Un match judiciaire époustouflant
Dans les affaires impliquant Ousmane Sonko, les verdicts se suivent et se ressemblent rarement. Pour le moment, devant les juges, c’est presque l’égalité parfaite avec trois victoires pour Ousmane Sonko (1 dans l’affaire Mame Mbaye Niang ; deux dans l’affaire de la radiation ; 0 dans l’affaire Sweet Beauty). Contre trois victoires pour le régime (1 dans l’affaire Mame Mbaye Niang ; 1 dans l’affaire de la radiation et 1 dans l’affaire Adji Sarr.
La bipolarisation de la vie publique se propage. Après avoir infesté presque tous les secteurs : l’Ecole, l’Université, l’Administration, les médias, elle a fini de contaminer un secteur que l’on a jusque-là cru uniforme, solidaire et indivisible : la Justice. Aux magistrats dont les décisions bénéficient systématiquement au pouvoir, il faudrait désormais opposer ceux dont les positions sont systématiquement défavorables au régime. Alors peut-on parler de division ou de fronde dans la magistrature ? Ce magistrat précise : ‘’Je ne pense vraiment pas qu’on puisse parler ni de division ni de fronde. Je dirais plutôt que c’est l’exercice effectif de la liberté d’appréciation du juge dans un environnement politicien.''
Rarement en tout cas, les décisions de justice n’ont fait l’objet d’autant de controverse. Selon le bord dans lequel on se trouve, les décisions rendues sont plus ou moins satisfaisantes. Certains n’hésitent pas à porter au pinacle certains magistrats, jetant le discrédit systématiquement sur d’autres. Le critère le plus déterminant, c’est moins la pertinence du juriste, que le sens dans lequel il s’est prononcé. Directeur exécutif de l’ONG 3D, Moundiaye Cissé appelle à plus de raison et de retenue : ‘’On a rarement vu rarement l’Etat perdre autant devant un citoyen. Cela montre qu’on a quand même une bonne justice. Avec ses faiblesses certes, mais avec aussi ses forces. Je pense que ce sont les politiques qui doivent être plus fair-play, en acceptant et en se soumettant aux décisions de Justice, qu’elles soient favorables ou non. L’Etat doit également donner l’exemple.’’
Chez les avocats et les militants, le discours est tout autre. Quand on perd on insulte le magistrat ‘’corrompu’’. Quand on gagne on vante le magistrat ‘’modèle’’. Parfois, on n’hésite pas à afficher leurs photos sur les réseaux sociaux, qui pour les féliciter, qui pour les accuser de tous les noms d’oiseaux. De l’avis de Monsieur Cissé, il faut plus de sérénité dans l’espace public. ‘’Aujourd’hui, je pense qu’il est de moins en moins évident de prédire ce qui se passe devant le tribunal. A mon avis, c’est un indicateur suffisant d’une justice qui marche, même s’il faut l’améliorer. Car, il faut aussi le souligner, la justice ne doit pas être à géométrie variable, tout comme la posture et l’appréciation des acteurs politiques vis-à-vis de cette même justice ne peut pas être à géométrie variable.’’
Le désordre judiciaire
Dans tous les cas, le climat reste hyper-tendu dans les tribunaux, l’atmosphère lourde de soupçons. Par moments, l’adversité a atteint son paroxysme avec des juges obligés de reculer par craintes pour eux ou pour leurs familles. Le désistement le plus retentissant a été celui du juge d’instruction Mamadou Seck dans l’affaire Sweet beauty. Dans sa lettre de désistement, le juge invoquait les origines casamançaises de son épouse. ‘’Ma première épouse étant d’ethnie diola et originaire de Ziguinchor, je suis habité par la crainte de faillir dans le traitement objectif du dossier, conformément à mon serment’’, confiait-il s’appuyant sur l’article 71 du Code de procédure pénal.
Dans la foulée de ce désistement, un autre magistrat, acculé par la pression, avait été poussé à jeter l’éponge dans l’affaire Mame Mbaye Niang. Il s’agit du juge Pape Mohamed Diop, alors même que le tribunal l’avait confirmé, malgré sa récusation par les avocats de la défense. Finalement, il a été remplacé par le juge Mamadou Yakham Keita qui sera le premier à rendre un verdict dans les affaires impliquant Ousmane Sonko qui symbolisent le mieux ces dissensions dans les tribunaux.
