Un procès expéditif
Démarré à 9 h 48 avec la lecture, par le président, de l’assignation, le procès a pris fin à 11 h 36.
Après moult péripéties, le procès Mame Mbaye Niang contre Ousmane Sonko a finalement été tranché, hier, dans une ambiance plus ou moins calme.
Finalement, le tribunal a condamné le président de Pastef/Les patriotes, pour le délit de diffamation, à 2 mois avec sursis et à payer 200 millions F CFA à Mame Mbaye Niang. Il a cependant été relaxé pour les délits d’injures et de faux.
Mais la préoccupation des Sénégalais semblait ailleurs. Deux questions revenaient sans cesse au-delà de l’existence ou non de la diffamation. D’abord, est-ce que le juge va prononcer une peine qui l’empêcherait d’être candidat en 2024 ? Ensuite, il s’agissait également d’avoir des éclairages sur ce présumé scandale dans la gestion du Programme des domaines agricoles communautaires (Prodac).
Au tribunal, les débats ont surtout tourné autour de cette dernière question, c’est-à-dire laver leur client, le ministre Mame Mbaye Niang, à grande eau. À en croire les avocats de la partie civile qui ont été les seuls à prendre la parole du fait de l’absence du prévenu, la réponse est évidemment négative. Et les arguments n’ont pas manqué à Maitre Baboucar Cissé et Cie.
En réalité, ont-ils plaidé, il n’existe pas de rapport Prodac. ‘’Le rapport n’existe pas. Interrogé à la Dic, il avait invoqué un lapsus et avait dit qu’il s’agissait de l’IGF et non de l’IGE. Les enquêteurs lui ont dit : ce n’est pas grave, mais quelles sont les preuves ? Il a dit qu’il va les produire devant le juge. On attendait qu’il le fasse, mais il sait qu’il ne pourra jamais le faire. Les enquêteurs ne se sont pas limités là ; ils ont fait une réquisition à l’IGF pour demander s’il y a un rapport sur le Prodac. La réponse a été non. De plus, il faut savoir que l’IGF ne peut même pas auditer un ministre de la République’’, soutient la partie civile, non sans mentionner la qualité d’inspecteur des impôts du prévenu. ‘’Il est juriste de formation comme nous, de surcroit ancien inspecteur principal des impôts. Il n’est pas sans savoir tout ça. Il est juste de mauvaise foi’’.
Absence de rapport, jurisprudence ‘’L’As’’, excuses de Walf
Les avocats ont tenu à aller plus loin. Pour eux, même si le rapport existait et qu’il y aurait détournement, Mame Mbaye Niang ne saurait être tenu pour responsable, parce qu’il n’était pas ‘’ordonnateur, ni gérant ; il assurait juste la tutelle technique et administrative en tant que ministre de la Jeunesse d’alors’’.
À entendre les avocats, dans cette affaire, ils n’avaient qu’à croiser les bras, écouter la défense qui avait l’obligation de prouver ses allégations. ‘’En matière de diffamation, les choses sont inversées. Il revenait à la défense de produire les preuves qu’il disait détenir. Le simple fait de ne pas apporter ses preuves suffisait largement pour constater la diffamation. Le prévenu avait plusieurs fois la possibilité de le prouver’’, ont souligné les avocats qui sont amplement revenus sur le mode de fonctionnement du Prodac, dont le comité interministériel qui avait en charge le pilotage était composé de représentants issus de presque une dizaine de ministères.
Par ailleurs, dans leurs plaidoiries, les avocats sont largement revenus sur une jurisprudence qui porte sur la même affaire. En fait, précise Maitre Baboucar Cissé, ‘’le 5 mars 2020, le même tribunal avait condamné le journal ‘L’As’, pour les mêmes faits, à une peine de 6 mois avec sursis. Outre cette jurisprudence, notre client a eu à servir une citation directe à Walfadjri, qui s’est rapproché pour présenter ses excuses et avoir son désistement’’.
Dans la même veine, Ameth Aidara a eu à jouer les bons offices pour éviter à son groupe d’alors, la Sen TV, un procès. Quant au livre de Birahime Seck qui a été en quelque sorte l’élément déclencheur de tout ça, Me Cissé n’a pas du tout été tendre. Pour lui, si Mame Mbaye n’avait pas porté plainte à l’époque, c’est parce que M. Seck s’était rapproché de son père. À cette accusation, le coordonnateur du Forum civil n’a pas tardé de réagir. Sur son compte Twitter, il déclare : ‘’Maitre Baboucar Cissé, serez-vous capable d’apporter la preuve de ma prétendue ’demande de pardon’ ?’’.
