Le Mali accuse la France d’agression devant l’ONU
Le ministre malien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale a adressé une correspondance au président du Conseil de sécurité de l’ONU demandant une réunion d’urgence pour évoquer des cas d’agression française et de violation de l’espace aérien du Mali.
Le Mali et la France traversent une crise diplomatique dans leurs relations, depuis quelques mois. L’intensité de leurs désaccords est montée d’un cran, suite à une nouvelle saisine du Conseil de sécurité de l’ONU par les autorités maliennes. Dans une lettre adressée, le 16 août 2022, à Zhang Jun, représentant permanent de la République populaire de Chine auprès des Nations Unies, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale du Mali accuse les forces françaises d’agression.
Au président du Conseil de sécurité des Nations Unies, Abdoulaye Diop assure que ‘’le gouvernement du Mali dispose de plusieurs éléments de preuves que (des) violations flagrantes de l’espace aérien malien ont servi à la France pour collecter des renseignements au profit des groupes terroristes opérant dans le Sahel et pour leur larguer des armes et des munitions’’. La note appelle son destinataire à convoquer une réunion d’urgence du Conseil de sécurité sur ces questions.
Les autorités maliennes évoquent la ‘’résolution 3314 (XXIX)’’ de l’Assemblée générale des Nations Unies du 14 décembre 1974 pour lancer ces graves accusations au regard du droit international. En effet, celle-ci définit une agression comme : «L’emploi de la force armée par un État contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État ou de tout autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies…»
Espionnage, subversion, livraison d’armes aux terroristes…
Dans leur lettre, les autorités du gouvernement de transition au Mali assurent disposer de plusieurs preuves de violation de l’espace aérien malien par des avions français. D’ailleurs, plusieurs cas sont comptabilisés et détaillés dessus. Depuis le début de l’année 2022, Abdoulaye Diop et ses services révèlent que les forces armées maliennes (Fama), munies de nouvelles capacités, ont enregistré plus de 50 cas délibérés de violation de l’espace aérien malien par des aéronefs étrangers, notamment opérés par des forces françaises , sous différentes formes. ‘’Aux actes d'indiscipline caractérisés par des refus d’obtempérer aux instructions des services de contrôle aérien, s'ajoutent des cas d’extinction des transporteurs dans le but de se soustraire au contrôle. S’y ajoutent également des cas de falsification de documents de vol, ainsi que des cas d’atterrissage d’hélicoptères dans des localités hors aérodromes, sans autorisation préalable. De nombreux vols d’avions de renseignement et de drones évoluant en haute altitude ont été notés, qui se livraient à des activités considérées comme de l’espionnage, de l’intimidation, voire de la subversion’’, ajoute le ministre malien.
Un cas pratique partagé par les autorités maliennes, dans leurs accusations, est ‘’la présence d’un drone des forces françaises, le 20 avril 2022, au-dessus de la base de Gossi, dont le contrôle avait été transféré aux Fama, un jour plus tôt.’’ L’appareil aurait survolé le camp en vue d’espionner l’armée malienne, retient le ministère des Affaires étrangères.
De plus, ‘’les forces françaises se sont rendues coupables de subversion en publiant des images collectées par leur drone, montrant des civils tués. Des résultats de l’enquête judiciaire menée par les services compétents du Mali, il a été établi que les corps y avaient été disposés bien avant l’arrivée des forces maliennes à Gossi’’. Une manière de ternir l’image de l’armée malienne, assure la note. Cette déclaration revient sur la découverte d'un charnier à Gossi avec laquelle L'Etat-major français affirme avoir filmé des mercenaires du groupe russe Wagner en train d'enterrer des corps, pour accuser la force Barkhane.
Le Mali n'exclut pas de se défendre...
Les rapports se sont dégradés entre le Mali et la France, après le second coup d'État mené par les colonels en mai 2021 contre un président et un Premier ministre qu'ils avaient eux-mêmes installés, puis la révocation de leur engagement à rendre le pouvoir aux civils en février 2022. Les crispations se sont aggravées à mesure que la junte se rapprochait de la Russie. La France et ses alliés accusent les autorités maliennes de s'être assuré les services de la société de mercenaires russes Wagner. Le gouvernement conteste et parle de collaboration ancienne d'État à État.
Le Mali a expulsé l'ambassadeur de France en janvier. En mai, les autorités maliennes décident de rompre les accords de statut des forces (Status of Force Agreements, ou Sofa) qui fixent le cadre juridique de la présence au Mali des forces françaises Barkhane et européennes Takuba, ainsi que le traité de coopération en matière de défense conclu en 2014 entre le Mali et la France. Elles invoquent les "atteintes flagrantes" de la part de la France à la souveraineté nationale. Ce 15 août 2022, les derniers soldats français présents au Mali ont quitté le pays.
Dans sa correspondance à l’ONU, le ministre des Affaires étrangères rappelle que c’est en raison des suspicions de manœuvres de déstabilisation de la France que le gouvernement malien s’est fermement opposée à la demande de soutien aérien de la France au profit de la Minusma, afin que Paris ne se serve pas de la mission onusienne comme prétexte pour mener des opérations subversives visant à fragiliser davantage le Mali et la région du Sahel.
Ainsi, le gouvernement du Mali invite le Conseil de sécurité des Nations Unies, garante de la paix et de la sécurité internationale, à œuvrer afin que la République française, membre permanent du Conseil, cesse immédiatement ses actes d’agression contre le Mali. Toutefois, ces autorités assurent qu’en cas ‘’de persistance dans cette posture qui porte atteinte à la stabilité et à la sécurité de notre pays, le gouvernement du Mali se réserve le droit de faire usage de la légitime défense, conformément à l’article 51 de la Charte des Nations Unies’’.
La force Barkhane se dit insultée
Dans la presse française, l’armée française a réagi aux accusations portées par les autorités maliennes. Selon le général Bruno Baratz, ‘’pour nous, militaires français, qui avons toujours été transparents des autorités maliennes, nous trouvons que c’est insultant pour nos 59 camarades qui sont tombés en se battant pour le Mali et également pour la mémoire des Maliens qui se sont battus à nos côtés, mais aussi des personnels de la Minusma, des forces africaines de la Minusma qui sont tombées en luttant contre le terrorisme’’.
Le nouveau commandant de la force Barkhane prend même cette saisie de l’ONU comme une insulte : ‘’C’est un petit peu insultant de leur part, parce qu’effectivement, nous avons tout fait pour nous battre jusqu’au bout. Même au moment du désengagement, il y avait eu un accrochage entre le personnel de la 13e DBLE et un groupe de l’EIGS, faisant deux morts dans les rangs de l’EIGS. C’est étonnant de nous accuser aujourd’hui d’appuyer et de soutenir le terrorisme.’’
Lamine Diouf