“Un art de qualité contient toujours un surplus de sens’’
Il y a quelques mois démarraient les premières activités du Projet d’activisme artistique contre la corruption devenu Plateforme d’activisme artistique contre la corruption. Sa fondatrice et coordonnatrice Oumy Régina Sambou nous en dit un peu plus.
Comment est né la Pacc et quelles sont les grandes lignes du projet?
Elle est née suite à un appel à projet après notre participation au “Art Action Academy”. Ce dernier s'inscrit dans le cadre de l’intervention biannuelle intitulée “hubs régionaux de créativité": se servir des arts et de la culture comme moteur pour encourager les citoyens à agir contre la corruption, qui a des activités identiques dans les balkans occidentaux. L’objectif du projet n’est pas simplement de diffuser des savoirs mais d’autonomiser des artistes, des militants et des journalistes afin qu’ils soient plus efficaces dans leurs efforts pour stimuler l’engagement des gens sur les questions de corruption et ouvrir des perspectives sur des synergies significatives associant plusieurs thèmes et zones géographiques. A partir de toute une palette d’exemples contemporains et historiques d’organisation et d’activisme issus du monde entier, les participants étudieront les différentes façons suivant lesquelles la créativité culturelle a été utilisée pour renforcer la sensibilisation, bâtir des organisations, influencer des législatures et rédiger des politiques.
Pour la petite histoire, l’initiative s’appelait ‘’Lutte Contre la Corruption par l’Activisme Artistique’’ (LC2A). Le nom a été changé suite aux conseils de Birahim Seck du Forum Civil qui nous a proposé le Paac (Projet d’Activisme Artistique contre la Corruption) devenu la Paac (Plateforme d’Activisme Artistique contre la Corruption) afin de pouvoir dérouler plusieurs initiatives en même temps. En ce moment, dans le cadre de la 3e phase, nous sommes en train de dérouler le projet “l’art contre la corruption” avec des militants du Sénégal, de la Serbie et de la Macédoine.
Que veut dire activisme artistique?
Pour répondre à cette question, nous allons faire appel aux définitions qui nous ont été fournies dans le curriculum de cours que nous devions disséminer. Il s’agit d’abord de définir ce qui est du domaine de l’”activisme” et de l’”artistique”. L'activisme, comme son nom le suggère, est l'activité qui consiste à remettre en question et à modifier les relations de pouvoir. C'est ce que le politologue Harold Lasswell a un jour décrit comme "qui obtient quoi, quand et comment". L'activisme ne signifie pas nécessairement une manifestation de masse devant un siège du gouvernement pour demander plus de ressources. Cela peut tout autant signifier l'organisation d'un petit collectif de garderie entre les parents du quartier, donnant ainsi à la communauté le pouvoir de créer de nouvelles ressources pour elle-même. Il existe de nombreuses façons de faire du militantisme et d'être activiste, mais l'élément commun est une activité visant des résultats démontrables : que ce soit pour changer une politique, mobiliser une population, renverser un dictateur ou organiser un collectif de garde d'enfants. Le but de l'activisme est d'agir pour produire un effet.
L'art, en revanche, n'a pas de cible aussi claire. Il est difficile de dire ce pourquoi l'art est pour ou contre sa valeur résidant souvent dans sa capacité à nous montrer de nouvelles perspectives et de nouvelles façons d'apporter un sens à notre vie. Son impact varie d'une personne à l'autre. Il est souvent subtil et difficile à mesurer, et des messages confus ou contradictoires peuvent même être intégrés dans une œuvre.
Comme nous l'avons suggéré ci-dessus, à notre avis, un art de qualité contient toujours un surplus de sens. C'est quelque chose sur lequel nous ne pouvons pas tout à fait mettre le doigt ou décrire, mais qui nous émeut néanmoins. Son but, à supposer même que nous puissions utiliser ce mot, est de stimuler un sentiment. De nous émouvoir émotionnellement ou de modifier notre perception. Notre critique d'art préférée, Lucy Lippard le décrit ainsi, "L'art est suggestif. Les mouvements qu'il nous inspire sont généralement des e-motions".
En mettant cote à cote l’activisme et l’artistique, il s’agit de trouver l'équilibre entre l’affect et l’effet recherché. L’activiste, en se servant de l’art a plus de chances de passer à travers les filets des gouvernements répressifs, mais a aussi plus de chances de faire passer son message aux populations. Nous avons pu le constater avec les différentes actions que nous avons eu à mener sur le terrain entre Gorée, le Lac rose, l’école “Casa Italia” entre autres
Pourquoi la corruption ?
