Publié le 7 Oct 2021 - 03:41
DIFFUSION DE LA MUSIQUE SÉNÉGALAISE ET OUEST-AFRICAINE

Babylas Ndiaye diagnostique les Festivals aux potentiels peu exploités

 

Régisseur général du Circuit Manding, l’acteur culturel Babylas Ndiaye partage son expérience et dégage les marges de progression des festivals sénégalais, très en retard par rapport à ce qui se fait dans la sous-région.

 

Des exploits, le  Sénégal sait en réaliser. Quart de finaliste de la coupe du monde de football 2002 à sa première participation. « Production » de grands connus sur la scène internationale. Organisation à deux reprises du festival mondial des arts nègres (Fesman), en 1966 et en décembre 2010. Mais lorsqu’il s’agit de transformer l’essai, pour pérenniser ces coups d’éclats et construire autour de cela, les choses se compliquent. Des expériences pareilles se remarquent dans beaucoup de secteurs. Au sein de l’industrie culturelle, elles laissent de gros regrets aux acteurs ambitieux, à l’image de Babylas Ndiaye, régisseur de spectacle.

Son nom ne vous dit rien ? Normal. C’est son métier qui veut ça. C’est un homme de l’ombre. Dans un théâtre, une salle de spectacles, un festival en plein air... Babylas a l'œil sur tout. Il prépare l'accueil des artistes, achemine le matériel technique, encadre le personnel etc., avec comme objectif, que la représentation se déroule sans accroc. Et dans son domaine d’activité, il est loin de passer inaperçu. Au point d’assurer la formation d’une vingtaine de journalistes lors de la troisième session du salon journalistique Ndadje sur « l’état de la diffusion musicale, le cas des festivals en Afrique de l’Ouest ». Une initiative du GOETHE INSTITUT SENEGAL axée sur des conférences-formations pour renforcer la capacité des journalistes culturels.

L’organisateur de spectacle s’est fait un nom au Fesman, tenu à Dakar du 10 au 31 décembre 2010. En marge de cet événement de portée mondiale, une formation offerte par l’Etat du Sénégal a permis à tout une génération d’acteurs et techniciens culturels de bénéficier de formations sur la régie de spectacle et sur les rudiments du métier. L’opportunité leur était également offerte de mettre en pratique leurs connaissances lors du Festival. Parmi les bénéficiaires, Babylas s’est fait remarquer. Une grande réussite dans l’organisation a permis la participation à l’évènement de sommités mondiales telles que Youssou Ndour, Akon, Alpha Blondy, Busta Rhymes etc. 

Le Fesman, et plus rien…

Pour le fondateur et administrateur de la structure « Arts Et Culture Consulting », un constat était implacable : « Pour avoir une scène de qualité, il faut une architecture de son et lumières, une équipe rodée capable de la gérer. » Le cadre du  Fesman s’y prêtait, l’évènement pris en charge par le gouvernement du Sénégal. Mais un agenda culturel maigre fait qu’après avoir offert un spectacle apprécié de tous, il s’est trouvé à ne rien faire au Sénégal. Plus de grands Festival à se mettre sous la dent. Le coup d’éclat du Fesman a laissé place au néant. Au lieu de capitaliser sur cette formidable expérience, l’industrie culturelle sénégalaise s’est recroquevillée sur sa maigre programmation habituelle. Celle qui peine à attirer les poids lourds de la musique mondiale.

Ailleurs, dans la sous-région, l’on s’est inspiré du travail fourni par le régisseur sénégalais. D’autant plus que les talents de Babylas n’étaient pas passés inaperçus des artistes maliens ayant participé au festival des arts nègres. C’est ainsi qu’il reçut une sollicitation pour partager son expérience au Festival de Ségou sur le fleuve Niger. A travers d’autres modèles, les maliens ont cherché à pérenniser leur activité.

De sorte qu’aujourd’hui, ce Festival qui cherche à faire de Ségou une destination touristique majeure de l’Afrique de l’Ouest, dénombre plus de 30 000 festivaliers en 5 jours, sur 5 scènes à travers la ville. Chaque année, plus de 80 spectacles (musique, danse, théâtre, manifestations traditionnelles, etc.) y sont organisés. Sans compter les expositions internationales d’art, les Workshop et Master Class. Selon une étude d’impact réalisée en 2014, il a permis une injection nette de 16 milliards de FCFA dans l’économie locale, lors de ses 10 premières éditions.

