Publié le 22 Aug 2020 - 01:04
ALIOUNE TINE, PRESIDENT FONDATEUR D’AFRICAJOM, SUR LE MALI

‘’On avait atteint des limites…’’

 

Ancien directeur régional d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, fondateur du think-tank Africajom Center et expert des Nations Unies pour le Mali, Alioune Tine apporte ses éclairages sur la situation malienne.

 

Les craintes de beaucoup d'observateurs se sont réalisées, au Mali, avec la prise du pouvoir par les militaires. Quelle appréciation faites-vous du dénouement de cette crise ?

C'est vrai que le type de dénouement auquel on a assisté au Mali, avec cette crise politique post-électorale, n'a pas surpris certains observateurs. La crise est profonde, structurelle, marquée par un contexte de dégradation des institutions publiques, de l'autorité de l'Etat et de la sécurité nationale. L'intransigeance des acteurs politiques, de l'opposition comme du pouvoir, a eu raison de l'obstination des médiateurs de la CEDEAO.

C’est donc une situation très compliquée, avec une crise très profonde qui a généré des frustrations et un mécontentement populaire bien réels. Une crise qui touche la gouvernance, la démocratie et la sécurité. Elle a été l'humus des grandes mobilisations populaires qui réclamaient le départ du président IBK, avec le leadership de l'imam Dicko, figure charismatique, populaire et personnalité morale du M5/RFP. L'appel à la démission d’IBK était une position de négociation. Après près de 2 mois de mobilisation, ils (les manifestants) étaient prêts à se satisfaire d'un Premier ministre de consensus et d'un gouvernement de transition. Le contentieux électoral aurait pu se négocier pacifiquement, à mon avis.

Finalement, il s’est dénoué par un coup d’Etat. N’est-ce pas un moindre mal, vu l’impasse dans laquelle se trouvait le pays ?

C’est vrai qu’on avait atteint des limites au-delà desquelles les menaces d'effondrement étaient réelles. Le Mali n'avait plus d'institutions, pas de gouvernement, pas d'Assemblée nationale, pas de Cour constitutionnelle, dans un contexte de conflits asymétriques et de conflits intercommunautaires. Le coup d'État apparaît ainsi comme un dénouement "naturel", une espèce de "catharsis" pour les populations qui l'interprètent comme libération.

Mais ma conviction est qu’une solution pacifique était bien possible.

Par rapport au coup d’Etat de 2012, on a l'impression que la junte actuellement au pouvoir jouit de plus de légitimité populaire ; même au-delà des frontières du Mali. Qu'est-ce qui a changé, à votre avis ? 

Si le coup d'État de 2012 peut avoir des similitudes avec celui du 18 août 2020, concernant les causes profondes et les acteurs (Kati), il y a une différence dans le processus. Celui-ci intervient dans le cadre d'un grand mouvement citoyen. Et le résultat a coïncidé avec les revendications des manifestants et du M5. Ce n'est pas par hasard, si le Mouvement du 5 Juin marque toute sa disponibilité à participer à un gouvernement de transition avec le Comité national pour le salut du peuple (CNSP).

Malgré cette euphorie des populations, la CEDEAO a pris des mesures jugées sévères. Cela ne risque-t-il pas de conforter l'idée selon laquelle l'organisation met en avant la défense des intérêts des chefs d'Etat ?

D’abord, on peut saluer les efforts réels et obstinés des médiateurs de la CEDEAO qui ont été à plusieurs reprises sur le terrain, qui ont fait des propositions de sortie de crise pragmatiques par moments. On peut, néanmoins, s'interroger sur certaines solutions qui manquaient de flexibilité. 

N'est-ce pas des solutions personnelles pour ne pas cautionner un précédent qui pourrait leur tomber dessus ?

La CEDEAO est une organisation d'États membres traversés par des courants politiques différents, avec des libéraux et des socialistes, mais aussi subjectifs. De plus, vous avez des pays qui sont dans une crise politique, avec le problème du 3e mandat. Ces derniers peuvent considérer avec hostilité et crainte le mouvement citoyen ; et pire encore, le dénouement de la crise avec un coup d'État.

Au sein de l’organisation, les décisions se prennent par consensus. Mais il y a souvent des nuances entre ceux qui respectent la Constitution et les autres.

Qu’est-ce qui peut expliquer, selon vous, la promptitude de la Côte d’Ivoire à appliquer les mesures édictées par la CEDEAO ?

La Côte d'Ivoire est un os dans l'espace CEDEAO. On a l'impression de vivre, avec le président Ouattara, les mêmes expériences qu'avec Bédié et le coup d'État de décembre 1999, de Guei avec les élections de 2000 et Gbagbo en 2011 : violences politiques, instabilités et conflits armés. Des années sombres marquées par des violations graves et systématiques des Droits de l'homme. La Côte d'Ivoire doit faire l'objet de la même obstination et du même intérêt que le Mali de la part de la CEDEAO, de l'UA et de l'Onu. Les élections doivent être reportées pour organiser un grand dialogue national pour des élections transparentes et apaisées. On a un contexte préélectoral avec un contentieux sévère et des violences préélectorales qui ont fait près de 15 morts. La radicalité de la position ivoirienne se comprend.

Quelle doit être la posture du Sénégal dans une telle situation ?

La vocation diplomatique du Sénégal dans cette période de crise et d'incertitude est d'assumer clairement et fortement son leadership en matière de bonne gouvernance et de démocratie. Je pense que Macky Sall en est pleinement conscient.

Quel est votre point de vue sur le maintien du président IBK et de plusieurs autres personnalités de son régime en détention ?

Je pense qu’il faut libérer immédiatement et sans condition le président IBK, son Premier ministre Boubou Cissé, les membres de son gouvernement et les hauts gradés de l'armée illégalement détenus. Les conditions dans lesquelles ils sont détenus sont inacceptables pour des personnes humaines. M. Annadif, représentant du secrétaire général des Nations Unies, doit absolument avoir accès à eux pour les voir et s'assurer qu'ils sont dans de bonnes conditions.

Quelles doivent être les priorités pour la junte militaire ?

La priorité des priorités, pour la junte militaire, c'est la restauration de l'État de droit, une transition avec un gouvernement civil qui inclut le genre, sinon la parité. Il faut aussi faire respecter les droits humains et les libertés fondamentales, veiller à la protection des personnes et de leurs biens, et mettre fin aux pillages et aux actes de vandalisme.

Êtes-vous rassuré par les premières sorties des responsables de la junte ?

Je suis avec intérêt les déclarations. Mais pour le moment j'observe.

Qu'attendez-vous de la communauté internationale ?

Ce que j'attends de la communauté internationale, c'est de renforcer les capacités de résilience du Mali et des Maliens dans tous les domaines, notamment dans le renforcement de l'État et de l'État de droit, la protection des civils, l'éradication du terrorisme. Mais il y a le Mali et ce qui se passe tout autour. Il faut de plus en plus envisager des réponses régionales aux pathologies démocratiques et sécuritaires de la région. Traiter le Mali en fermant les yeux sur l'instabilité politique dans la région, c'est pratiquement soigner le cancer avec de l'aspirine.

L’imam Mahmoud Dicko, figure de proue du M5, a pris la décision de retourner à la mosquée. Que pensez-vous de cette décision ?

Il faut saluer cette forte personnalité religieuse, patriote, citoyen avec une grande rigueur morale. On a tenté, à plusieurs reprises, de le corrompre sans succès. Je pense qu’il faut respecter son choix de se retirer de la politique.

MOR AMAR

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