La mémoire “impunitaire’’ d’Aminata Lo Dieng
Les choses sont allées très vite, pour Aminata Lo Dieng, ex-Ministre des Sénégalais de l’extérieur sous Wade, de son interpellation à Ouakam pour violation du couvre-feu à son inculpation et à sa mise sous mandat de dépôt. Les charges se sont corsées, dans la foulée : outrages à fonctionnaires dépositaires de l’autorité publique, faux et usage de faux…
La femme politique, atypique par ses emportements d’anthologie et par son refus des allégeances dogmatiques ; militante prompte à l’emphase et à la récrimination, se souviendra de ce jeudi 28 janvier au soir où il lui aura fallu réaliser qu’elle n’était plus ‘’en charge’’ ; que des lois existent, qui frappent le commun des mortels, dans l’intérêt même de la cité et que, descendant de son trône, aussi modeste fût-il, elle leur était à nouveau soumise…
Encore que les lois existent pour tous ; que nul ne devrait se sentir exonéré de leurs implications, qu’on soit prince ou roturier, aristocrate ou plébéien, ministre ou éboueur. Le respect des lois qu’on s’est données, plus en démocratie qu’ailleurs, n’est pas seulement liberté ; il est une exigence pour tous et revêt, pour chaque individu et pour l’ensemble de la collectivité, un caractère sacré.
Sans doute habituée à ne voir les règles et leur application qu’à travers le prisme d’un ministère qui lui était tombé dessus, plus comme la récompense d’une fidélité quasi-sacrificielle que par le mérite de compétences avérées, avait-elle pris goût à cette espèce de nuage ‘’impunitaire’’ au-dessus duquel elle goûtait la fatuité d’un règne vertigineux ; de ceux-là que l’on croit sans fin, tant le champ des pouvoirs est immense et les servitudes, qui surgissent de partout, incalculables.
Sans doute aussi, s’était-elle convaincue, au fil du temps, que cet état ‘’impunitaire’’ était aussi immunitaire ; qu’il vous immunisait contre tous les pouvoirs du passé et du présent ; contre leurs édits parfois capricieux, contre leurs sanctions, contre leurs manies répressives sous couvert de légalité…
Bref, elle croyait, la sulfureuse Aminata Lo Dieng, que son wadisme sans corset, était soluble dans la mackysallisme, cette sauce politique faite de mémoire rancunière, de légalisme agressif et sélectif, de rêves ambigus et de réalisme froid.
Elle se sera fourvoyée : car sa transgression des lois est d’abord un crime contre la cité ; elle renvoie au peuple ordinaire l’idée d’un monde dont l’ordre peut être transgressé par les ‘’dominants’’ ou ceux qui l’ont été ; que les lois ne frappent que les faibles et que toute justice est illusoire.
Le mérite des gendarmes de Ouakam est d’avoir démonté tout cela ; de l’avoir arrêtée comme n’importe quel hors-la-loi dont les actes mettraient la cité en danger. Le mérite de la maréchaussée est d’avoir dit niet à cette espèce d’imposture grossière dont l’une des manies est de substituer à la chose réglementaire un ordre déréglé sous les apparences du statut, du prestige…
Aujourd’hui, les juges devront sans doute encore aller plus loin ; indiquer clairement que nul n’est au-dessus des règles, au Sénégal, et que l’audace des puissants s’arrête là où commencent les exigences de la loi.
Il faut souhaiter que les échos de ce message franchissent les murs du palais de Justice et parviennent à ceux qui, aujourd’hui, sont aux affaires : ministres, préfets, gouverneurs et autres. Car la question à laquelle les juges ne nous répondront pas, est bien la suivante : ‘’Puisque vous avez condamné Aminata Lo Dieng, pouvez-vous condamner toutes les Aminata Lo Dieng du Sénégal, celles d’hier et d’aujourd’hui ?’’