''Les accusations de Gris Bordeaux n'étaient qu'une manière de cacher sa frustration et sa peur face à Modou Lô''
Le différend entre Gris Bordeaux et Balla Diouf a été un des feuilletons de la défunte saison de lutte. Le ''Tigre'' de Fass avait soupçonné Balla Diouf de complicité avec son adversaire Modou Lô et avait demandé au staff de son écurie de l'éconduire, lors d'une séance d'entraînement à la veille du combat. Quelques semaines après cet épisode, Balla Diouf raconte à EnQuête les raisons du comportement de Gris Bordeaux. Entretien
Comment passez-vous vos vacances, après la fermeture de la saison ?
On était dans la dynamique de la saison de lutte, avec les préparations pour d'éventuels combats dans un rythme d'entraînements intense. Pendant ces vacances, je suis resté un mois, en ne faisant qu'une seule séance par jour, surtout durant le ramadan. Maintenant, je fais deux séances par jour, avec un footing et un peu de musculation. Je fais aussi des contacts une ou deux fois par semaine, pour ne pas perdre mes repères, pour maintenir ma technique. J'en profite aussi pour apprendre d'autres clés.
Où faites-vous ces contacts ?
À la plage, en compagnie des Ouza et d'autres lutteurs de l'écurie Fass qui habitent dans les environs. Nous le faisons quand nos emplois du temps nous le permettent. Lundi, nous avions fait un footing à la plage ; mardi, nous allons sur les dunes ; mercredi, nous serons aux gradins du stade ; jeudi, nous faisons des contacts et de la musculation. Tout ce travail nous permet d'être en forme dès l'ouverture de la saison et prêts pour la compétition.
Comment se passe une journée de vacance avec Balla Diouf ?
D'abord, quand je me réveille, la première chose que je fais, c'est d'aller ouvrir le frigo et boire un litre d'eau. Ensuite, j'enfile mon équipement pour prendre la direction de la plage pour mon footing matinal. Après, je fais un petit travail physique avec la marche du canard, la marche-arrière. De retour à la maison, comme j'ai du matériel et de l'espace, je m'amuse un peu avec les barres fixes, le temps que mon corps refroidisse et que le petit déjeuner soit prêt. Le reste de la journée, je suis dans le business, à la recherche de profit. C'est une occasion pour aller voir ma famille et mes amis, puisque durant la saison, je n'ai pas le temps de rendre visite à tout le monde.
Quand est-ce que Fass reprend les entraînements pour l'ouverture de la saison ?
Ce sera pour bientôt certainement, puisque depuis le ramadan on ne s'est pas vus pour discuter de la reprise des entraînements. Je pense qu'il y aura bientôt un regroupement pour régler les détails et fixer la date de démarrage.
''Le Cng manque de professionnalisme, il est toujours pris de court''
Comment analysez-vous les difficultés que traverse actuellement la lutte ?
J'ai entendu tout, avec la menace de boycott de la saison par les promoteurs qui exigent le départ des membres du Cng (Comité national de gestion). L'année dernière, l'Association des lutteurs en activité, dont je suis membre, a eu un bras de fer avec le Cng, et cette fois-ci, ce sont les promoteurs. Donc, il y a un réel problème. Je ne peux pas concevoir qu'on exige que les lutteurs maîtrisent le règlement alors que les arbitres ne connaissent pas les règles. À chaque fois, ils donnent des verdicts qu'on finit toujours par casser. On doit assainir la lutte parce qu'il y a trop de problèmes. Les lutteurs n'ont plus aucune dignité, plus de respect. Avec les règlements du Cng, tout retombe sur nous. On ne sanctionne que les lutteurs, pas les arbitres. Chaque minute de retard nous vaut 10 000 F Cfa. Alors que parfois, ce n'est pas de notre faute, parce qu'à la porte on nous retient pour compter le nombre d'accompagnateurs, tout cela nous retarde. Dans l'enceinte, les organisateurs font leur folklore pendant que le lutteur attend. Ces minutes sont comptées. Nous recevons des avertissements et des ponctions injustifiés. Le Cng manque de professionnalisme, il est toujours pris de court. Il n'y a de règlement que quand un lutteur faute. Les promoteurs et les lutteurs en activité doivent faire parti du Cng pour plus de démocratie, pour mettre des textes solides et sortir de l'amateurisme. Une journée de réflexion doit être organisée, où des journalistes, spécialistes et autres personnes se pencheront sur la question pour sortir la lutte du gouffre dans lequel elle s'est mise.
