Publié le 18 Feb 2021 - 00:43
BAYE MBALLO KEBE- PLASTICIEN

‘’Je doute de la qualité d’enseignement que les élèves suivent à l’Ecole des beaux-arts’’ 

 

Connu pour sa rigueur et son amour pour les arts plastiques, Papa Mbalo Kébé dit ‘’Baye Mbalo’’ est un artiste talentueux. Ce peintre d’un âge assez avancé a créé Xatim-art pour dialoguer, transmettre des messages afin de conscientiser la masse. Dans cet entretien accordé à ''EnQuête'', il retrace son parcours, partage son avis sur la formation que reçoivent les plus jeunes et la formation des jeunes. 

 

Qu’est-ce qui vous a amené à la peinture ? 

J’ai commencé, comme tous les jeunes, à dessiner sur les murs.  C’était au temps où il y avait les films cow-boys et hindous. On naît artiste, on n’apprend pas à l’être. C’est une sensibilité qu’on retrouve chez chacun d’entre nous. Mais on n’a pas tous l’opportunité de l’exploiter. J’ai fait des études en histoire, en archéologie. Des études scientifiques dans des écoles comme le Musée du Louvre, l’Institut de paléontologie humaine de Paris et d'égyptologie (France). Mais l’art a toujours été en moi. J’aime bien m'exprimer. J’ai grandi sous l’ombre de deux grands artistes, Pape Ibra Tall et Dogo Thiam.

On a grandi ensemble. On était les meilleurs dessinateurs, à l’école primaire. C’est son grand frère, Mamadou Thiam qui m’a poussé à m'inscrire à l'Ecole des beaux-arts.  Quand j’étais en Europe, il me fallait un peu travailler. J’ai travaillé chez Bata, au département de la publicité. C’est là-bas que j’ai appris la sérigraphie et l’étalage. J’ai été vendeur pendant quelque temps, tout en suivant mes cours. Quand je suis revenu au Sénégal, j’ai servi à l’Ecole des beaux-arts.

Vous faites entre le figuratif et l’abstrait. D’où vient cette inspiration ? 

C’est la nature, mon maître. Parce que je ne peins pas pour faire plaisir aux gens. Je peins pour me faire plaisir. Chez moi, il y a deux ou trois œuvres qui coûtent très cher, que des personnes sont prêtes à acheter. Mais je refuse pour l’instant de les vendre parce que je ne suis pas satisfait de mon travail. Pourtant, j’ai besoin d’argent, parce que je suis toujours en train de construire quelque chose. En parlant d’inspiration, il y a des artistes qui fument du chanvre indien, en pensant que cela leur permettra de mieux créer. Ce n'est pas mon cas. D'autres allument la cigarette à chaque fois qu'ils s'énervent. Le calme, c'est la personne qui le crée. Il faut savoir se maîtriser à partir du mouvement de la nature. Je leur conseille de faire attention à la nature qui est autour d'eux. D’avoir l’habitude d’aller à la plage quand il y a moins de monde ou d’aller dans la brousse.  

À quel prix sont généralement vendues vos œuvres ?

Je préfère ne pas parler de prix (rires). Moi, je ne fixe pas vraiment de prix. Une œuvre peut coûter excessivement cher, mais je peux la laisser à un visiteur pour un rien du tout, quand je me rends compte que la personne l’aime vraiment. Ce qui m’intéresse, c’est le sentiment de la personne qui vient chercher l’œuvre. Un jour, une jeune touriste américaine a vu une œuvre qu’elle a regardée jusqu’à avoir envie de pleurer. Elle n’avait pas assez d’argent… J’ai observé cette dame-là. Elle est revenue le lendemain, puis le surlendemain. J’ai emballé l’œuvre, je la lui ai offerte. Elle l’a méritée. Je savais qu’elle en prendrait soin.

