Les progressistes à la croisée des chemins de leur destin politique
L'Alliance des forces de progrès (AFP) qui est au cœur des deux alternances en 2000 et en 2012, est à la croisée des chemins concernant son destin politique. Le départ de Moustapha Niasse du poste de secrétaire général, lors du prochain Congrès du parti prévu cette année, risque d'ouvrir la boîte de pandores des luttes et des querelles intestines avec comme possible conséquence une implosion du parti.
C’est une page de l’histoire politique du Sénégal qui s’est tournée en ce lundi 16 mai 2022, à la permanence de l’Alliance des forces de progrès (AFP) sise Sacré-Cœur, qui célébrait son 22e anniversaire. Emmitouflé dans son boubou blanc immaculé, la voix qui laisse paraitre un peu d’émotion (NDLR : ce n’est pas le genre de la maison) Moustapha Niasse, Secrétaire général de l’AFP et président de l’Assemblée nationale depuis septembre 2012, indique sa volonté de transmettre le flambeau à la nouvelle génération.
‘’La direction de l’AFP va fixer la date du Congrès du parti d’ici la fin du mois de juillet 2022. Cette rencontre se tiendra certainement dans le premier semestre de 2022, après les élections locales. À l’issue du Congrès, je ne serai plus le secrétaire général de l’AFP. Car je pense que 22 ans à la tête du parti, ça suffit largement’’, a précisé l’ancien homme fort du Saloum. Avant d’ajouter : ‘’Je crois qu’ils (NDLR : les jeunes) sont désormais prêts à reprendre le flambeau’’, a précisé l’ancien ministre des Affaires étrangères sous Diouf.
Ainsi, l’ex- homme fort du Saloum, avec ce départ, risque de laisser un trou béant au sein de la formation progressiste. L’AFP, qui s’est formée à la veille de la première alternance (16 juin 1999) s’est fortement identifiée à son leader Moustapha Niasse devenu entre-temps un des caciques de Benno Bokk Yaakaar (BBY) qui a pris le relais de Benno Siggil Senegaal. Les quelques tentatives de remettre en cause l’autorité du chef sont vite étouffées dans l’œuf.
Ainsi, la rébellion des jeunes cadres de l’AFP autour de Malick Gackou, Mamadou Goumbala et du patron des Jeunesses progressistes Malick Guèye, qui voulaient remettre en cause l’ancrage du parti au sein de BBY, se conclut rapidement en 2015 par l’exclusion de ces derniers. Seule constance dans son parti, toute dissidence (NDLR : Mata Sy Diallo, la ‘’Lionne du Ndoucoumane’’) est sévèrement annihilée par cet allié indéfectible du président Macky Sall qui a cédé au parti deux portefeuilles ministériels et six députés dans la législature sortante.
Au fil des années de la seconde alternance, le parti a vu son influence décroitre au sein de BBY au fil des années, au gré de l’appétit vorace des républicains soucieux de vouloir truster tous les postes. Pour preuve, sur la liste nationale (proportionnelle de la coalition majoritaire Benno, l’AFP ne compte que deux candidats investis aux 19e (Aminata Dia) et 24e places (Dr Malick Diop, porte-parole du parti).
Reprendre son destin, quitte à rebattre les cartes au sein de BBY où des voix dissidentes en provenance des partis alliés contestent de plus en plus la suprématie de l’APR ? Qui est en pole position pour succéder à l’ancien Premier ministre de Wade ? Quel doit être le positionnement du parti dans la perspective de la Présidentielle de 2024 ? Comment remobiliser les troupes qui ont largement souffert de la saignée vers le Grand parti de Malick Gakou ?
Autant d’interrogations auxquelles doit répondre le futur chef des progressistes. Une position qui aiguise les appétits et affine les ambitions des cadres comme Dr Malick Diop, Directeur de l’Asepex et ancien Maire de Point E ; Alioune Sarr, Ministre du Tourisme et des Transports aériens et Maire de Notto Diobass, et l’édile de Ngoundiane, Mbaye Dione font figure de favoris o la succession de Moustapha Niasse.
