Un face-à-face décisif !
Même si les forces de l’ordre sont fondées à lui interdire un itinéraire pour risques de trouble à l’ordre public, Ousmane Sonko n’est pas obligé de déférer à la convocation du tribunal dans l’affaire l’opposant à Mame Mbaye Niang. Sans mandat d’amener, les FDS doivent pouvoir lui laisser la liberté de rentrer chez lui, au risque d’être jugé par défaut réputé contradictoire avec toutes les conséquences y relatives. Dans tous les cas, ce face-à-face du 30 mars pourrait être décisif, après les deux premières tentatives. Décryptage avec les experts !
Ousmane Sonko a-t-il le droit de prendre la voie qu’il veut pour répondre à une convocation du tribunal ? Les forces de défense et de sécurité ont-elles la prérogative de l’en empêcher et de lui définir un itinéraire qu’il doit prendre par la force ?
Pour en savoir plus sur ce que prévoient les lois en vigueur, ‘’EnQuête’’ a essayé d’interroger des spécialistes et praticiens.
De l’avis d’Amadou Khomeiny Camara, rien n’empêche à la police ou à la gendarmerie d’interdire à un citoyen de ne pas prendre un itinéraire. Il déclare : ‘’En fait, je pense que la question qui se pose dans cette affaire, c’est comment concilier le droit d’aller et de venir du citoyen et la nécessité de préserver l’ordre public. Le principe, c’est que tout citoyen est libre de ses mouvements. Mais cette liberté, comme toutes les autres, est encadrée. Dans certaines situations, elle peut bel et bien être restreinte. Et cela incombe aux forces de l’ordre. Si vous regardez bien, tous les matins, il y a des voies qui sont fermées à Dakar pour en ouvrir d’autres. De même, si les forces de l’ordre estiment que si le citoyen prend cet itinéraire, cela est susceptible d’entrainer des troubles, elles ont la prérogative de lui indiquer un autre itinéraire’’.
Cela dit, le juriste s’interroge sur l’acte consistant à exfiltrer Ousmane Sonko et à l’emmener par la force comparaitre devant le tribunal. ‘’Pour que les forces de l’ordre puissent le faire, il leur faut forcément un mandat d’amener. Rien n’oblige, à mon avis, le prévenu de comparaitre. En revanche, s’ils ont un mandat, dans ce cas, ils ont la prérogative. En tout état de cause, je pense que quand il a dit qu’il va rentrer, les gens auraient pu le laisser rentrer tranquillement et le juger par défaut réputé contradictoire. À la limite, l’encadrer pour rentrer chez lui, s’ils le jugent nécessaire’’, explique-t-il.
Embouchant la même trompette, cet ancien OPJ revient sur la pratique. À la question de savoir si les FDS sont fondées à interdire un itinéraire à un citoyen, il rétorque : ‘’C’est une évidence. La police et la gendarmerie ont cette prérogative. Dans la pratique, ils requièrent toujours l’avis du préfet ou de l’autorité administrative. Ce dernier, à tous les coups, se range, car la police ou la gendarmerie sont plus à même de savoir les enjeux sécuritaires qui siéent.’’
Quid de la décision d’exfiltrer et d’emmener par la force le leader de Yewwi Askan Wi, il nuance : ‘’Je pense qu’effectivement, un mandat est nécessaire. Mais je peux t’assurer une chose : ils n’évolueront jamais dans l’illégalité. Tout acte qu’ils posent est motivé par un acte juridique.’’
‘’Jugé par défaut réputé contradictoire’’
Selon donc les spécialistes, Ousmane Sonko n’est effectivement pas obligé de déférer à la convocation du tribunal. S’il refuse d’emprunter l’itinéraire indiqué par les forces de l’ordre, il lui est donc loisible de rentrer chez lui et les forces de l’ordre ne peuvent le contraindre sans mandat d’amener.
Toutefois, cela comporte des risques pour sa défense. Cet avocat apporte des précisions : ‘’Dans le cas où il est jugé par défaut réputé contradictoire, la voie de l’opposition n’est pas possible. Le prévenu ne pourra que faire appel contre une telle décision, s’il arrive qu’il soit reconnu coupable. De plus, ses avocats n’ont pas droit à la parole.’’
À la question de savoir c’est quoi un défaut réputé contradictoire ? Il rétorque : ‘’Cela veut dire qu’on le considère comme présent, dès lors qu’il a reçu la citation.’’
Pour sa part, Ousmane Sonko a toujours protesté contre cette volonté, d’abord, de lui imposer un itinéraire ; ensuite, l’usage de la force pour l’emmener comparaitre au tribunal. ‘’Ce qui s’est passé, tout le monde l’a vu. Des gens qui disent que par la force je vais répondre au tribunal, alors qu’aucune loi ne m’oblige à aller au tribunal dans ce dossier. J’aurais même pu ne pas y aller et rester chez moi. Le juge, à la limite, peut prononcer un jugement par défaut. Il n’y a rien qui puisse justifier le fait de vouloir me faire comparaitre par la force. Quitte à briser les vitres de ma voiture, me blesser, mais plus grave encore, m’asperger d’un produit toxique. Cela montre tout simplement qu’il y a un acharnement inouï sur ma personne. Ces gens utilisent les moyens de l’État que leur a conférés le peuple pour anéantir des adversaires politiques...’’
Pour rappel, le 16 février dernier, Ousmane Sonko était invité à comparaitre dans l’affaire qui l’oppose à Mame Mbaye Niang. Suite au renvoi du procès sur demande de ses avocats, au retour du tribunal, il y a eu des divergences sur l’itinéraire à prendre entre lui et les forces de l’ordre. Finalement, il a été exfiltré de manière musclée et conduit directement chez lui. Le 16 mars, lors du deuxième face-à-face, il rencontre les mêmes difficultés, mais cette fois à l’aller. Comme pour la première fois, il a été exfiltré et conduit directement au tribunal. Ce qui a été à l’origine de grosses troubles à Dakar.
Ce 30 mars, il est attendu à nouveau au tribunal dans le dossier l’opposant au ministre du Tourisme Mame Mbaye Niang.
MOR AMAR