Ousmane Sonko toujours privé de fiches de parrainage
Malgré deux décisions de justice ordonnant sa réinscription sur les listes électorales, le leader emprisonné de l’ex-Pastef se voit toujours refuser le droit de disposer des fiches de parrainage afin de poser sa candidature pour la Présidentielle 2024.
D’une situation à l’autre, l’Administration agit de manière différente, dans le cadre de l’exécution d’une décision de justice. Si elle avait brandi la poursuite de la procédure judiciaire opposant l’État du Sénégal à Ousmane Sonko devant la Cour suprême pour ne pas donner des fiches de parrainage au mandataire de ce dernier après la décision du tribunal d’instance de Ziguinchor, dans une même configuration où l’agent judiciaire de l’État n’a pas encore introduit de recours, elle prive toujours les précieux documents à l’opposant en perspective d’une participation à l’élection présidentielle du 25 février 2024.
Après s’être rendus à la Direction générale des Élections (DGE), Ayib Daffé, les avocats d’Ousmane Sonko et un huissier de justice ont été une nouvelle fois éconduits. C’est muni de la décision rendue le 14 décembre 2023 par le tribunal d’instance hors classe de Dakar que le mandataire du candidat Ousmane Sonko s’est à nouveau rendu à la DGE afin de disposer des fiches de parrainage, à une semaine de la clôture des dépôts (26 décembre). Mais le député de l’ex-Pastef n’a pas été reçu dans l’enceinte administrative.
Après 3 heures et demie devant la DGE, c’est tout désemparé qu’Ayib Daffé s’est exprimé devant les journalistes : ‘’Nous ne sommes plus dans le cadre d’une administration ou de service public. Nous sommes toujours dans ce que j’appelle du ‘banditisme administratif’. Parce que le ministre de l’Intérieur, Sidiki Kaba, a envoyé ici les éléments du commissariat de la Médina, ceux du GMI pour nous empêcher d’accéder au bâtiment, ainsi que notre huissier et nos avocats.’’
Ayib Daffé : ‘’Nous avons en face de nous de hauts fonctionnaires qui jouent au dilatoire, au jeu de cache-cache avec nous.’’
Pour le mandataire d’Ousmane Sonko, l’Administration sénégalaise reçoit des ordres d’un ministre de l’Intérieur qui appartient à l’APR (parti au pouvoir). Car, ajoute-t-il, ‘’on m’a demandé d’entrer, mais sans notre huissier. Ce n’était que des enfantillages. La DGE fait un travail de service public et tout le monde a le droit d’y accéder. (…) Nous avons en face de nous de hauts fonctionnaires qui jouent au dilatoire, au jeu de cache-cache avec nous. Nous reviendrons autant de fois qu’il le faudra. Ousmane Sonko sera candidat !’’.
En prison depuis bientôt cinq mois, Ousmane Sonko conteste devant les juridictions sénégalaises sa radiation des listes électorales qui l’empêche d’être candidat à la Présidentielle. L’opposant le plus populaire du pays a déjà bénéficié de deux ordonnances du tribunal d’instance de Ziguinchor et du tribunal d’instance hors classe de Dakar relevant l’irrégularité de sa radiation et sa réinscription sur les listes électorales.
Malgré tout, il est encore privé de ses fiches de parrainage, obligation à remplir pour déposer un dossier de candidature au Conseil constitutionnel.
‘’S’ils (les agents de l'Administration, NDLR) le font, c’est qu’ils savent qu’ils ont des garanties. Et bien qu’ils sachent que celles-ci sont éphémères. Tous ceux qui doivent être poursuivis le seront’’, prévient Me Ciré Clédor Ly. L’avocat de l’opposant ajoute que ‘’le mal qu’ils font n’est pas contre Ousmane Sonko, mais contre le peuple sénégalais qui a des acquis que personne n’a le droit de détruire. Il est temps que le président de la République dise à ceux qui sabotent la démocratie sénégalaise qu’ils en ont trop fait’’.
Déposer un dossier sans parrainage…
Les collaborateurs du maire de Ziguinchor ne comptent pas s’en arrêter-là. S’il faut déposer un dossier sans parrainage ou sans caution de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), ils sont prêts à le faire.
En effet, prévient le conseil, ‘’je vais accompagner Ayib Daffé au ministère de l’Intérieur, puisque je suis son avocat. Nous verrons si on va nous interdire l’accès comme avec la DGE. Nous irons également à la CDC. Chacun endossera ses responsabilités. Et de tout cela, Ayib Daffé en informera le Conseil constitutionnel qui verra que c’est l’Administration chargée d’organiser les élections qui est en train de les saboter’’.
Maitre Ciré Clédor Ly estime également que dans cette affaire, ‘’la communauté internationale n’a pas le droit de se taire. Il est temps que des observateurs soient envoyés au Sénégal, qu’ils parlent à ceux qui sont en train de baillonner la volonté du peuple. Pourquoi ce silence ? Il y a assez de morts, de blessés’’.
C'est dans ce cadre qu’un autre avocat d’Ousmane Sonko a saisi le secrétaire général de l’ONU sur la non-exécution de deux décisions judiciaires favorables à la candidature de l’opposant à la présidentielle. Maitre Saïd Larifou estime, dans une lettre ouverte, que le Sénégal assiste depuis des mois ‘’à la soumission de l’autorité judiciaire au pouvoir Exécutif au travers des différents jugements prononcés à l’encontre de Sonko, victime en outre de violences d’État et des persécutions militaires et administratives… Alors que le tribunal d’instance de Dakar statuant après cassation, estimant irrégulière la radiation de Sonko des listes électorales, a ordonné sa réinscription sur ces listes comme tout citoyen’’.
Un avocat de Sonko écrit au secrétaire général de l’ONU
À António Guterres, l’avocat relate sa préoccupation sur des conséquences préjudiciables et prévisibles pour son client qui s’est déjà vu refuser ‘’sans motif légal, donc abusivement, l’exécution par l’Administration, agissant sous l’autorité du président Macky Sall’’. Maitre Saïd Larifou rappelle aussi la non-exécution du jugement rendu le 12 octobre dernier par le tribunal de Ziguinchor, évoquant aussi l’irrégularité de la radiation de son client des listes électorales.
S’il estime nécessaire la saisine du secrétaire général de l’ONU, c’est que lors de la visite du président Macky Sall, en juillet dernier, pour rencontrer, à sa demande, António Guterres, l’avocat rappelle qu’il avait indiqué ‘’qu’il était respectueux des règles de droit en vigueur et de l’indépendance de la justice, tout en précisant à l’encontre du parti de l’opposition, Pastef, et de son président, son principal opposant Ousmane Sonko que les décisions judiciaires devraient elles aussi être respectées’’.
Lamine DIOUF