Publié le 29 Oct 2022 - 12:07
FOURNITURES ARMEMENTS

Les précisions de l’Etat du Sénégal

 

Un consortium de journalistes a révélé les lignes d’un contrat de fournitures d’armes entre l’Etat du Sénégal et une société dénommées Lavie commercial brokers, détenu par un businessman trempé dans de sales dossiers. Le gouvernement a réagi par son porte-parole et apporte des précisions.

 

Il y a quelques jours, les termes d’un contrat liant l’Etat du Sénégal, à travers le ministère de l’Environnement, à la société Lavie commercial brokers ont été publiés par un consortium de journalistes. Il s’agit d’un contrat de fournitures d’armements d’un montant de 45,3 milliards CFA qui a fait l’effet d’une bombe. Puisque les journalistes y dénoncent des manquements. D’après eux, il ne respecterait pas les procédures de passation de marché. Hier, le ministre porte-parole du Gouvernement, Abdou Karim Fofana, a apporté des précisions.

D’après lui, ‘’de telles allégations sont dénuées de tout fondement. Le contrat dont il est question a été passé, conformément à la règlementation en vigueur. Il a été approuvé par les services compétents de l'État, sous le sceau du « secret défense », conformément aux dispositions du décret 2020-876 du 25 mars 2020 complétant l’article 3 du décret 2014 -1212 du 22 septembre 2014 portant Code des marchés publics, modifié par le décret 2020-22 du 7 janvier 2020 qui exclut du champ d’application du Code des marchés publics les travaux, fournitures, prestation de services et équipements réalisés pour La Défense et la sécurité du Sénégal et classé « Secret Défense » qui sont incompatibles avec les mesures de publicité exigées par le code des marchés publics’’.

Ainsi, précise Abdou Karim Fofana, ‘’les marchés estampillés « Secret-Défense » sont passés en principe par procédure d’entente directe qui est une voie dérogatoire au principe de l’appel d’offres qui ne permet pas de préserver le caractère confidentiel qui s’attache à la politique d’équipement de nos forces de défense et de sécurité’’.

Légitimité du ministère de l’Environnement à passer le marché ?

Par ailleurs, l’un des débats qu’a suscité la publication des articles publiés par le consortium OCCRP est la légitimité pour le ministère de l’Environnement d’acheter des armes. ‘’Le Gouvernement du Sénégal tient à préciser que le ministère de l’Environnement est fondé à passer des contrats d’armement au profit des Directions en charge des Eaux, Forêts, Chasses, Conservation des Sols et Parcs nationaux qui sont assimilés aux forces de sécurité et de défense conformément au décret N°2021-563 du 10 mai 2021. A cet effet, le Gouvernement du Sénégal voudrait rappeler que le contexte géopolitique marqué par le développement des mouvements terroristes et le trafic illicite de bois impose une réorganisation de notre dispositif sécuritaire avec des équipements de qualité pour le rendre beaucoup plus opérationnel en termes de capacité d’intervention et de riposte le long des axes frontaliers et des zones stratégiques’’, explique M. Fofana.

Il ajoute que ‘’le Gouvernement du Sénégal réitère sa ferme volonté d’une gouvernance des ressources publiques marquée du sceau de la transparence et de reddition des comptes. A ce titre, aucune entorse aux procédures régulières de passation de marché ne saurait être tolérée pour les autorités contractantes.”

En outre, dans les articles publiés, le fournisseur avec qui le Sénégal a contracté est présenté comme un brigand. Lavie Commercial Brokers, l’entreprise contractuelle, est logée en Israël et a été enregistrée par Aboubakar Hima alias Petit Boubé, qui a été accusé d’écumer des contrats d’armements surévalués. Outre les accusations contre lui au Niger, Hima est recherché par l’agence anti-corruption pour son rôle dans les contrats d’armements douteux d’une valeur de 400 millions de dollars, d’après l’OCCRP.

…Avenir Sénégal Bi nu beug

Ainsi, la plateforme Avenir Sénégal Bi nu beug réagit aux révélations et souligne que ‘’le Gouvernement est sorti de sa réserve pour enfoncer des portes ouvertes et confirmer tout ce qui lui est reproché. Non seulement, il confirme que le marché de gré à gré à bien eu lieu, même s’il se trompe sur le montant, mais il ne dit rien sur la qualité du sulfureux bénéficiaire de ce marché’’. Elle se demande, surtout, ‘’pourquoi a-t-on donné ce marché d’armes de guerre à des individus et des groupes dont on connait le manque de sérieux et la mauvaise réputation ? En outre, le Gouvernement peinera à convaincre, s’il veut faire croire que la norme relative au « secret-défense » pourrait être un alibi pour justifier toutes sortes de pratiques attribuant des contrats d’armement à des réseaux mafieux au risque de compromette la sécurité de notre pays’’.