Raillant ses confrères, Maitre Baboucar Cissé a soutenu qu’il aurait bien voulu les avoir en face pour voir quels arguments ils allaient servir à propos du lapsus de leur client. ‘’Ils étaient là pour nombre d’entre eux dans une affaire de diffamation (Madiambal Diagne contre Souleymane Téliko). Tous avaient considéré que le lapsus ne dédouanait pas le prévenu. Il aurait été intéressant de les entendre aujourd’hui pour savoir ce qu’ils vont dire’’, a-t-il argumenté.
Par ailleurs, les robes noires ont presque à l’unanimité mis l’accent sur la mauvaise foi du président de Pastef et sa volonté de nuire aux intérêts de leur client pour convaincre le juge à le condamner. Ils avaient réclamé 29 milliards de dommages et intérêts. Le juge leur en a accordé 200 millions F CFA.
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La défense privée de parole !
Loin de la bataille politique notée souvent hors du palais de Justice, devant le tribunal hier, la bataille a surtout été juridique.
9 h dans l’enceinte du tribunal, les hostilités peuvent commencer. En attendant d’entrer dans le vif du sujet, la défense demande la parole au président pour des questions préliminaires. Pour les avocats de la partie civile, ils n’ont pas droit à la parole parce que leur client n’a pas comparu.
Finalement, le président autorise à chaque partie de désigner trois intervenants, juste pour cette partie des préliminaires. Alors la défense formule une demande de suspension d’audience de 30 minutes, ‘’pour sa réorganisation’’. Motif principal invoqué, l’absence d’un de leur confrère, l’avocat français Me Juan Branco, qui a été empêché d’entrer au Sénégal. Ils ont aussi regretté l’absence de Maitre Ousseynou Fall, suspendu par le barreau.
À la suite des trois intervenants de la défense qui n’ont eu à invoquer que la nécessité de suspendre l’audience pour 30 minutes, en raison de cet imprévu, la parole a été donnée à la partie civile. Laquelle a estimé que l’autre partie ne faisait que du ‘’dilatoire’’ et qu’elle souhaiterait encore retarder cette affaire qui n’a que trop duré, avec trois renvois de suite : le 2 février, le 16 février, le 16 mars. Pour Me Baboucar Cissé et Cie, le prévenu, par son attitude, a montré qu’il n’a pas voulu se présenter. Il fallait donc retenir l’affaire et trancher une bonne fois pour toutes. Tout se passait plus ou moins sereinement jusqu’à ce que Maitre El Hadj Diouf prenne la parole. Il peste : ‘’Rien ne justifie une suspension de 30 minutes pour permettre à la défense de s’organiser. Il était convenu de démarrer à 6 h ; le prévenu avait été convoqué à 9 h… Vous avez été trop généreux en donnant la parole à la défense, pour tenter de faire comparaitre après l’heure un prévenu qui ne respecte même pas les institutions…’’
Coupé, il marque une petite pause pour signaler au président que Me Ousseynou Fall, assis juste derrière lui, lui aurait insulté de mère. Ce dernier se lève et lui rétorque : ‘’Ce n’est pas vrai ; je ne t’ai pas insulté, mais j’ai dit que tu mens…’’ Après une pause de quelques instants, Me Diouf reprend : ‘’Depuis le 2 février, on tente de faire du dilatoire. La demande de suspension est malvenue et elle n’est pas fondée. Les faits qui ont été invoqués ne relèvent pas du tribunal. Si un avocat a été empêché d’entrer sur le territoire, ce n’est pas la faute du tribunal. Si un autre est suspendu, ce n’est pas non plus la faute du tribunal. On ne peut donc se baser sur ça pour demander ici une suspension. Il faut oser le dire, cette personne n’a aucun respect pour les institutions et il a eu à le dire ici, dans ce tribunal’’.
Les avocats de la défense protestent à nouveau en s’inscrivant en faux contre cette accusation. ‘’Il ne l’a jamais dit’’, réfutent-ils dans le brouhaha.
Pour sa part, Me Cissé a trouvé léger l’argument de la défense selon lequel c’est à cause de l’absence des deux avocats que la défense demande une suspension. ‘’Dire que ces gens sont la pièce maitresse, c’est une insulte. D’autant plus que Branco dont on parle, il n’a jamais comparu devant ce tribunal. Sa constitution n’a été évoquée que le 16 mars. Comment son absence peut-elle constituer une entrave ? Monsieur le Président, il faut constater l’absence du prévenu et que l’on passe à autre chose’’.
