Publié le 24 May 2023 - 11:35
ARRESTATIONS PRÉVENTIVES D’OPPOSANTS POLITIQUES ET D’ACTIVISTES

Une légalité à sens variable

 

Alors que les interpellations se multiplient dans ses rangs, l’opposition dénonce des arrestations préventives ou arbitraires.

 

Au moment où les caméras sont braquées sur le procès opposant l’ex-masseuse Adji Sarr à Ousmane Sonko (ouvert ce mardi 23 mai 2023), les arrestations de membres de Pastef, parti dirigé par la figure de l’opposition se multiplient. Les dernières en date sont celles de Djily Cissé et Pape Modou Coly qui ont été interpellés dans la nuit du lundi dernier à Pikine. Les deux militants ont été arrêtés en même temps que deux activistes du mouvement Frapp/France dégage, Daouda Guèye et Moustapha Diop.

Selon cette organisation de la société civile, Daouda Guèye, chargé de communication du Frapp, est accusé d’association de malfaiteurs, d’appel à l'insurrection et de trouble à l'ordre public. Quant aux trois autres interpellés, ‘’les enquêtes se poursuivent. En effet, au Sénégal, Macky Sall vous arrête et cherche après des charges’’.

Ces arrestations ont-elles une base légale, comme le dénoncent beaucoup d’observateurs de la scène politique ?

Le Frapp dénonce les méthodes de la police

Dans son communiqué, le Secrétariat exécutif national du Frapp dénonce énergiquement des ‘’méthodes qui classent le Sénégal sur la liste des États voyous, des États bandits qui agissent illégalement et violemment envers leur peuple’’. Depuis plusieurs années, ajoute la note, le Frapp attire l'attention sur ‘’cette partie de la gendarmerie qui n'est plus gendarmerie, mais voyouterie, malheureusement. Le SEN du Frapp tient à dire à l'opinion qu'aujourd'hui, c'est une partie de la police et de la gendarmerie qui est devenue une association de malfaiteurs, qui appelle par sa violence illégitime exercée sur les populations à l'insurrection et qui trouble l'ordre public’’.

Depuis la programmation des procès (en diffamation et viol) visant le leader de Pastef, plusieurs membres de son parti ou soutiens de Sonko ont été arrêtés. El Malick Ndiaye, secrétaire national à la communication du parti est sous bracelet électronique depuis le 27 mars, après un tweet dans lequel il indiquait qu’un ‘’individu habillé [d’un] uniforme de la Brigade d’intervention polyvalente [avait] aspergé d’une substance inconnue le président Ousmane Sonko’’.

Des délits d’opinion

Depuis ce matin, les syndicalistes des impôts et domaines ont annoncé une grève en soutien à l’arrestation, le 14 avril dernier, de Bassirou Diomaye Faye, secrétaire général et n°2 de Pastef, pour diffusion de fausses nouvelles, outrage à magistrat et diffamation envers un corps constitué, à la suite de la publication d’un post sur les réseaux sociaux où il critique le comportement de certains magistrats. Mouhamed Bilal Diatta, Maire de Keur Massar-Sud, a été arrêté pour appel à l’insurrection et offense au chef de l’État, après avoir dit à des jeunes d’entrer en résistance.

En dehors de ces têtes d’affiche, plusieurs membres ont été arrêtés en marge de l’annonce ou de l’organisation de manifestations. Selon Ousseynou Ly, membre du secrétariat national à la communication du Pastef, qui s’exprimait le mois dernier, ‘’au total, ce sont plus de 400 membres du parti qui ont été arrêtés à travers le pays’’.

Rien que des indices graves et concordants pour arrêter une personne

S’il n’y a pas de dispositions du Code pénal justifiant des arrestations préventives, la question de la détention provisoire dans le système judiciaire est controversée dans toutes les démocraties. Un accusé est considéré comme innocent tant qu'il n'a pas été jugé coupable par un tribunal.

Toutefois, souffle une source judiciaire, s’il existe ‘’des indices graves et concordants de nature à motiver l’inculpation d’une personne pour un délit ou un crime, ou la tentative d’un crime et d’un délit, l’arrestation préventive ou provisoire peut se justifier’’.

Trouble à l’ordre public, diffusion de fausses nouvelles, atteinte à la sureté de l’État, diffamation. Des accusations qui se fondent sur des propos souvent tenus sur les pages officielles des réseaux sociaux de ces personnalités politiques où elles dénoncent des dérives du pouvoir. Malgré les dénonciations des opposants, dans le système judiciaire actuel au Sénégal, ajoute-t-elle, ‘’les infractions visées dans ces arrestations sont tout le temps motivées’’.

Ce qui peut, en revanche, être déploré, c’est que les personnes arrêtées ‘’soient traduites devant le juge d’instruction pour pouvoir les garder sous mandat de dépôt’’.

Des manquements notés, une restriction des libertés

Les manquements de la législation sénégalaise sur les arrestations préventives ont été relevés depuis 2009 par le Groupe de travail sur la détention arbitraire, un mécanisme indépendant du Conseil des Droits de l’homme des Nations Unies auquel il fait rapport. Dans le document produit sur le Sénégal, il est a noté que sur la détention préventive, ‘’la durée limite de six mois établie par l’article 127 bis du Code de procédure pénale semblait respectée en matière de délits, alors que dans les affaires criminelles telles que : atteinte à la sureté de l’État, meurtre, détournement de deniers publics, le mandat de dépôt est valable pour une durée indéterminée’’. Appliquée à la situation actuelle, ce qui justifierait la saisine du juge d’instruction pour pouvoir garder certains détenus en prison. D’autant plus qu’en matière correctionnelle, déplore toujours le rapport, ‘’si le juge d’instruction n’ordonne pas la libération du prévenu, le régisseur de la prison est tenu de le libérer’’.

Malgré ces griefs, les modifications du Code pénal et du Code de procédure pénale intervenues en 2016 ont accru les restrictions des libertés. Selon Amnesty International, ‘’les deux lois portant modification du Code pénal et du Code de procédure pénale adoptées par l’Assemblée nationale du Sénégal le 28 octobre 2016, contiennent des dispositions liberticides. Ces lois contiennent des infractions liées au terrorisme qui sont vaguement définies et des dispositions répressives, notamment en matière de «bonnes mœurs» ou d’ «insultes» qui pourraient être utilisées pour réprimer l’expression d’opinions dissidentes, y compris par des défenseurs des droits humains’’.

Lamine Diouf

 

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