Tout cela se fonde sur un modèle performant. Selon Babylas, « le festival sur le Niger accueille jusqu’à 70 000 entrées payantes de festivaliers. Il n’y a pas de possibilités pareilles au Sénégal  car le public n’est pas habitué à payer aller voir ces concerts. Ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays en Afrique de l’ouest. Cela permet de faire un festival sur une semaine et d’avoir assez de revenus pour payer la sono et les prestataires ». Le Festival de Ségou peut se permettre de dédier une équipe, durant toute une année, à la préparation de l’évènement. En Côte d’Ivoire, l’offre de prestations en Son et Lumières est abondante et de qualité. Au Maroc, c’est pareil ou encore plus. Les prestataires techniques, la scène, toute une industrie est organisée pour faire marcher les festivals. Et cela se passe au niveau local : Rabat a le sien, de même que Casablanca, Fès, etc. Ils ont le matériel et les infrastructures.

Un modèle économique sénégalais pas assez rentable

Le modèle économique sénégalais d’organisation de festivals de musique n'est pas assez rentable pour en pérenniser un, en comptant que sur ses propres recettes. « C’est le sponsoring et le parrainage qui font marcher ceux qui existent. Mais l’on ne peut pas compter sur la billetterie. En plus, on se partage les techniciens de qualité qui passent d’un festival à l’autre. Lorsqu’ils sont pris, c’est le néant », déplore celui qui administre le festival Xeman Jong Fa Fadiouth (dans la petite côte sénégalaise).

Malgré tout, l’expertise sénégalaise est reconnue et souvent sollicitée dans la sous-région. En atteste Babylas, qui est le régisseur général du Circuit Manding. Il s’agit d’un jumelage entre 4 festivals d'Afrique de l’ouest : le Masa d’Abidjan et le Djeguele Festival de Boundiali (Côte d’Ivoire), les Nuits Atypiques de Koudougou (Burkina Faso), et le festival sur le fleuve Niger de Ségou (Mali). Sachant que les équipements de qualité se font désirer en Afrique, cette organisation a acquis un matériel de Son et Lumières haut de gamme qu’il met à disposition de chaque festival. Ce qui permet d’attirer de grands artistes qui refusent de se produire sur du matériel de moindre qualité. Mais aussi de faire bénéficier les talents locaux de scènes parmi les plus performantes au monde.

Des festivals, il en existe au Sénégal : le Festival International de Jazz de Saint-Louis,  Festival Africa Fête, le Festival International de Folklore et de Percussion (FESFOP)​​​, Les Blues du Fleuve de l’artiste Baaba Maal, entre autres. Mais ils sont loin d’avoir les impacts notés par les autres modèles de la sous-région sur leurs communautés.  

Les retombés ne se confinent pas qu’au secteur culturel. Ces festivals se font, pour certains, loin des capitales. C’est le cas de Koudougou, de Ségou. Cela ne les empêche pas de drainer du monde et de tenir plusieurs activités en marge des prestations musicales. Cela concerne le tourisme, le commerce, les activités sociales.  En Côte d’Ivoire, la Fondation Magic System du célèbre groupe de musique du même nom, a construit 6 écoles publiques où l’éducation est gratuite. Le tout à travers les retombés de son festival des musiques urbaines d'Anoumabo (FEMUA). D’ailleurs, la 13ème édition, tenue du 7 au 12 septembre 2021, a consacré le Sénégal comme pays invité d’honneur.

Six écoles construites par Magic System en Côte d’ivoire, grâce au FEMUA

Pour arriver à de tels résultats au Sénégal, Babylas invite les autorités publiques à établir un agenda culturel annuel, de sorte que l’on puisse planifier tous les grands évènements dans le temps et agir en conséquence. Il faudrait également disposer d’un matériel haut de gamme en Son et Lumières. Et surtout, « ne pas tout attendre de l’Etat. Le spectacle son et lumière est un business sur lequel les hommes d'affaires doivent investir. Les gros moyens attirent les grands artistes et, par ricochet, les gros publics. Il faut que des poids lourds se mettent ensemble pour développer les infrastructures hôtelières qui vont avec ».   

Pour une meilleure diffusion de la musique au Sénégal, le Coordonnateur artistique du projet Deedo, une division du label Def Jam Africa estime nécessaire d’éduquer le public. Lui faire comprendre que les prestations musicales ne peuvent pas être tout le temps gratuites. Il y a beaucoup de travail derrière chaque album, chaque concert. Les acteurs de l’industrie musicale doivent aussi jouer le jeu. « Que ceux qui organisent soient également professionnels. Les concerts commencent à une heure précise et se terminent dans le temps imparti. Pour une salle de 1 800 places, on ne peut pas vendre 4 000 billets et laisser les spectateurs se débrouiller », conseille-t-il.  

En tant qu’Africain, Babylas se réjouit toujours de voir des frères de différentes nationalités travailler sur le circuit mandingue. Des exemples assez rares sur la scène de valeur culturelle sénégalaise. Même si de plus en plus, les artistes sénégalais s’ouvrent à d’autres genres musicaux et brisent le monopole du Mbalakh.

Lamine Diouf 

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