagn ! Dafa doy !’’, ou encore ‘’Nous voulons étudier dans de bonnes conditions’’, crient des étudiants orientés dans le privé et à l’Université virtuelle du Sénégal (UVS rebaptisée ‘’université des vies sacrifiées’’).

 ‘’Nous sommes là pour dire non au déclassement de la forêt de Mbao. Nos premiers pas étaient inscrits dans une optique d’alerte envers le ministre de l’Environnement. On l’a rencontré et il nous a fait croire qu’il n’y a aucune procédure en cours pour déclasser la forêt pour la construction d’un cimetière. Mais après, on s’est rendu compte qu’une semaine avant notre rencontre, il a saisi le gouverneur pour une accélération de la procédure de déclassement. Nous avons vu la lettre. C’est ce fait qui nous a mis en colère, parce que cette forêt, c’est tout ce qui nous reste en termes de poumon vert. Elle n’appartient pas seulement à Pikine ou Mbao, mais à Dakar. Aujourd’hui, Mbao subit une pollution à outrance. Il y a les usines de raffinerie, les ICS. On a déjà assez pris dans cette forêt. Le péage est passé par là, une station de services, le Ter… Cette attaque contre notre forêt doit cesser, parce que qui attaque la nature attaque l’homme’’, lance, essoufflé, Pape Demba vivant à Grand Mbao.

Rattachant son foulard rouge autour du cou, il insiste : ‘’On ne va pas laisser faire. Peu importe ce que cela va nous coûter. La suite dépendra de l’impact de la marche d’aujourd’hui, de sa portée. Nous attendons de voir la réaction des autorités.’’ Il est porteur de l’affiche principale de la plateforme où il est écrit en rouge : ‘’Touche pas à la forêt de Mbao’’ sur un fond vert. Son coéquipier, lui, montre fièrement les écrits sur son tee-shirt rouge : ‘’Déclassement dégage.’’

La plateforme dénonce, depuis quelques semaines, cet état de fait et se sent confortée, d’autant plus qu’il existe des alternatives pour l’extension du cimetière de Pikine. ‘’Nous sommes des citoyens sénégalais et on se bat pour que l’injustice cesse. Il y a trop d’injustices dans ce pays. On lance un appel solennel au président de la République Macky Sall pour qu’il ne signe pas ce décret qui se prépare, on le sait. Toute la population de Mbao et ses environs est mobilisée pour se battre contre ce déclassement’’, clame pour sa part Amadou Bâ, un jeune manifestant.

Le rythme devient de plus en plus rapide et les moins sportifs se retrouvent derrière. Devant, une panoplie de messages est portée : ‘’Nguéniène dit non à spoliation foncière de Dioulabougou’’ ; ‘’Le Collectif pour la défense des intérêts de Djilakh dit non à l’accaparement des terres’’ ; ‘’Préserver la forêt, c’est penser aux générations futures’’ ; ‘’Non à la dilapidation du seul poumon vert de Dakar’’…

Le mal foncier…

Hier, également, plusieurs collectifs de travailleurs ont répondu présents. C’est le cas de celui des employés d’Africa 7. Toutefois, le monde rural a battu le record, en termes de mobilisation. Les habitants de Touba Toul ont saisi l’occasion pour, une fois de plus, se faire entendre. Epuisé par un rythme assez soutenu, Balla Gaye, tout de rouge vêtu, s’est retrouvé loin du groupe. Il est là pour une raison bien précise. ‘’On est là, parce que nous avons un problème d’eau dans notre localité. L’Etat a confié notre approvisionnement en eau à une société nommée Aquatech et elle nous vend désormais l’eau à 250 F CFA le mètre cube. Or, avant, on payait 125 F et nous gérions nous-mêmes nos forages. Aujourd’hui, ils ont été privatisés et on a difficilement accès à l’eau. Il n’y a pas de tuyau de raccordement. C’est difficile, vraiment. On a tenu plusieurs conférences de presse pour nous faire entendre, mais rien. C’est la raison pour laquelle nous sommes venus protester ensemble avec nos autres frères. Tout ce qu’on veut, c’est que l’Etat supprime ce contrat avec Aquatech, afin que la population de Touba Toul gère elle-même son eau, comme avant. Et s’il y a un surplus financier dans cette gestion, il pourra servir au développement de la localité. C’est tout le contraire. En ce moment, c’est cette société privée qui s’enrichit en nous créant en même temps des problèmes’’, explique-t-il, le visage sombre.

L’entrain est toujours de mise. Destination le rond-point RTS. Amadou Ndione de Guéréo (département de Mbour) repositionne sa casquette et confie : ‘’Je suis membre du collectif de Guéréo Ndoss. Le président Macky Sall, mon leader, le président de mon parti, a pris les terres de Guéréo, précisément à Ndoss, et les a attribuées à la commune de Somone par décret. Entre nous et Somone, il n’y a que la lagune, mais Guéréo fait partie de la commune de Sindia. Donc, toute personne qui a des terres se rend à la commune de Sindia pour la délibération. Que faire, lorsqu’elles sont attribuées à une autre commune ? On nous a ainsi arraché 50 hectares de terres cultivées en 2018, par décret, pour les attribuer à l’hôtel De Cameron. Nous avons tenu plusieurs manifestations à Guéréo avant celle-ci. On a mis le dossier entre les mains de notre avocat Maitre Moussa Sarr, mais jusqu’à présent, rien. On se demande si nous faisons encore partie du Sénégal.’’

A l’entendre parler, l’homme est très remonté contre le président Macky Sall qu’il a choisi lors de l’élection présidentielle. ‘’Quand il était en pleine campagne, il avait de l’égard pour nous. Je fais partie des membres fondateurs de l’APR dans la commune de Sindia. C’est lui qui, à Diamniadio, a déclaré que toute personne qui a besoin de terre doit d’abord aller discuter avec les propriétaires qui sont des agriculteurs. S’ils acceptent tant mieux, sinon, que personne ne touche à leurs terres. Aujourd’hui, lui-même a sorti un décret sur la terre de Guéréo. En tant que chef d’Etat, il baigne dans l’injustice pendant qu’il devait être en train de sanctionner ceux qui la pratiquent. De Cameron était en discussion avec la population de Guéréo quand, un bon matin, le décret est tombé. Les populations avaient accepté de lui donner 12 hectares sur les 50 hectares. Comment on peut réquisitionner 50 hectares rien que pour des hôtels ? Et de son côté, la commune de Sindia affirme ne pas être informée de ce décret. Pourtant, on sait qu’elle échange avec De Cameron. L’entreprise aurait dû trouver un accord avec les agriculteurs’’, poursuit-il en s’épongeant le visage.

Amadou Ndione et ses camarades ne veulent qu’une seule chose : ‘’Un audit foncier dans la commune de Sindia.’’ Et l’homme d’ajouter : ‘’Cette marche aurait pu ne pas avoir lieu, si celui pour qui nous avons voté, en qui nous avons eu confiance, ne nous avait pas trahis. L’Etat a pris nos terres de manière illégale. Or, nos parents vivent de ces terres. Ce que ces gens ne savent pas, c’est que toute personne qui touche à des terres de manière frauduleuse récolte tôt ou tard les conséquences.’’

Le clap de fin a sonné à 18 h 30. Ruraux, étudiants, travailleurs (PCCI, ABS, King Fahd Palace…) ont rebroussé chemin, épuisés, mais satisfaits d’une marche qui s’est déroulée sans couac.

EMMANUELLA MARAME FAYE

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