''La lutte nous a sortis de la misère, la plupart des lutteurs n'étaient que des ouvriers qui gagnaient difficilement leur vie''
Tout le monde accuse le Cng. Mais est-ce que les lutteurs n'ont pas une part de responsabilité avec les scènes de violence notées ?
Je suis parfaitement d'accord, les lutteurs sont responsables de la violence. C'est dans notre comportement. La lutte nous a sortis de la misère, la plupart des lutteurs n'étaient que des ouvriers qui gagnaient difficilement leur vie. La lutte a fait de certains des millionnaires. Nous avons la possibilité de discuter avec nos supporters pour qu'ils ne se battent pas avec les autres. Mais les lutteurs doivent aussi apprendre à être fair-play, comme cela se fait dans tous les autres sports. Dans les terrains de foot par exemple, les joueurs s'agressent, se battent même parfois, mais à la fin du match, ils échangent des maillots, se donnent la main, discutent et se fréquentent après. Pourquoi pas en lutte ? Il n'y a pas assez de sensibilisation du côté des supporters et on doit s'y atteler. Il y a des lutteurs qui sont agressifs, surtout dans leur communication, et cela pousse les supporters à se détester à se regarder en chiens de faïence. Les lutteurs doivent revoir leur communication, nous sommes des porteurs de voix. La preuve, la plupart des jeunes enfants reprennent les expressions des lutteurs, rien que cela doit nous pousser à changer et à parler correctement.
Venons-en à votre différend avec Gris Bordeaux. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Depuis notre problème, nous ne nous sommes pas adressé la parole. Il ne m'a pas appelé, et aucune autorité de Fass n'a fait de démarche pour nous réconcilier. Chacun est resté dans son coin. J’attends toujours des explications. L'écurie a des dirigeants, mais personne n'a pris la responsabilité de faire une médiation entre nous. Je n'ai pas besoin d'excuses mais juste des explications, je suis un doyen dans l'écurie, et s'il y a des problèmes comme cela, on ne doit pas prendre cela à la légère. Il faut qu'on s'explique pour savoir pourquoi on m'a accusé de complicité avec Birame Gningue (le mentor de Modou lô, Ndlr) et non quelqu'un d'autre.
Gris Bordeaux avait dit, lors de son dernier face-à-face avec Modou Lô, que vous vous êtes présenté à quatre jours de son combat après avoir déserté les entraînements de l'écurie Fass...
Il a dit que je suis resté deux mois sans venir aux entraînements de Fass ; ce n'est pas vrai, je le dis haut et fort. Mon dernier combat avec Modou Anta de Thiès remonte au 3 juin, lui il devait en découdre avec Modou Lô le 15 juillet. Alors dites-moi si cet intervalle de temps fait deux mois ? J'ai préparé mon combat dans l'écurie, avec les dirigeants et les entraîneurs. C'est lui qui n'était pas là, il était en Espagne. À deux semaines de mon combat, il venait chaque jour aux entraînements de l'écurie Fass, bien sapé. Il ne faisait rien pour m'aider et il me regardait faire des contacts depuis son coin. Mais je n'ai jamais eu d'arrière-pensées. Le jour de mon combat, il était soi-disant en Espagne. Mais où qu'il soit, il pouvait m'appeler pour m'encourager, avant ou après le combat. Je ne l'ai pas senti à mes côtés lors de mes trois dernières sorties. Après mon combat, je suis allé remercier ceux qui m'ont aidé, à Dakar et hors de Dakar. Je suis revenu à 10 jours de son combat et je suis allé à l'écurie pour l'aider et l'encourager. J'ai assisté à l'entraînement, je l'ai vu changer d'attitude à mon égard et après, vous connaissez la suite.
Il affirme avec force que vous avez essayé de le filmer pendant une séance d'entraînement ?
Tout ce qu'il dit est faux. Ce jour-là, j'étais assis à côté de Ben Madi, son entraîneur en Espagne, et ma femme m'a envoyé un message pendant notre discussion. Quand on a demandé à Ben Madi, il leur a dit que je ne filmais pas. Quel intérêt ai-je à le filmer. Il dit que je suis ami avec Birame Gningue, alors que lui-même Gris Bordeaux est plus proche de Birame Gningue que moi, même si c'est moi qui le lui ai présenté. Tous les membres de l'écurie Fass ont des affinités avec Birame Gningue. C'est un faux alibi. Ce n'était qu'un prétexte pour cacher sa frustration. Il a pris un combat et par la suite il a pris peur. C'est un peureux et il avait besoin d'un bouc émissaire. Il ne peut pas gâcher ma réputation. Tout le monde sait que je suis correct.
