«Je l’ai vu en songe, ces jours-ci...»
Retrouvée à ''Gang Sagna'', le domicile familial sis au quartier Korentas de Ziguinchor en train de s’affairer autour de l’organisation des activités devant marquer le 10e anniversaire du décès de son unique fils Joseph Alexandre Samb dit «Petit Joe», disparu lors du naufrage du bateau le Joola, Martine Agboton se confie à Enquête.
Vous le surnommiez Petit Joe. Comment s’appelait-il ?
Il s’appelait Joseph Alexandre Samb. Il est né le 18 janvier 1982 à Ziguinchor. Il était étudiant en 1ère année de Géographie à l’université Cheikh Anta Diop. Il avait 19 ans. Il devrait en avoir trente (30) cette année. Il venait de passer ses vacances à Ziguinchor.
Avez-vous remarqué quelque chose de particulier le jour de son départ pour la gare maritime ?
Absolument rien. C’était un jour comme les autres. Il a fait sa valise et partagé les derniers moments avec ses amis. Puis sa tante Marie et moi l’avons accompagné au port. Sur place, je lui ai cherché de quoi dîner. Des saucissons, du fromage gruyère, entre autres. J’avais plutôt remarqué qu’en venant pour les vacances, il avait ramené tous ses bagages, alors qu’il était venu juste pour un mois. Je lui ai fait la remarque. Je lui ai demandé s’il avait été chassé de Dakar. L’autre fait qui m’avait frappé, c’était qu’avant la fin de ses vacances, il avait offert l’essentiel de ses habits. Il avait presque tout donné à ses amis.
Quels propos avez-vous échangés avant son embarquement ?
Pas grande-chose. J’ai informé une connaissance qui travaillait dans le navire que Petit Joe embarquait. Je retiens cette image de lui. En embarquant, il me disait, tout souriant, en balançant la main, maman au revoir.
Et soudain, le lendemain, vous apprenez que le bateau a chaviré ?
J’ai appris la nouvelle à mon lieu de travail, à l’hôpital Silence. J’ai dit à la personne qui m’a informée que mon fils y est. L’entretien s’est arrêté là. Quelques instants après, je suis rentrée, sans m'en rendre compte, pieds nus, dans le bureau du médecin. J’ai ensuite crié. Je lui ai dit que mon fils était mort. En vérité, je n’étais pas convaincue de sa disparition. Entre-temps, j’ai continué à faire mon travail. Quelques moments après, j’ai entendu des cris. Puis mon frère est venu me trouver à l’hôpital ainsi que ma cousine Mame Julia. J’étais très inquiète, mais je me disais : non il n’est pas mort, il sait nager, il peut s’en sortir. Je me disais du fond de moi, non il n’est pas mort. C’est une semaine après que j’ai accepté sa disparition. C’est dur. Mais cela devait arriver. J’ai accepté que ce fût son heure. En venant pour les vacances, il a tout ramené. Habits, livres, cahiers….tout. Il n’a laissé à Dakar que son ballon de basket. Certains signes ne trompent pas.
Ce mercredi 26 septembre sera célébré le 10e anniversaire du naufrage…
Oui, comme chaque année, je vais demander une messe pour lui. Je l’ai vu en songe ces jours-ci. Il était tout joyeux. Il m’a parlé. Il ne veut pas que je pleure. Cette année, je ne vais pas le pleurer. Il veut que je fasse quelque chose pour lui faire plaisir. Il aimait la vie. Il était plein de vie. Je vais organiser une fête en son honneur. Je vais inviter ses amis. Chaque jour, je cherche à comprendre ce qui s’est réellement passé. Comme il me l’a demandé, je ferai tout pour ne pas pleurer. (Elle garde le silence, puis se met à verser des larmes. Le temps de les essuyer, elle regagne la chambre).
Quelques instants après, elle ressort avec un bout de papier. Enquête vous livre cette lettre qu’elle a, récemment, écrite à son fils.
Petit Joe,
Déjà dix ans que tu es parti. Dix ans que tu as laissé un vide derrière toi. Un vide que j’essaie de combler. Dix ans que je te cherche sans succès. Dix ans durant lesquels je cherche à comprendre réellement ce qui s’est passé, en vain. Si dans mes yeux il y a encore des larmes, ce n’est rien. Cela passera. De toi, je garderai encore et encore ton doux regard que tu posais sur moi. Tu étais plein de vie. Tu aimais la vie.
Petit, comme j’aimais t’appeler, là où tu vis, ne m’oublie pas. Souviens-toi de ta petite maman, dans tes prières. Tes professeurs du Collège Sacré-Cœur se souviennent encore de toi. Tonton Albert Diémé, Tata Soda Diédhiou. Mimo et Ecoudiène ne t’oublieront jamais. Depuis que tu es parti Mimo et Ecou ne vont plus au CV/AV. Au moment où ils commençaient à prendre goût au mouvement, tu es parti. Mimo a réussi au Baccalauréat. Quant à Ecou, elle reprend. Prie pour elle.
Anty Germaine, ta grande sœur et ta complice à la fois, à qui tu confiais tout, Vitou ta petite sœur, ne les oublie pas dans tes prières. Anty s’est mariée et Vitou est chez sa mère. Appo ton ami de toujours et Louise ta meilleure amie se sont mariés. Leur fils est ton homonyme. Les fils de Luc Biagui, de Lucien Malack et de tant d’autres portent aussi ton nom. Ton premier homonyme s’appelle Petit Joe Diaz. Il est né le 08 mars 2003, six mois après ton départ. Il est le fils de tonton Ange et de Charlotte Badiane. Chaque soir, durant les vacances de 2OO2, tu quittais Korentas pour les HLM Néma où tu te rendais pour voir Charlotte qui était enceinte. N’est-ce pas que tu te souviens ? Un jour, je t’ai taquiné en te demandant si c’est réellement chez Charlotte que tu te rendais chaque jour. Tu m’as répondu en me disant que tonton Ange a voyagé. Et que tu te dois de lui tenir compagnie.
Petit Joe, ne n’oublie pas et souviens-toi de ta petite maman dans tes prières. Ne m’abandonne pas. La mort t’a emporté très tôt mais, malgré la distance, je sens en moi ta présence. Tu dois être grand, tu aurais eu 30 ans. Mais Dieu en a décidé autrement. C’était l’heure, ton heure. A toi mon Amour, je t’envoie des millions de baisers. Dans ton ciel étoilé, repose en paix. À cœur vaillant, rien n’est impossible.
Ta maman Martine Agboton.
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HUBERT SAGNA
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