Publié le 8 Aug 2020 - 19:49
HAUSSE DES CAS DE TRANSMISSION COMMUNAUTAIRE

Le baromètre des manquements de la stratégie de riposte contre le coronavirus 

 

Une semaine après la célébration de la fête de Tabaski, un premier point du ministère de la Santé a noté une explosion des cas communautaires, malgré les mises en garde sur les conséquences de la dispersion de la population pour fêter l’Eid El-Kébir chez eux.  

 

Ce sont les médias que le président de la République a indexés, en les traitants d’alarmistes, dans leur traitement de la progression de la pandémie de coronavirus. Lors du Conseil présidentiel sur la gestion de la riposte contre la Covid-19 tenu ce jeudi, Macky Sall a soutenu, à l’endroit des journalistes, qu’il ne sert à rien d’alarmer les populations et de noircir le tableau : ‘’La situation du Sénégal n’est guère inconfortable, comparée à tout ce qui se fait à travers le monde.’’ Malgré la participation des médias à l’effort de guerre qui en a pris un coup, la lecture du dernier bilan journalier sur l’évolution de la maladie du ministère de la Santé et de l’Action sociale montre que s’il n’y a pas lieu de s’alarmer, la situation est devenue très préoccupante. 

En effet, le directeur de la Prévention, Dr Mamadou Ndiaye, a annoncé hier que parmi les 172 tests revenus positifs de la journée du jeudi, 82 cas sont issus de la transmission communautaire. Un record qui en a alarmé plus d’un, une semaine après la célébration de la fête de Tabaski qui a vu beaucoup de Sénégalais se déplacer en masse pour passer la fête en famille.  

C’est surtout la dispersion notée dans la localisation des cas communautaires qui pousse à se poser des questions. Onze ont été recensés à Saint-Louis, 6 à Dakar-Plateau, le même nombre aux Maristes, à Thiès, 5 à Keur Massar, 4 à Mbour, à Sangalkam et Yoff, 3 à Diourbel, Kolda, Liberté VI et Tivaouane, 2 à Bignona, Kaolack, Mermoz, Parcelles-Assainies, Pikine et Touba, 1 à Diamniadio, Diofior, Diouloulou, Guédiawaye, Kédougou, Louga, Mbao, Oussouye, Pout, Rufisque, Thionk Essyl et Ziguinchor. Un maillage du territoire national qui s’explique par les déplacements liés à la Tabaski ?

Si aucune étude ne permet de le confirmer, le scénario était attendu avant la célébration de la fête. A commencer par le ministre de la Santé et de l’Action sociale. ‘’Nous allons vers la fête de la Tabaski et (elle) ne doit pas être une occasion de propagation et de dispersion de la pandémie dans le pays’’, disait Abdoulaye Diouf Sarr, lors de la réception d’un don de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) constitué de 15 000 tests et 22 000 kits de prélèvements et d’équipements de réanimation au Laboratoire national de santé publique basé à Thiès.

Jusqu’ici, pas moins de huit décrets ont été pris par les autorités publiques pour restreindre ou alléger les libertés et surtout interdire les rassemblements publics de même qu’imposer le port obligatoire du masque de protection. Seulement, ils sont loin d’avoir produit les effets escomptés. Et les raisons peuvent, en partie, être trouvées dans les manquements notés dans l’application de ces mesures par les autorités.

A l’enterrement du premier mort du coronavirus au Sénégal, Pape Diouf, tout un dispositif avait été mise en place pour éviter les contaminations, malgré le ‘’rang social’’ du défunt. Mais c’est tout le contraire qui a été noté lors de dernières cérémonies de funérailles, dont le dernier exemple et non moins important est celui du khalife général des niassènes, jeudi, à Kaolack.

‘’Ils sont infectés dans des cérémonies funéraires principalement les levées du corps, les enterrements’’

Avant lui, beaucoup de cérémonies ont été organisées dans la région de Dakar, avec la disparition d’illustres personnalités ces deniers jours : Serigne Pape Malick Sy, Babacar Touré, Mansour Kama, etc. Et ces rassemblements ont joué un grand rôle dans la propagation récente de la pandémie, comme l’a confirmé le Pr. Mame Thierno Dieng, lors du Conseil présidentiel sur la gestion de la riposte contre la Covid-19. Le directeur de l’hôpital Principal de Dakar note : ‘’Comme la plupart des malades sont décédés à l'hôpital Principal, nous avons pu faire la traçabilité. Ils sont infectés dans des cérémonies funéraires, principalement les levées du corps, les enterrements. La plupart sont infectés dans ça...’’.