''J'ai été emprisonné à cause de Gris Bordeaux''
Pourtant vous étiez très amis auparavant, vous aviez même été suspendu à cause de lui ?
Pire que la suspension, j'ai été emprisonné à cause de Gris Bordeaux parce qu'en prenant sa défense, j'ai donné un coup de poing qui a déboîté la mâchoire d'un supporter. Le jeune a brandi un couteau quand je lui ai demandé d'arrêter d'insulter Gris devant chez lui après sa défaite contre Yékini, d'arrêter. Il a alors porté plainte et les gendarmes sont venus me cueillir. J'ai passé une nuit et on m'a déféré directement au parquet. Gris n'était même pas venu me voir. Il a fallu que Thierno Dramé, dirigeant de l'écurie Fass, vienne me voir. Et je lui ai que je n'adresserai plus la parole à Gris. Il m'a demandé pourquoi, je lui ai rétorqué que Gris n'a pas daigné faire le déplacement pour voir comment j'allais alors que c'est en prenant sa défense que je m'étais retrouvé là. Thierno Dramé est parti le chercher mais je ne lui ai pas adressé la parole ce jour-là. Après cela, j'ai oublié et pardonné parce que je ne suis pas quelqu'un de rancunier. Mais il m'a refait d'autres coup-bas très flagrants. Parfois, il venait à l'entraînement sans me saluer, tout cela en me regardant dans les yeux. Moi, je faisais le déplacement pour le saluer, pour garder l'esprit d'équipe. C'est ma gentillesse qui me perd parfois. Gris, c'est nous qui l'avons mis à la tête de l'écurie Fass avant que les dirigeants ne prennent la décision. Je ne suis pas sa seule victime. Il l'a fait à Tapha Guèye, en exigeant que ce dernier ne se présente pas à son combat. Ouza Sow a subi une pire humiliation. C'était le jour de son combat contre Balla Bèye 2. Ouza était venu chez lui, comme tout le monde, pour l'accompagner au stade. Quand les vieux ont voulu lui donner un blouson, Gris l'a personnellement appelé pour lui dire qu'il n'avait pas besoin de lui à ses côtés puisqu'il était un ami de son adversaire. Depuis lors, Ouza ne vient plus aux combats de Gris Bordeaux. Donc je ne suis pas le seul. Il l'a fait aussi à Moussa Gningue. C'est pour cela que certains fondateurs de Fass ont quitté le navire sous son règne. Il doit se remettre en cause et arrêter de rejeter la faute sur les autres.
Qu'avez-vous réellement ressenti ?
Beaucoup de douleur, j'ai même pleuré. Parce qu'après cette histoire, je n'ai pas réagi dans les journaux, tout le monde me sollicitait, mais j'ai refusé de parler. J'ai pleuré le jour où il a personnellement dit à la télé que je l'ai trahi ; cela m'a fait trop mal. Je me suis senti sali, trahi. Jusqu'à présent, j’attends qu'une des autorités de Fass ait la maturité de nous appeler pour qu'on s'explique. J'ai des arguments solides, c'est pour cela qu'il n'ose pas se présenter devant moi.
Pensez-vous que vos relations redeviendront comme avant ?
Non, jamais. Je suis loyal et véridique, je n'accompagnerai plus que mes semblables. Gris Bordeaux est tout sauf loyal. Pourtant tout le monde me l'avait dit et j'avais toujours pris sa défense en me battant même parfois. Jusqu'à ce que cela me tombe dessus. Je peux lui pardonner un jour, mais je n'oublierai jamais, il m'a humilié devant les gens et cela m'a fait beaucoup de mal.
Allez-vous rester à Fass, malgré tout ?
J'espère bien rester à Fass parce que c'est l'écurie que j'aime. Mais si ce n'est pas un amour mutuel, cela n'a pas de sens. Je préfère rester à Fass, mais si je ne m'y sens plus chez moi, je préfère quitter et aller voir ailleurs, ou fonder ma propre écurie.
PROPOS RECUEILLIS PAR KHADY FAYE