Avec cette œuvre, la personne peut travailler pour moi, car elle peut raconter son histoire à une autre personne qui verra l’œuvre à travers elle. Moi, j’ai eu beaucoup de clients comme ça. Ils ont vu mon œuvre quelque part et ont automatiquement cherché à me connaître. Je ne vis pas à 100 % de la peinture.  J’ai toujours dit que si on est artiste-peintre, il faut avoir un autre métier à côté. Mais c’est triste pour moi de voir que l’Ecole des beaux-arts, actuellement, ne forme pratiquement que des peintres. La peinture, je ne la considère pas comme un métier. La peinture, c’est quelque chose qui vous tenaille. Qui est en vous, comme si vous aviez envie d’accoucher. C’est quelque chose qui vous empêche de dormir. Un métier, même si vous n’avez pas envie de le faire et que l’argent est là, il faut le faire. Mais un vrai artiste, si vous avez tous les millions du monde pour une œuvre, quand il n’a pas envie de peindre, il ne peindra jamais.

Vous considérez-vous comme un artiste engagé ?

Je suis un peintre très engagé. Quand on a un certain âge, il faut avoir un peu plus de sagesse pour pouvoir calmer les jeunes qui sont autour de vous et les aider à parcourir le reste de leur chemin. Moi, j’en suis là. Mais ça ne m’empêche pas de dénoncer les choses qui ne vont pas, d’une manière ou d’une autre. Une œuvre d’art en dit beaucoup. Il faut apprendre à lire. On compte rarement les gens qui savent lire les œuvres qui les intéressent. Ils ne vont pas au fond des choses.

Comment est née Xatim-art, la technique que vous avez initiée durant votre exposition célébrant les 90 ans du président Senghor ?

Je lis beaucoup. Et je me suis rendu compte, en discutant avec des amis, que quand ils lisent un livre, c’est comme s’ils regardaient un film à la télévision sans connaître la profondeur de ce qu’ils observaient. Même dans les feuilletons que nous regardons, il y a des morales qui sont derrière. Ça dépend de la position de la personne.  Des fois, je lis des articles de journaux et y prends des textes. Il y a eu une période où des artistes découpaient des bouts de journaux pour les coller sur leur œuvre. Ce n’est pas ça que je fais. Alors, c’est comme ça que j’ai commencé à travailler là-dessus.  J’ai commencé par ‘’Maternité’’ (une œuvre). Toute ma peinture, c’est des textes. C’est pour mieux dialoguer, mieux transmettre. 

J’avais beaucoup de (livres de) Senghor. Etudiants, nous étions contre et avec Senghor en même temps, parce que comme tous les étudiants du monde, même les choses que nous aimons, des fois, on les combattait. Alors, nous arrivons à lire de façon intéressante. Mais les gens n'ont pas compris la profondeur de ce qu’il disait. C’est à partir de là que Xatim-art est né. C’est pour transmettre aux uns et aux autres quelques passages de textes intéressants. Et ça a donné des résultats. La preuve, quand j’ai fait cette exposition sur les tirailleurs, je me suis promené à la place de l’Indépendance pour regarder les gens. J’étais avec eux sans qu’ils sachent que j’en étais l’auteur.

J’ai vu des étudiants qui se mettaient à copier les textes. Les gens prenaient note, parce que lors de l’exposition, ils ont connu le tirailleur Pape Guèye Faye, le père d’Abdoulaye Wade. Il était tirailleur lui aussi. Les gens connaissaient Blaise Diagne, mais ne connaissaient pas tout de lui. C’est la force de Xatim-art. Ce n’est pas facile à faire, parce qu’il faut d’abord beaucoup lire, bien sélectionner et savoir dessiner pour pouvoir atteindre les gens. Ça peut prendre des jours et des jours, comme ça peut prendre quelques petites heures. Je travaille tard la nuit. Je travaille jusqu’au matin. La journée, je réponds aux courriels, discute avec les gens, etc. 

Quelles relations entretenez-vous avec les autorités sénégalaises, notamment avec les différents présidents ? 

Senghor, ça allait bien. On a beaucoup parlé du travail. C’est quelqu’un qui était imbu des valeurs de l’Afrique. Le projet qu’il avait pour le Sénégal, si celui qui est venu après l’avait suivi, nous serions loin aujourd’hui. On se serait libéré de l’Europe. Durant la période des indépendances, Sékou Touré a payé cher son attachement à l’Afrique. Et son peuple continue de le payer. Le Sénégal, au moins, était le pays le plus en vue dans toute l’Afrique occidentale, pour ne pas dire l’Afrique entière.  Nous, nous lisions en profondeur ses textes pour comprendre ce qui était exactement au fond de lui. Toute la nostalgie qu’il avait même se ressentait dans ses textes. Diouf, je n’ai pas eu de rapports avec lui, mais j’en ai eu avec ses frères et d’autres personnalités de son entourage. A l’époque, on m’avait affecté en Casamance.

