Guerre de Communautés ou Guerre de Religions ?
« Il est plus facile de faire la guerre que la paix. »
Le conflit israélo-palestinien, parce qu’il risque de déboucher sur une catastrophe humanitaire, ne peut laisser personne indifférent ! Cependant, il est nécessaire de s’entendre sur la nature dudit conflit pour pouvoir envisager une véritable solution de sortie de crise. Guerre de Communautés (arabe et israélienne) ou guerre de Religions (juive et musulmane) : telle est la question ?
Quelques jours après que le gouvernement de Léopold Sédar Senghor eut notifié la rupture des relations diplomatiques entre le Sénégal et Israël aux autorités de Jérusalem, le président sénégalais recevait, d’un membre du Comité central de l’Association des Ecrivains hébraïques en Israël, une lettre personnelle. S’adressant au poète plus encore qu’au chef d’Etat, l’auteur de la missive exprimait son émotion et son regret devant une telle décision. Dans sa réponse, le président-poète précisait que ce sont des raisons politiques qui avaient été à l’origine de la rupture des relations diplomatiques avec le gouvernement israélien. Dès l’entame de sa correspondance intitulée « Aux noms des peuples souffrants », il écrivait :
« Comme j’ai l’habitude de le dire, quand on fait l’historique d’un problème, on l’a, à moitié, résolu. »
C’est ce que nous allons essayer de faire !
Si le véritable conflit israélo-palestinien a démarré avec la déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël en mai 1948, l’on ne saurait passer sous silence les évènements dramatiques qui avaient poussé le peuple juif à immigrer massivement en Palestine, à la recherche de la « Terre Promise ».
Ce sont les « pogroms » en Russie qui avaient déclenché le mouvement ; mais c’est surtout la « Shoah » ou extermination du peuple juif en Allemagne nazie et dans les territoires occupés, notamment en France avec le gouvernement de Vichy du Maréchal Pétain, qui a donné un coup d’accélérateur à l’immigration, d’abord légale parce qu’autorisée, ensuite clandestine devant l’interdiction des Anglais, à la suite du soulèvement des Arabes de Palestine.
Faut-il le rappeler, en 1917, par la « Déclaration Balfour » du nom de son ministre des Affaires étrangères, la Grande-Bretagne soutenait l’établissement d’un « foyer national juif » en Palestine, celle-ci était, à l’époque, placée sous la domination de l’Empire ottoman.
L’Empire ottoman qui avait soutenu l’Allemagne lors de la Première Guerre mondiale, fut démantelé à la fin de celle-ci, en 1918. La Société des Nations – l’ancêtre de l’ONU – donna alors mandat aux Britanniques d’administrer la Palestine.
La Seconde Guerre mondiale changea la donne. Après la capitulation nazie, l’Organisation des Nations Unies (ONU) vota un plan de partage de la Palestine avec la création d’un Etat juif, d’un Etat arabe, ainsi qu’un statut international pour la ville de Jérusalem, « la ville trois fois sainte ».
L’année suivante, en 1948, à la suite de la proclamation de l’Etat d’Israël, pour manifester leurs désapprobations, les armées égyptienne, jordanienne, irakienne, syrienne et libanaise lancèrent une offensive contre le nouvel Etat. Ce fut la première guerre israélo-arabe. Devant la détermination d’Israël, les armées arabes se retirèrent. Ce fut la « naqba » (la catastrophe) pour le peuple palestinien contraint de s’exiler massivement.
En juin 1967 éclata la troisième guerre israélo-arabe, la « guerre ses Six-Jours ». Une « guerre terrible et humiliante » dira le roi Hassan II. « En une journée, la Sainte « Al-Quds » était tombée, en même temps que la Cisjordanie, les hauteurs du Golan syrien et le désert du Sinaï, comme Gaza, parties de l’Egypte. Le pays des Pharaons fut ainsi défait amèrement. Ses escadrilles furent bombardées sur leur tarmac. Le président Nasser avait crié victoire avant l’éclatement de la guerre : « Il faut que les casques bleus sortent du golfe d’Akaba, je vais attaquer Israël ». La Jordanie fut privée de la moitié de son pays. Ce fut le drame pour le monde arabe ».
Une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU, sous le numéro 242, fut votée, cette année, pour préparer le terrain à une cohabitation pacifique judéo-arabe dans la région.