En effet, souligne la plateforme, ‘’le décret 2020-876 du 25 mars 2020, complétant l’Article 3 du décret 2014 – 1212 du 22 septembre 2014 portant Code des marchés publics, modifié par le décret 2022-22 du 7 janvier 2022 qui exclut du champ d’application du Code des marchés publics les travaux, fournitures, prestations et services et équipements réalisés pour la défense et la sécurité du Sénégal et classés « Secret défense » mentionne bien les corps concernés : il s’agit des « forces armées », de la « police nationale » et la « brigade des sapeurs-pompiers ». Les Eaux-et-forêts ne sont mentionnées nulle part dans ce décret comme corps pouvant voir ses achats soustraits du code des marchés publics’’.

Avenir Sénégal bi nu beug veut également que les responsabilités soient situées dans cette affaire. Mais surtout, il faudrait, d’après eux, que les anciens ministres Abdoulaye Diallo et Abdou Karim Sall soient démis de toutes leurs fonctions, par mesure conservatoire, en attendant qu’une enquête soit diligentée sur cette affaire de marché de gré à gré. L’excuse du secret défense évoquée par le Gouvernement ne tient pas.  Depuis quand les « Eaux-et-forêts » font-elles partie des forces de défense, se demandent Cheikh Tidiane Dièye et Cie. Ils précisent que le décret cité dit clairement en son Article 2, pour plus de précision, que les ministres chargés de son exécution sont les ministres des Forces armées, de l’Intérieur et des Finances et du Budget.

‘’Fausses déclarations’’

‘’Le ministre de l’environnement n’y apparait nulle part. C’est pourtant lui qui est cité dans la signature du contrat offert à « Petit Boudé ». La volonté de lutter contre la coupe et le trafic illégal de bois ne peut justifier l’acquisition par le ministère de l’Environnement d’un arsenal de guerre qui ferait pâlir d’envie les armées de certains pays. La coutume dans notre pays, notamment en Casamance, c’est que l’armée et la gendarmerie appuient les Eaux-et-Forts dans leurs opérations. Ce n’est pas de doter ces dernières d’un arsenal militaire massif’’.

Dans le communiqué reçu à EnQuête, ‘’la plateforme demande à ce titre aux députés de la 14ème législature, en particulier ceux de l’opposition, de proposer la constitution d’une commission d’enquête parlementaire et à entendre les ministres impliqués sur la nature de cette implication et sur leurs complices’’. Elle interpelle également le Président Macky Sall sur les mécanismes d’acquisition des armes par l’État du Sénégal, étant entendu que, normalement, le ministère des Forces armées est la seule entité habilitée à acheter et à introduire des armes dans le pays à travers des procédures encadrées et sécurisées de bout en bout.

‘’La question de fond est, dès lors, de savoir pourquoi et en quoi le Ministère de l’environnement a-t-il lancé ce marché de gré à gré pour l’achat d’armes pour un montant aussi important ? Le Président Macky Sall était-il lui-même au courant de cet achat ? Si oui, pourquoi a-t-il laissé faire, sachant le caractère illégal et dangereux de ce marché ? Quelle est la nature du besoin ou des menaces qui justifieraient un tel achat hors des procédures légales par un ministère qui n’a pas qualité à le faire ?’’ Des questions que se pose Avenir Sénégal Bi nu beug.

Le président de l'UNIS, Amadou Gueye, parle lui de ‘’fausses déclarations qui prouvent que le gouvernement est pris la main dans le sac’’.  ‘’Sachant cela, le gouvernement invoque un nouveau décret (le décret 2022-22 du 7 janvier 2022) qui aurait été pris spécifiquement pour ce marché. C’est encore une fausse manœuvre, puisque aucun décret ainsi identifié n’a été publié au journal officiel, depuis le mois de janvier 2022 jusqu’à aujourd’hui. L’examen des journaux officiels depuis décembre montre que ce décret n’existe pas. S’il existait, il aurait été inscrit sur le contrat comme base de sa signature à la place du décret 2020-876 du 25 mars 2020, qui est expressément indiqué sur le contrat comme base juridique de sa conclusion’’, dénonce-t-il, dans une note parvenue à EnQuête. 

‘’Devant tant de manœuvres, poursuit-il, il faut se demander quels sont les objectifs visés par cette affaire louche ?  S’agit-il de se procurer des armes par voies de contournement des forces armées et à quelle fins ?’’

MAMADOU DIOP (STAGIAIRE)

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