Le message du reggae, source d’inspiration
Face aux défis actuels de la jeunesse africaine, la culture rastafari offre une philosophie de vie qui, une fois mise en application, saurait taire tous les maux qui empêchent le continent noir de décoller.
De la traite négrière au néocolonialisme, l’Afrique a toujours servi des intérêts autres que ceux orientés vers son propre développement. Des voyages forcés par des négriers à ceux forcés des migrants clandestins vers l’Occident, la jeunesse africaine voit sa force de travail exportée. Avec cette différence que les armes ne tirent plus pour la mettre dans des bateaux en direction des Amériques, mais pour l’empêcher d’y accéder, grâce à toutes sortes de gardes-frontières. Au même titre que l’émigration irrégulière, le chômage endémique, la perdition juvénile, la colonisation intellectuelle, etc., sont bien des défis auxquels les jeunes Africains doivent faire face.
Pourtant, des orientations, il n’en manque pas. Il suffit d’écouter un langage qui leur parle. Une musique qui inspire depuis des générations. Car, au-delà des notes et du divertissement, le reggae offre une conscientisation sur la marche du monde et le rythme que les Africains devraient adopter pour maîtriser leur destin. Cet éveil, Cheikh Amala Doucouré en a fait un objectif de vie. Un chemin de tous les jours que le promoteur spécialisé dans la culture reggae arpente.
Le salon journalistique Ndadjé, initiative du Goethe Institut, a offert un cadre idéal d’expression à cet adepte de la culture rasta, pour former des hommes des médias au message du reggae face aux défis actuels de la jeunesse africaine. Et selon Amala, pour les proches, ‘’il est clair, net et limpide’’.
La libération politique n’est qu’une infime partie de ce qu’un homme peut faire pour son pays. C'est un hymne dont tout pays africain devrait faire une devise. Car celui qui détermine la façon de penser d’un peuple le domine sur tous les plans. Et cela, le plus illustre des chanteurs de reggae, Bob Marley, l’évoquait dans un de ses tubes aux textes encore d’actualité. Dans ‘’Redemption Song’’, le chanteur jamaïcain s’affaire à une formation mentale. Le second couplet de la chanson incite : ‘’Emancipate yourselves from mental slavery ; None but ourselves can free our minds ; Have no fear for atomic energy ; Cause none of them can stop the time ; How long shall they kill our prophets ; While we stand aside and look ?’’ (Affranchissez-vous de l'esclavage mental ; Personne d'autre que nous-mêmes ne peut libérer nos esprits ; N'ayons pas peur pour l'énergie atomique ; Car personne ne peut arrêter le temps ; Combien de temps tueront-ils encore nos prophètes ; Pendant que nous nous tenons à part et regardons ?).
‘’Qu’est-ce que nous pouvons faire pour que tout ce que nous faisons nous bénéficie en premier ?’’
Cheikh Amala Doucouré traduit un message qui, face à la misère et l’exploitation de l’Afrique, demande aux Noirs ‘’de se libérer, de cultiver ce que nous consommons et pouvons vendre au marché international. Transformons ce que nous produisons’’. Mais ça, on ne le comprend toujours pas, regrette-t-il. ‘’Qu’est-ce que nous pouvons faire pour que tout ce que nous faisons nous bénéficie en premier ? C’est cela la révolution reggae. Nous avons tout ce qu’il faut pour réussir : des terres fertiles, du pétrole, du gaz, des pierres précieuses. Mais nous demandons l’autorisation, copions des exemples d’ailleurs et cela ne nous réussira jamais’’, ajoute-t-il. Pourquoi vouloir quitter à tout prix le continent noir ? Le mirage d’un Occident à la vie parfaite reste encore tenace dans les esprits des jeunes Africains.
Musique d’immigrés née en Jamaïque avec des descendants d’esclaves, le reggae partage cette problématique de l’émigration irrégulière, un fléau que vit une bonne partie de la jeunesse africaine. Les Africains meurent par milliers dans la Méditerranée, alors que partout ailleurs, l'Afrique est décrite comme le continent du futur. Là où tout est à construire, contrairement à l’Occident où l’on ne fait plus que des investissements de prestige. Dans sa chanson "Ouvrez les frontières", le rappeur sénégalais Xuman use du reggae pour mettre les Africains devant leurs responsabilités : ‘’Pour ne pas avoir pu régler les problèmes en amont (mal gouvernance, pauvreté), l’Afrique est coupable de refus de trouver de plus durables solutions’’, chante-t-il.