En octobre 1973, la quatrième guerre israélo-arabe éclatait à l’initiative des Arabes pour une soi-disant revanche symbolique. On l’appellera la « guerre du Kippour ». Elle eut lieu durant le mois du Ramadan. Les Israéliens pris au dépourvu, au début, ont pu retourner la situation en leur faveur grâce un soutien des Etats Unis, concrétisé par un impressionnant pont aérien.
Comme on le constate le différend israélo-arabe était à l’origine de nature purement politique, voire géopolitique : deux peuples sémitiques se disputaient la même terre. La religion s’est invitée dans ce différend, en 1969, avec l’incendie de la mosquée « Al-Aqsa » à Jérusalem, le troisième lieu saint de l’Islam. Devant la violation de la sainteté d’Al-Quds, le monde musulman s’est soulevé pour se jeter dans le conflit. Celui-ci devint dès lors le « différend israélo-islamo-arabe ».
La religion a pris une part tellement importante dans le conflit israélo-arabe qu’une résolution intégrale et définitive de celui-ci ne pourrait être envisagée que lorsque le problème spirituel de la ville sainte d’Al-Quds aura trouvé une solution satisfaisante.
Cependant, le conflit demeure purement politique et sa résolution ne pourrait être que d’ordre politique.
Vouloir lui conférer une dimension strictement religieuse, serait très « réducteur » à notre humble avis, et pourrait pousser à enfermer le conflit dans la région. Ce qui permettrait à l’Occident, notamment la France, de se donner bonne conscience, alors que sa culpabilité ne fait aucun doute, dans la déportation du peuple juif vers l’Holocauste. Pour se racheter de cette lourde responsabilité, les pays de l’Europe ont voulu réparer ce génocide en se rendant complices d’un autre génocide qui ne dit pas son nom. L’Occident et la Russie, parce qu’ils ont joué un rôle prépondérant dans la naissance du conflit, ont l’obligation de s’impliquer pour l’établissement d’une paix véritable entre les Arabes et Israël. En vérité, dans ce conflit, il ne peut y avoir de solution sauf par la voie internationale, comme le répétait le Général De Gaulle dans sa conférence de presse de novembre 1967.
Ce serait également comme si on voudrait donner raison au camp des extrémistes des deux bords, notamment le Premier Ministre israélien, M. Netanyahou et la droite nationaliste en Israël, ainsi que le Hamas, un mouvement islamiste, à Gaza, au détriment des partisans de la paix en Israël et dans le monde, de même que l’Autorité palestinienne dans les territoires occupés. En d’autres termes, ce serait privilégier le terrain de la lutte armée au détriment de la table de la négociation ! Ce qui équivaudrait à condamner le peuple palestinien à une errance pour l’Eternité, et à demeurer un peuple apatride. Car jamais il ne pourrait venir à bout du peuple israélien, par la force, dans ce combat qu’on pourrait qualifier « d’inégal ». Le rappel historique des faits ci-dessus le confirme !
Pour conclure, l’on peut retenir que cette guerre n’est ni une guerre de communautés, encore moins une guerre de religions, mais bel et bien un génocide où « l’extermination physique serait subordonnée à l’évacuation géographique ». Avec la complicité des Etats-Unis ! Cette complicité avec Israël ne vient pas seulement de la puissance d’un lobby juif. Selon Elias Sanbar, les Etats-Unis retrouvaient dans Israël un aspect de leur histoire : l’extermination des Indiens, qui, là aussi, ne fut qu’en partie directement physique.
Seulement nous sommes au XXIème siècle, et tous ceux qui sont impliqués - directement ou indirectement – dans ce crime de l’humanité, devront en répondre devant le Tribunal de l’Histoire, comme Hitler et ses complices.
Enfin, l’on ne saurait terminer cette modeste contribution sans souligner l’entière responsabilité des pays arabes de la région, notamment l’Egypte, la Syrie et la Jordanie, dans la situation actuelle de la Palestine : ils ont privilégié leur égoïsme au détriment des intérêts du peuple palestinien de disposer d’un Etat. Ce qui est recherché aujourd’hui leur avait été proposé, il y a soixante-quinze ans : l’ONU avait voté le partage de la Palestine en un Etat juif et un Etat arabe. Les Arabes, conscients de leurs forces militaires d’une part, et ayant sous-estimé la détermination du peuple juif d’autre part, avaient rejeté cette solution, pensant qu’ils n’allaient faire d’Israël qu’une bouchée, « en rejetant ses habitants à la mer ». Peut-être que s’ils avaient accepté ce partage, la situation aurait été différente, aujourd’hui, dans le Moyen-Orient !
Dakar, le 4 novembre 2023
CHEIKH TIDIANE CAMARA