Nous n’avons pas choisi de parler de la corruption. Dès le départ, nous avons répondu à un appel à candidature qui avait pour objectif de former différents profils à l’activisme artistique dans le cadre de la lutte contre la corruption. Pour quelqu’un comme moi, qui ai répondu à cet appel à candidature, cela correspondait au genre de projets que j’avais envie de mettre en place depuis 2010 après avoir participé à un atelier de formation sur le journalisme d’investigation à travers l’analyse de documents organisé par le Forum Civil dirigé á l'époque par Feu Mouhamadou Mbodj. On s’est toujours dit qu’en se basant sur la culture, sur certaines expressions artistiques, il est possible de semer des graines, de faire connaître la corruption et ses méfaits sur notre économie, de sensibiliser et de pousser à un changement de comportement. L’Open Society Initiative (OSIWA) qui finance ce projet, après les résultats concluants dans les pays balkans, a décidé de tester cela en Afrique de l’ouest. Et on peut se réjouir que les résultats soient plutôt bons si après une deuxième phase, il y a eu une troisième phase. Et tous ceux qui ont participé à ces ateliers voient et essaient de répliquer ce modèle d'activisme artistique dans la lutte contre d’autres fléaux. Précisons que la formation de départ, c’était en collaboration avec le Center for Activism Artistic basé aux USA.
Comment s’est fait le choix des participants ?
Pour l’atelier de formation qui s’est tenu du 16 au 21 Mars 2021 au Lac rose, nous avons choisi des jeunes engagés à travers différentes associations. Nous pensions que si nous faisions un appel à candidatures, on pourrait ne pas avoir les moyens et le temps de faire une sélection de qualité. On a ciblé différentes associations actives sur le terrain, on leur a demandé de nous proposer des profils, ensuite nous avons eu un entretien avec chacun d’entre eux avant de confirmer leur participation. Il y a eu 10 profils de jeunes et moins jeunes. On a choisi des artistes rappeurs et comédiens, entrepreneurs, des comptables et chefs de projets entre autres.
Concrètement quel impact a eu le projet sur les participants, la population, etc ?
L’impact que le projet a eu sur les participants, je dirai que ça a renforcé leur engagement. Je prends l’exemple d’une artiste comme Sister LB: elle est très engagée, milite pour la cause des migrants, des femmes. Aujourd'hui, quand on parle de corruption, elle est aux taquets. Dans le cadre de la 3e phase, elle a produit un single, mais elle est aussi la porte-parole de la plateforme. Pour une cheffe de projet comme Marie Mbathio Ndiaye, cette expérience a été enrichissante à plus d'un titre et lui a permis d’enrichir sa palette de compétences. Et sa vision de l’art et de la culture a profondément changé. Elle s’est rendu compte de l'impérieuse nécessité de nous baser sur notre culture pour mieux comprendre et trouver des solutions à nos problèmes. Pour ce qui est de la corruption, nos participants ont compris sa nocivité vu qu’elle conduit à la dégradation des valeurs, à l'évasion des recettes, à la fuite de capitaux, à l'augmentation des coûts administratifs et au sous-développement en général.
Sur la population, lors de la performance artistique on a été surpris par l’engouement populaire. Les marchands de produits artisanaux et habitants du Lac rose appuyaient le discours tenu par les “artistes” du jour. Et c’est dans une grande discipline qu’ils ont suivi le spectacle et à la fin, ils ont dit toute leur satisfaction par rapport à cette forme d’activisme qu’ils découvraient. Certains qui étaient très engagés mais proches du découragement, ont repris leur bâton de pèlerin pour continuer. Et avec une association comme “Aar Lac rose” que nous avons connu en mars, ce 27 novembre nous avons procédé à une opération de reboisement sur les berges du Lac rose. L’objectif est de créer un espace vert autour du lac, attirer l’attention des autorités locales sur leurs initiatives hasardeuses qui peuvent nuire à cet environnement qui gagnerait à être préservé pour le bien de tous. Le lac rose, ce n'est pas seulement l’affaire de la commune de Tivaouane Peulh Niague, mais c’est un patrimoine national que nous devons tous sauvegarder. Ce serait dommage d’en faire une zone urbaine réservée à une certaine élite et exproprier les propriétaires implantés dans cette zone depuis plusieurs siècles.
Quelles sont les perspectives ?
La troisième phase des “hubs créatifs régionaux" nous a donné l’opportunité d'asseoir les bases de notre plateforme. La plupart de nos “alumnis” sont des volontaires sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour mener des activités en milieu scolaire. On a fait une première expérience avec une classe de CM2, on compte poursuivre l’aventure avec les clubs intégrité du Forum civil. Le Forum civil fait partie de nos soutiens depuis le début de cette aventure. Parmi les partenaires, il y a aussi le réseau des cybers activistes Africtivistes et bien évidemment Osiwa avec qui nous avons démarré cette aventure et qui nous permet de dérouler notre programme selon notre contexte local et avec nos propres idées.
Nous avons beaucoup d'éléments vidéos sur lesquels nous appuyaient, mais aussi des artistes qui ont bien compris les enjeux et qui sont toujours prêts à nous accompagner et des ressources humaines de qualité comme notre mentor lors de la phase deux et trois Wasso Tounkara et le coach en leadership transformationnel qui a réveillé en chacun de nos participants cette envie d’agir et de faire sa part à l’instar à l’instar du colibri de la légende amérindienne.
ARAMA FALL NDAO