Publié le 22 Nov 2021 - 16:25
ÉLECTIONS LOCALES 2021

Le Sénégal a un incroyable talent

 

« Le Président de la République, Macky Sall a, par décret n°2021 – 562 du 10 mai 2021, fixé la date du prochain scrutin pour le renouvellement général du mandat des conseillers départementaux et municipaux au dimanche 23 janvier 2022 » avait titré un journal de la place, il y a quelques semaines.

La première question venue à l’esprit était : combien sont-ils, ces législateurs locaux ?

- « Un peu plus de deux mille (2.000) pour les conseils départementaux, plus de vingt-trois mille (23.000) pour les conseillers municipaux et un peu plus de deux cent (200) pour les villes », me diront les spécialistes.

En observant de loin toute l’énergie dépensée et ses corollaires (querelles, violences verbales, fourberies, déloyautés supposées et j’en passe), j’ai essayé de comprendre les enjeux et le nombre exact de postulants en compétition…. Je suis surpris et heureux de constater qu’autant de mes concitoyens aient des ambitions à profusion, des projets de société en veux-tu en voilà, et des engagements sans limite pour notre cher Sénégal.

Gageons simplement que ces différents projets soient pertinents et qu’ils soient en parfaite continuité territoriale avec le bréviaire du Sénégal qu’est le PSE. Je souhaite aussi que ce ½ million de candidats aient déjà une parfaite connaissance de la loi portant Code des Collectivités territoriale (A3D).

Le Sénégal a véritablement un incroyable talent car l’idéologie politique n’est qu’isolée voire même subsidiaire. Le communiste qui s’accommode avec le libéral, le trotskiste avec le socialiste et le religieux avec les verts, ça donne une idée bien africaine de la démocratie à la sénégalaise. Et pourquoi pas ? Pourquoi certains auraient l’outrecuidance de lancer des concepts comme « l’International socialiste » ou « l’Internationale libérale » et pas nous sénégalais, qui aurions un autre plus rassembleur et plus percutant, si tant est qu’il le soit ?

Trêve de plaisanteries, revenons à ces contrats de maires et de présidents de conseils départementaux, vis-à-vis du peuple. Juridiquement, ils sont à durée déterminée (5 ans). Mais ils semblent plus relever d’un challenge individuel pour les candidats, qu’un projet collectif pour émanciper les collectivités et, par translation, le Sénégal.

Ces CDD sont tellement convoités, que certains candidats en arrivent à des extensités ou pratiques peu orthodoxes, juste pour exclure des joutes finales, des adversaires suspectés d’être représentatifs auprès d’électeurs.

Ensemble, examinons les chiffres sur une base moyenne de vingt-cinq mille (25 000) postes à pourvoir :

En sous-évaluant, le nombre de coalitions en lice pour les élections du 23 janvier 2022 et en ne prenant en compte que les cinq principales, un calcul simple nous donne une idée des ressources humaines directement impliquées dans ces joutes électorales.

Chaque coalition devra fournir sauf exception quatre listes : une pour le scrutin majoritaire, une pour le proportionnel, et deux autres pour les suppléants.

Pour avoir le nombre total de candidats à ces élections, multiplions le nombre de postes à pourvoir par le nombre de listes et par le nombre de coalitions. Nous atteignons le chiffre astronomique de plus d’un demi-million de compétiteurs toutes listes confondues.

En analysant les chiffres sous un angle spatial, on est surpris de trouver qu'au moins, un électeur[1] sur dix (1/10) est candidat. Mieux encore, qu’au Sénégal, nous avons une « densité » de trois (03) candidats au km² (3/km2) pour les prochaines élections.

En examinant les têtes de listes déclarées, certaines corporations sortent du lot : avocats, fonctionnaires des impôts et domaines, pharmaciens et enseignants du primaire à l’université.

La plupart de ces leaders ont déjà des occupations ou responsabilités ailleurs qu’ils ne semblent devoir lâcher une fois élu. Mais c’est un autre sujet d’étude.

Pourquoi ces corporations en particulier ? Aucune idée.

En soi, c’est une excellente chose d’avoir des profils intéressants aux commandes de nos collectivités territoriales. Mais ces profils ont-ils vraiment la vocation et la pleine ambition de servir la collectivité pour la supposée émergence territoriale, ou considéraient-ils l’accession à la tête d’une mairie ou d’un conseil départemental comme un tremplin de réussite sociale ? Encore un autre sujet d’étude qui mériterait d’être pris en compte.

En bas des leaders (sur les listes, j’entends), on a toute une mosaïque de corporations qui s’échelonnent sans aucune logique cartésienne.  De l’enseignant au coiffeur en passant par la ménagère ou le coxeur illettré, il semblerait que les leaders composent leur futur organe législatif rural avec une légèreté qui frise la malhonnêteté. Ce n’est qu’une impression, elle peut s’avérer fausse, mais c’est notre ressenti.

Un ami nous disait à ce propos, qu’il y aurait des personnes inscrites sur des listes sans même savoir qu’elles compétissaient pour un siège dans une mairie ou dans un conseil départemental. Des jeunes mobilisés pour la circonstance iraient de concession en concession et demanderaient les pièces d’identité à ces pauvres citoyens analphabètes qu’ils rajoutent sur les listes, juste pour atteindre le nombre exigé par la loi. Inutile de préciser que ces personnes, une fois dans un conseil, ne serviraient qu’à lever la main en imitant celui qu’ils considèrent comme le leader. Les quelques pennys donnés en fin de session ou les petits billets distribués lors des grandes fêtes finiront par convaincre qu’ils étaient bien inspirés en donnant la pièce d’identité.

Avons-nous besoin d’autant de conseillers dans le cadre d’un bon fonctionnement de nos collectivités territoriales ? Quand bien même, ce nombre serait indispensable, ne faudrait-il pas encadrer toutes ces nouvelles vocations ? N’y aurait-il pas une possibilité d’évaluer les aptitudes de nos candidats ou devrions-nous nous contenter d’un alinéa peu rigoureux qui n’exige que la seule aptitude de savoir lire et écrire ?

Est-ce vraiment cela, le jeu démocratique ? Était-ce cela la démocratie ?

Et si la démocratie sénégalaise n’était qu’à l’image des réseaux sociaux tels que définis par Umberto ECO ? « Les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d'imbéciles qui avant ne parlaient qu'au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd'hui ils ont le même droit de parole qu'un prix Nobel. »

J’espère que non car le Sénégal a un incroyable talent….

Xavier DIATTA, Citoyen

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