Quand je suis arrivée là-bas, au centre culturel, je n’y faisais rien du tout. Il n’y avait pas grand-chose. Alors, pour passer le temps, je descendais à Dakar pour aller au Centre culturel français et au Centre culturel américain. C’est pour cela que j’ai d’ailleurs fini par abandonner mon poste. Pendant deux ans, on a continué à me payer, mais je ne prenais pas l’argent. Le jour où j’ai dit niet, je ne suis plus allé au Building administratif. Alors quelqu’un d’autre encaissait le salaire. Ainsi, il fallait que je me débrouille pour essayer de vivre. Wade est un oncle direct. Mais on ne se connaissait pas bien. Je connais surtout ses enfants avec qui j’ai travaillé. Macky, je l’ai connu à Mbodiène, lorsqu'il prenait part à sa première université d’été. C’est moi qui avais fait tout le décor. Et il a demandé à me rencontrer. L’hôtel appartenait à Mansour Kama. Quand le président a tardé à venir, je suis rentré. Après, on m’a rappelé pour me dire que le président était venu et qu’il m'attendait. J’y suis retourné. À mon arrivée, ils étaient à table.

À l’époque, il était avec Abdoul Mbaye qui était son Premier ministre. Quand il m’a vu, il a murmuré quelque chose ; le président a arrêté de manger et on s’est mis à discuter. Il m’a demandé de reprendre contact avec lui, que nous pourrions faire pas mal de choses. Alors Abdoul Mbaye s’est retourné pour me demander une œuvre qu’il avait rejetée. J’avais fait le portrait de son père, mais il n’en voulait pas. C’est sa sœur qui l’a achetée. Je ne sais pas laquelle de ses sœurs, parce que ce n’est pas moi qui l’ai livré.  Ainsi, Abdoul Mbaye m’a demandé de lui en faire une autre. Cette œuvre-là, je l’ai commencée, mais je ne l’ai jamais continuée. Je n’avais plus envie de le faire. L’œuvre est là-bas. Il y a le croquis et tout. Un jour, après ma mort peut-être, les gens la sortiront.

Voilà : l’artiste ne doit pas se laisser commander, ni téléguider. C’est la nature qui décide, en quelque sorte, de ce qu’il est, de ce qu’il fait. 

Vous partagez votre connaissance avec les jeunes. Comment se passe cette formation ?

Je les forme sur beaucoup de choses. Il y a des demoiselles que je forme dans des métiers qu’elles pourront exercer quand elles vont sortir d’ici. Pour les hommes, il y a de grands artistes qui sont ici (au village des arts), qui vendent des œuvres très chères. Avant, j’avais mon atelier à Niary Tally. J’avais un local où je formais. J’ai habité dans une rue où il y avait un très grand trafiquant de chanvre indien qui avait embauché presque tous les jeunes. J’ai pu récupérer ces jeunes-là pour les former. Certains ont travaillé dans de grandes sociétés publicitaires de la place.

Vous êtes sorti major de la promotion 1967-1968 de l’Ecole nationale des beaux-arts du Sénégal. Que pensez-vous de cet institut ?

Le Sénégal a intérêt à créer une bonne école d’art. Il passe son temps à louer des bâtiments pour abriter l’Ecole des beaux-arts. Des bâtiments qui ne sont pas adaptés. Il faut un bon espace pour les beaux-arts, avec tout ce qui va avec. Je doute beaucoup de la qualité d’enseignement que les élèves suivent là-bas. Des fois, ils viennent discuter avec moi. Les plasticiens sont un peu dispersés. C’est pour ça qu’on ne les entend presque jamais. Il y a des choses qui se passent dans notre, ç’aurait été d’autres les verrait dans la rue. 

BABACAR SY SEYE

 

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