Pour l’heure, si aucune date n’a été annoncée pour la tenue du Congrès d'investiture du leader de l’AFP, l’heure est aux batailles de positionnement en perspective de ce Congrès
Un futur poste de président d’honneur pour Moustapha Niasse
Joint par téléphone, Zator Mbaye, le responsable des jeunes politiques de l’AFP, se veut prudent et parle de retrait de la vie politique et non de retraite politique de l’ancien responsable socialiste. ‘’Moustapha Niasse n’a jamais dit qu’il se retirerait de la scène politique. Il avait surtout indiqué qu’il se retirerait des fonctions administratives comme le poste de président de l’Assemblée. Il a aussi toujours prôné l’avènement des jeunes à la tête du parti. C’est un homme politique qui ne sera jamais à la retraite, mais seulement en retrait dans le fonctionnement du parti. Moustapha Niasse a lui-même décidé de ne plus être secrétaire général du parti. Personnellement, je le verrai comme président du parti ou président d’honneur du parti, car nous avons encore besoin de son expérience et de son expertise. De ce fait, nous aurons un secrétariat général qui se chargera de l’organisation et de la gestion quotidienne’’, a-t-il déclaré.
D’après l’ancien candidat à la mairie de Mermoz/Sacré-Cœur lors des dernières Locales, seul le Congrès qui s’organisera au terme d’un processus de renouvellement de toutes les instances du parti va leur permettre d’élire un nouveau SG et d’apporter des changements dans la direction du parti, avant d’indiquer que cette succession au poste de SG ne se fera qu’à travers une lutte saine entre différents cadres du parti. ‘’Nous ses enfants qui avons été formés par lui pendant plus de 20 ans, il doit y avoir deux ou trois qui pourront assumer la fonction de coordinateur au niveau du secrétariat général et Moustapha Niasse sera alors la personne morale. Nous avons des cadres aptes à prendre ce poste de secrétaire général et nous sommes dans la coalition BBY et nous comptons y rester, car le temps est au regroupement des grands ensembles au Sénégal’’, conclut l’ancien député progressiste.
Retrait de Moustapha Niasse de la tête du parti, risque de dislocation de l’AFP
Selon l’enseignant-chercheur en sciences politiques à l’UGB, Moussa Diaw, il faut prévoir des lendemains sombres, en cas de retrait de Moustapha Niasse, dans la mesure où cette figure politique aussi imposante et omnipotente au sein de l’AFP condamne le parti à se configurer. ‘’Des partis comme l’AFP sont emblématiques au regard de leurs leaders qui sont au centre de toutes les attentions. Et ces partis risquent de disparaître après le départ de leurs leaders. Le retrait d’un chef politique autour duquel est organisée la vie de sa formation politique va forcément nuire à la dynamique de ce dernier. Moustapha Niasse n’a pas d’héritier, ni de n°2 à qui il peut confier les rênes de son parti sans contestation interne. Aucun digne successeur ne se dégage avant leur Congrès qui devra désigner un nouveau secrétaire général. Ce qui pourrait conduire d’éventuelles dissidences et révoltes contre le nouveau SG du parti qui n’aura pas pu asseoir sa légitimité à la tête de l’AFP’’, a déclaré l’universitaire qui indique que le parti n’a pas su remobiliser autour d’un nouveau discours pour s’adapter aux nouvelles réalités.
Selon l’analyste politique, le grand risque pour l’AFP est la dislocation, avec la disparition progressive au sein des instances du parti de Moustapha Niasse. ‘’Des cadres défaits ou frustrés à l’issue du prochain Congrès risquent de claquer la porte du parti et de mettre sur pied de nouvelles formations politiques dans la galaxie progressiste. Ces batailles de leadership en perspective sont le fruit d’une absence de structuration du parti, car toutes les instances ne possédant qu’un seul baromètre ou référence Moustapha Niasse. Le parti a perdu de son ardeur depuis qu’il s’est rallié à BBY. Le parti a été noyauté par l’APR, même si on lui concédait quelques postes au sein du gouvernement. Le départ de Gackou et d’autres dissidents ont aussi affaibli le parti. Il n’y a pas une dynamique interne. Avec le départ de Niasse, ça risque de se disloquer’’, conclut-il.
Makhfouz NGOM