La Cour suprême censure l'Armp
Rebondissement dans le gros projet de l'électrification rurale portant sur près 13 milliards de francs Cfa, financé par l'Inde et lancé en 2007. Alors que le dossier était géré entre l'Autorité de régulation des marchés publics (ARMP), la Direction centrale des marchés publics (DCMP), l'Agence sénégalaise de l'électrification rurale (ASER), voilà que la Justice s'invite dans l'affaire pour remettre en cause toute la procédure initiée par les organes de contrôle.
La Cour suprême vient d’ordonner la suspension de la décision de l’ARMP n°77/12/ARMP/CRD du 16 Juillet 2012 relative à une demande de l’ASER sur un rapport d’évaluation concernant la deuxième phase d’un marché d’électrification rurale financé par l’INDE pour un montant de 27,5 millions USD (13 milliards de francs Cfa). Dans la décision dont EnQuête a copie, il est bien mentionné que ''la Chambre administrative de la cour suprême (…) ordonne le sursis de la décision (…) et ordonne la restitution de l'amende consignée'' (voir fac similé).
La décision a été prise par cette juridiction lors de son audience du 23 août dernier, après une requête de la société indienne Angélique International, qui avait demandé au juge de ''déclarer nulle et de nul effet la décision de l'ARMP du 16 juillet 2012 pour violation de la loi, manque de base légale, erreur manifeste d'appréciation et dénaturation d'actes juridiques''. Cette décision de la Cour suprême, en attendant de statuer au fond de l'affaire, bloque la procédure de passation alors qu'en temps normal, un recours déposé auprès cette juridiction n'empêchait pas le déroulement de celle-ci.
Chronique d'une affaire de gros sous
Il faut dire que c'est là une des étapes d'une féroce bataille de procédures qui se mène depuis près de deux ans. Comme nous l'évoquions d'ailleurs dans notre édition du 17 mai 2011, après un premier appel d’offres entaché d’irrégularités organisé par l’ASER. En effet, après avoir modifié la composition de la Commission des marchés de l'ASER pour y insérer un certain Mamadou Aliou Diallo, Secrétaire général de TSE, société de l’homme d’affaires Cheikh Amar, Aliou Niane avait vite fait de contracter avec la société indienne Lucky Exports. Après une dénonciation de la société KEC International, ce contrat avait finalement été annulé par l’ARMP qui avait estimé que les règles de passation de marchés n'avaient pas été respectées. Depuis, un autre appel d’offres a été lancé.
Seulement, après évaluation des offres déposées, le 30 avril 2012, la Commission des marchés de l’ASER avait abouti à un constat de carence pour non conformité des 4 offres reçues et avait soumis lesdites conclusions pour avis à la Direction centrale des marchés publics (DCMP). L’organe chargé du contrôle a priori des marchés a répondu que l’ASER avait ‘’à tort’’ écarté ces soumissionnaires, puis a ordonné la reprise de l’évaluation des offres. En effet, là où l’ASER évoquait un défaut de validité de caution de soumission de trois des quatre entreprises participantes, (KEC International, Lucky Exports et MS Overseas Infrastructure Alliance) et de la non conformité de l’offre de la société Angélique International, la DCMP a estimé que c’est l’agence d’électrification qui les a induites en erreur dans les questions et réponses…
L’ASER s’est conformée aux recommandations de la DCMP à qui elle soumet à nouveau une nouvelle évaluation des offres. Mais cette fois, la DCMP refuse de donner son avis de non objection et l’invite à solliciter l’arbitrage de l’ARMP. Dans une décision datée du 16 Juillet 2012, le Comité de règlement des différends (CRD) décida que l’attestation présentée par Angélique Internationale était fausse et ordonna à l’ASER de continuer son évaluation en demandant aux trois entreprises de fournir un complément d’informations sur les cautions présentées.
C'est alors qu'Angélique International a saisi la Cour suprême pour sa défense, conformément à l’article 91 du Code des marchés (les décisions du CRD sont attaquables devant la Chambre administrative de la Cour suprême). Et sur sa requête, les magistrats de cette chambre qui a hérité des prérogatives de l’ex-Conseil d’Etat, ont décidé qu’il y avait assez d’éléments pour ordonner un sursis à exécution de la décision de l’ARMP. En d’autres termes, ce recours suspend le reste de la procédure alors que l’article 91 du Code dit que celui-ci n’est pas suspensif. Aujourd’hui les langues se délient et on se demande comment l’ARMP qui est connue pour sa rigueur pour des contrats de montants beaucoup moins importants, a pu prendre une telle décision avec autant de légèreté et d’imprécisions apparentes pour un marché de cette importance.
L'OMBRE DE KARIM WADE
Pour beaucoup d'observateurs, si Karim Wade était encore en poste, le dossier n'aurait pas eu cette tournure.
Dans un courrier daté du 12 décembre 2011, l'avocat Me El Hadj Oumar Youm adressait un courrier au ministre d'Etat, ministre de la Coopération internationale, des Transports aériens, des Infrastructures et de l’Énergie.
Le courrier faisait suite à une lettre datée du 16 avril 2011, dans laquelle M. Ibrahima Sar, ministre délégué chargé de l’Energie, intervenait directement dans le dossier.
L'avocat exprimait ainsi son ‘’grand étonnement’’ de son client (Ndlr, Enco) de recevoir une lettre informant de la ''décision unilatérale'' de Karim Wade de mettre fin au mandat de gestion du projet d'électrification rurale d'un montant de 42,5 millions de dollars.
Pour l'avocat, c'est en pleine exécution de la première phase de ce projet, alors que celle-ci touchait à sa fin, que les parties prenantes ont appris que le ministre de l’Energie d’alors, M. Karim Wade, sans même avertir l’ASER et ENCO, avait secrètement établi depuis plusieurs mois un second mandat au profit de la société TSE de Cheikh Amar pour faire le même travail.
|
Bachir FOFANA