À la suite de Maitre Baboucar Cissé, alors même que la défense réclamait à nouveau la parole pour poser une deuxième question préliminaire, à savoir le certificat médical d’Ousmane Sonko, le président interrompt tout et décide de retenir l’affaire.
Pour Maitre Ciré Clédor Ly, il s’agit là d’une violation d’un des principes les plus élémentaires de la procédure. Celui qui veut que dans une salle d’audience, la défense soit toujours la dernière à prendre la parole. Dans une confusion presque généralisée, le président entame la lecture de l’assignation comme pour montrer que sa décision est irrévocable. Le juge n’a rien voulu entendre sur le certificat médical, arguant que les interventions qu’il avait autorisées, alors qu’il n’était pas tenu, ont été épuisées sans que la question ait été invoquée. Ce qui a amené les avocats de la défense à bouder pour, disent-ils, ne pas être complices d’une forfaiture.
Dans son réquisitoire, le procureur avait requis, pour ce qui est du faux, deux ans dont un an ferme. Pour ce qui est de la diffamation, deux ans dont un an ferme. Enfin, pour ce qui est des injures, trois mois d’emprisonnement ferme. Toutes ces peines devaient être assorties d’un mandat d’arrêt, selon le procureur qui semble visiblement en vouloir au leader politique.
Pour justifier son réquisitoire pour le moins très sévère, il invoque le manque notoire de respect pour les institutions. Il peste : ‘’Il passe son temps à insulter les institutions, tous ceux qui lui disent non. À chacune de ses sorties, il tient des propos constitutifs d’infraction. Désormais, plus rien ne sera comme avant. Plus rien ne lui sera pardonné. Les faits sont graves et il persiste. Ce n’est pas acceptable.’’
Ciré Clédor Ly, Avocat Sonko ‘’C’est une véritable folie judiciaire’’ ‘’Lorsque la politique entre dans le palais de Justice, il appartient aux acteurs judiciaires d’être lucides. Sinon, c’est de la folie. Ce matin, nous avons assisté à une véritable folie judiciaire. Un tribunal qui a perdu son droit et son latin… Nous avons été contraints de le faire. Du point de vue principiel et du droit pur, chaque fois qu’on est dans une salle d’audience et que la parole est donnée, même le bambin qui n’est pas en 1re année de droit sait que la parole est donnée en dernier à la défense. Cela devait nous permettre de déposer un certificat médical qui permette de voir quelle règle de droit appliquer, parce que ça ne lie pas le juge. Mais le tribunal avait perdu son latin, ses moyens et était entré dans une logique où il fallait plus écouter les avocats. Nous ne sommes pas devant un tribunal, mais devant un organe en commandite. Le président n’a même pas voulu prendre acte du fait que nous avons produit ledit certificat. De plus, il y a une attaque manifeste contre la profession d’avocat. Le fait qu’on ait brutalisé et retourné manu militari notre confrère qu’on n’arrive pas à joindre. On ne sait même pas dans quel avion on l’a mis et où on l’a débarqué. On a empêché la défense d’exercer la profession. Il n’appartient pas à un État de choisir qui va venir défendre un citoyen et qui ne va pas le faire. Au moment où l’on empêchait M. Branco de venir défendre M. Ousmane Sonko, nous avons vu qu’un autre avocat venu pour la partie civile n’a connu aucune entrave.’’ MOUNDIAYE CISSE SUR L’ELIGIBILITE D’OUSMANE SONKO ‘’Il faut revoir les articles L28 et suivants du Code électoral’’ Sur l’autre question qui était très attendue par les Sénégalais, à savoir si le président de Pastef conserve son éligibilité, les experts s’accordent à dire qu’il conserve bel et bien ses droits. Interpellé, Moundiaye Cissé explique : ‘’Selon les articles L29 et L30, Ousmane Sonko va rester éligible. Il aurait fallu, soit une peine d’emprisonnement ferme, même d’un mois, d’une amende même de 200 mille ou d’un sursis de 6 mois, pour qu’il perde son éligibilité. Certains ont parlé de contumace, mais là on est correctionnel, c’est plutôt un jugement par défaut.’’ D’après lui, cela veut dire que non seulement le droit a été dit, mais le juge a eu aussi un souci d’équité et d’apaisement. ‘’Cela montre qu’on peut aussi faire confiance à la Justice. Comme je l’ai dit, il aurait suffi qu’il prononce une amende même de 200 mille. Il ne l’a pas fait, contrairement à ce que voulait le procureur’’, a-t-il justifié, non sans rappeler la demande de revoir les articles L28 et suivants sur l’éligibilité, conformément aux recommandations des différentes missions d’audit. |
Mor AMAR