Alors que les appréhensions étaient nombreuses sur l’indépendance de la Justice, le juge Keita prenait tout le monde de court et rendait une décision jugée favorable à Ousmane Sonko. Avec une condamnation de deux mois de sursis assortis du paiement de dommages et intérêt d’un montant de de 200 millions F CFA.
En fait, l’enjeu aussi bien pour Ousmane Sonko que pour Mame Mbaye Niang était la Présidentielle de 2024. Et la décision maintenait l’opposant dans la course à la présidentielle, malgré son absence au tribunal. Tout de suite, les défenseurs du régime l’ont accusé d’être un sympathisant du parti Pastef. Certains n’ont pas hésité d’aller sur sa page Facebook pour sortir d’anciennes publications et en déduire facilement qu’il est sympathisant du parti d’Ousmane Sonko et qu’il aurait tout fait pour qu’on lui confie le dossier. C’était le premier but du match. L’Etat interjette appel.
La révolte des tribunaux d’instance
En deuxième instance, c’est le premier président de la Cour d’appel, Amady Diouf, lui-même qui va siéger dans un premier temps. Par la suite, il se dessaisit et le dossier a été confié au juge Mamadou Cissé Fall. Lequel finira par prendre le contre-pied du juge Keita en portant la condamnation de deux à six mois avec sursis. C’était la peine que redoutaient tous les soutiens de l’opposant radical sous le prétexte qu’il serait synonyme d’inéligibilité. D’ailleurs, les avocats de l’opposant n’avaient pas tardé à se pourvoir en cassation pour une annulation de la décision. C’était la balle d’égalisation.
Depuis lors, le dossier dormait dans les tiroirs du parquet général dirigé par Mouhamadou Mansour Mbaye. Maintes fois annoncé, l’enrôlement n’a eu lieu qu’hier. Là encore, certains n’ont pas tardé à accuser le parquet général de vouloir retarder l’affaire pour qu’il n’y ait pas de décision définitive dans l’affaire Mame Mbaye Niang. ‘’Le procureur général a tout fait pour retarder le dossier. Mais de toute façon, il y a des limites à son pouvoir qui est encadré par la loi. Il est tenu par des délais qui sont obligatoires. Wiri wiri jaari ndaari’’, soufflait une source à EnQuête.
Un parquet qui échappe de plus en plus au contrôle
Dans les affaires impliquant Ousmane Sonko, tout le monde soupçonne tout le monde. Tout le monde accuse tout le monde. Et les verdicts qui se suivent se ressemblent rarement. Alors que le suspense n’est pas encore terminé dans l’affaire Mame Mbaye Niang, l’affaire de la radiation est venue en rajouter une couche. Cette fois, ce sont les tribunaux d’instance qui donnent le ton. Après le juge Sabassy Faye qui avait annulé la décision de l’Administration, son homologue de Dakar est allé plus loin en prenant le contre-pied du parquet du tribunal de grande instance de Dakar sur la purge de la contumace. L’Etat qui avait déjà remporté une manche s’est encore pourvu devant la Cour suprême et espère la remontada. Pour le moment, c’est Sonko qui a l’avantage avec deux victoires contre une défaite.
Ce débat n’épargne pas non plus la Cour suprême où des parquetiers supposés sous la tutelle de l’exécutif défient de manière manifeste la tutelle. Au moment où des juges supposés indépendants semblent plus ou moins favorables aux positions de l’Exécutif.
Dans l’affaire Sweet Beauty en revanche, la seule décision qui a été rendue a plutôt fait l’affaire des tenants du régime. Même si le juge avait coupé la poire en deux en disqualifiant les faits de viol en corruption de la jeunesse. Ce climat de suspicions a fini de démontrer que tout le monde a intérêt à ce que le pouvoir judiciaire soit à l’abri de tout soupçon. Les acteurs attendent à ce que les réformes soient mises en œuvre pour restaurer la confiance des populations envers la Justice.
MOR AMAR