Dans sa mission de délivrance du message du reggae, Amala présente également une émission radiophonique. Sa conviction est que l’Afrique a raté le virage de l’union. ‘’Au moment des indépendances, retient-il, lorsque les pays ont décidé de conserver les frontières laissées par les colons, Kwame Nkrumah a pleuré un échec cuisant, les peuples ayant raté la création des Etats unis d’Afrique’’. Le panafricaniste et ancien président de la République du Ghana a même déclaré qu’après avoir lu le livre ‘’Philosophy and opinions’’ de Marcus Garvey, un homme politique noir qui prône le retour des Africains exilés dans leurs pays d’origine, il s’est ‘’dressé sur ses deux jambes pour mourir pour mon continent’’.
‘’Peu importe votre nationalité ; tant que tu es noir, tu viens de l’Afrique’’
Le mal étant fait avec le morcellement des indépendances, Bob Marley, dans son titre ‘’Africa United’’, en 1978, demandait aux Africains installés sur et en dehors du continent de s’unir pour leur bien-être. Dans le même esprit, son compatriote Peter Tosh dit, dans une de ses chansons : ‘’Peu importe votre nationalité ; tant que tu es noir, tu viens de l’Afrique.’’
Le message que décrypte Amala est que l’on peut voyager autant qu’on le veut, mais les Africains doivent surtout chercher un moyen de rentrer pour développer le continent. Les diasporas africaines confrontées au racisme et à la montée de différents mouvements d’extrême droite en Occident sont interpellées. Tout en intégrant que le reggae est aussi porteur d’un message d’intégration et de métissage des cultures.
Avec un message aussi révolutionnaire face aux codes établis, le reggae s’est fait des ennemis. Surtout lorsqu’il s’est permis de créer sa propre religion : le rastafarisme. Marcus Garvey a prédit, en 1920, le retour d’un leader qui réunira les peuples noirs et sera l’incarnation d’un dieu africain unique. Au même moment, en Éthiopie, Halié Sélassié est couronné empereur du pays en 1930. Une de ses dénominations, donnée dès sa naissance, est Ras Tafari Makonnen, ce qui signifie ‘’celui qui est redouté’’. Garvey voit dans ce nouveau souverain la réalisation de sa prédiction et met à l’honneur ce dirigeant, considéré comme l’un des derniers représentants de la dynastie la plus ancienne du monde. Il se revendique ainsi digne héritier du roi Salomon. Il devient l’emblème des peuples opprimés, en particulier des Africains. En 1972, à travers Bob Marley, le reggae a introduit la doctrine rastafari avec l’album ‘’Catch fire and burning’’.
Si les rythmes et mélodies sont encore irrésistibles aux mélomanes, le message du reggae souffre, dans beaucoup de pays, à l’image du Sénégal, de ce ‘’blasphème’’ fait aux croyances religieuses très ancrées. Mais aussi de son image, tant il est simple de caricaturer ce mouvement en imaginant un fumeur de joint, portant des dreadlocks et remuant au rythme du reggae. Cela n’empêche tout de même pas la jeunesse africaine, décidée à couper le cordon ombilical avec l’ancien oppresseur, de s’identifier à ce message. Les discours politiques dans les chansons de Tiken Jah Fakoly sont appréciés par les jeunes Sénégalais parce que cela décrit les mêmes réalités entre la Côte d’Ivoire et leur pays. D’autant plus que ces jeunes ne sont pas les premiers à s’inspirer des pensées du mouvement. Amala raconte qu’’’Aimé Césaire a reconnu que l’idée de créer le mouvement de la négritude, avec Léopold Sédar Senghor, lui est parvenue après avoir visionné le discours de Halié Sélassié devant la Société des Nations en 1936’’.
Lamine Diouf