La ‘’reculade’’ des autorités face aux familles qui ont, parfois violemment, exprimé leur désir d’enterrer leurs morts dans des conditions normales, a mené à cette situation favorable à la progression des cas de transmission communautaire.

A cela s’ajoute la stigmatisation dont sont victimes les structures sanitaires que la population rechignait à fréquenter, en cette période de propagation du virus. Le docteur Abdoulaye Bousso l’a expliqué, en affirmant que les hôpitaux essuyaient beaucoup de refus de la part de malades qui doivent être pris en charge. ‘’Nous avons dans les domiciles des personnes avec des comorbidités et qui ne devraient pas y être. Mais il s'agit de VIP, de personnalités, et aujourd'hui, c'est un accent très, très important qui doit être mis sur la prise en charge à domicile, principalement à Dakar’’, argumente le directeur du Cous.

Mamadou Diarra Bèye, Directeur du Samu, lui emboite le pas en révélant : ‘’On a eu des patients qui ont été testés positifs, qui ont présenté des comorbidités et qui ont refusé systématiquement d'aller dans des centres de traitement et qui se sont aggravés par la suite. Il y en a même qui ont malheureusement perdu la vie, conséquence du délai très tardif de recours aux structures de santé.’’

Cette situation peut être à l’origine d’un décalage entre les chiffres officiels du ministère de la Santé et la réalité. Car, comme l’expliquait jeudi le Dr Babacar Niang de Suma Assistance sur le plateau de la TFM, ce n’est que dans les grandes villes que les décédés obtiennent des certificats. ‘’Combien de personnes sont mortes sans être comptabilisées ? Le véritable nombre de cas devrait être estimé entre 30 000 et 50 000 cas’’, analyse l’urgentiste.

Il n’existe sûrement aucun pays au monde où les chiffres officiels sur la pandémie prennent en compte tous les cas effectifs. Mais la tournure des choses devrait pousser le gouvernement à réadapter sa stratégie de riposte. A la journée d’hier, le Sénégal comptait 10 887 cas déclarés positifs, dont 7 186 guéris, selon les chiffres du ministère de la Santé et de l’Action sociale.

‘’On a vu qu’il y a un relâchement et on savait, en tant que techniciens, qu’on allait vivre des situations pareilles’’

Comme l’a reconnu hier le ministre de l’Intérieur, lors de sa conférence de presse, un certain relâchement des populations et un non-respect manifeste des mesures barrières, à la tête desquelles le port du masque et la distanciation physique, ont été notés depuis la levée de l’état d’urgence. En vérité, cette déconcentration s’est installée depuis le 12 mai 2020, date de l'assouplissement des conditions de l'état d'urgence et des horaires du couvre-feu, par le président de la République, pour soulager l’économie, ainsi que la réouverture des lieux de culte.

Dans une intervention sur iRadio, le Dr Serigne Fallou Samb, Secrétaire général de l’Association de cliniques privées, rappelait hier que ‘’dans ces genres de situation, il nous faut de l’autorité pour préserver les Sénégalais. Malheureusement, depuis le 11 mai (nuit de l’allocution du président de la République), on a vu qu’il y a un relâchement et on savait, en tant que techniciens, qu’on allait vivre des situations pareilles. Et je crois qu’on aurait voulu ne pas avoir raison, mais aujourd’hui, on a eu raison’’.

L’accumulation des faits a amené le président Macky Sall, lors du Conseil des ministres de ce mercredi 5 août, à taper du poing sur la table et à demander plus de rigueur dans l’application des mesures barrières.

Comment sortir de cette situation ? Pour le Dr Khadim Ngom, cardiologue à Bordeaux, il faut rehausser le plateau technique et surtout le nombre de lits de réanimation. La solution la plus simple pour y arriver serait de mettre à contribution des lits dans les hôpitaux privés, jusqu’ici écartés de la gestion de la pandémie. D’autant plus que, selon le secrétaire général de l’Association de cliniques privées, ces structures sanitaires constituent 43 % de l’effectif médical au Sénégal.

Si les rassemblements occasionnés par la célébration de la Tabaski peuvent être mis en cause dans la hausse observée des cas de transmission communautaire, il sera possible d’y voir plus clair dans une semaine, voire quatorze jours après la fête. En même temps, d’autres cérémonies religieuses se profilent avec des capacités de mobilisation de personnes encore plus importantes. Malgré tout, les mesures de restriction des déplacements imposées par le ministère de l’Intérieur restent suspendues.

En attendant le retour des décisions fortes pouvant influer sur le comportement des Sénégalais, le virus continue d’augmenter son bilan macabre.   

Lamine Diouf 

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