Un chemin parsemé d’embûches
En un laps de temps, la proposition de loi est passée par le bureau de l’Assemblée nationale, la présidence, est retournée au bureau, avant de passer par la conférence des présidents et en commission des lois, ce dimanche. Le dernier acte sera posé aujourd’hui en plénière, mais les prolongations vont sans doute se jouer au Conseil constitutionnel avec les recours inévitables des députés de l’opposition.
La nouvelle est tombée comme un couperet. Samedi, le président de la République, dans un discours solennel à la Nation, a finalement confirmé ce que tout le monde redoutait depuis quelques jours. L’élection présidentielle n’aura finalement pas lieu le 25 février 2024. Le motif évoqué est le conflit entre les deux institutions que sont l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel. Depuis, tout est allé très vite.
Déterminé à concrétiser au plus vite ce projet jugé antidémocratique, le régime a mobilisé toutes ses énergies durant le week-end pour passer à l’acte dès aujourd’hui.
En effet, aux termes de la loi portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale, il y a une procédure particulière pour les propositions de loi. ‘’Les propositions de loi sont, après examen par le bureau aux fins de leur recevabilité, communiquées au président de la République qui doit faire connaître son avis au président de l’Assemblée nationale dans les 10 jours, à compter de leur transmission’’.
Ici, tout a été fait en mode ‘’Fast Track’’. En seulement quelques petites heures, le président a non seulement donné son avis favorable, mais également mis en branle toute sa majorité au Parlement pour matérialiser la requête du Parti démocratique sénégalais.
En effet, c’est le vendredi que le groupe parlementaire Liberté, démocratie et changement montait au créneau pour annoncer le dépôt de la proposition de loi portant report du scrutin. Dans la soirée, la présidence annonce une adresse à la Nation du président de la République. Le lendemain, dans ladite déclaration, Macky Sall annonce avoir reçu la proposition et décide de rapporter le décret portant convocation du collège électoral.
En termes plus clairs, l’élection est annulée et reportée sine die.
Dans la même journée, le projet retourne à l’Assemblée nationale, conformément à la loi, et est passé au crible par le bureau de l’Assemblée, ensuite par la conférence des présidents qui a arrêté le calendrier. Et pour pouvoir aller en plénière dès ce lundi, les députés ont été convoqués le dimanche à l’hémicycle pour finaliser les travaux préparatoires, avec la réunion de la commission des lois. Grâce à l’alliance entre le camp présidentiel (11 sur les 16 membres du bureau) et le camp du PDS (deux membres du bureau), la proposition a été adoptée sans grande difficulté.
La même tendance a également été notée au niveau de la conférence des présidents, avant que la commission des lois ne vienne finaliser le processus, hier.
Selon les informations, ladite commission a adopté la proposition à une majorité de 22 voix pour et 8 voix contre. Outre BBY et Wallu qui ont voté en faveur de la loi, on note les retrouvailles Pastef-Taxawu sur cette proposition.
C’est donc une étape importante qui vient d’être close par les groupes BBY et Wallu. Mais les jeux sont loin d’être faits.
En effet, contrairement aux procédures de révision des lois ordinaires, on est en l’espèce en matière de révision d’une loi constitutionnelle. Les procédures sont encore plus draconiennes.
Aux termes de l’article 103 de la Constitution, la révision de la Constitution se fait en principe par voie référendaire. ‘’Toutefois, le projet ou la proposition n’est pas présenté au référendum lorsque le président de la République décide de le soumettre à l’Assemblée nationale’’, prévoit l’alinéa 5 de l’article de ladite disposition. Dans ce cas, souligne le texte à l’alinéa suivant, le projet ou la proposition n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes (3/5) des suffrages exprimés’’.
C’est là l’un des obstacles auxquels devra faire face l’alliance Benno-Wallu aujourd’hui à l’Assemblée nationale. À supposer que l’ensemble des députés soient présents (165 députés), il faudra 99 voix pour que le projet puisse aboutir.
Pour rappel, actuellement, BBY compte 83 députés, Wallu 23 députés, ce qui fait un total de 106 députés. La moindre défection pourrait donc être fatale au régime. A noter que lors de la mise en place de la commission d’enquête parlementaire, 120 députés se sont prononcés en faveur de la proposition. Parmi eux, il y avait donc des membres de l’opposition radicale, dont ceux de Taxawu et du Pur. Ces derniers disaient être favorables à la commission tout en rejetant le projet de report.
Du côté de BBY également, certains disaient vouloir voter juste pour laver l’honneur de leur candidat, le Premier ministre Amadou Ba.
Un passage au Conseil constitutionnel inévitable
Même si la proposition passe aujourd’hui à l’Assemblée nationale, la hantise du président Macky Sall devrait se situer au niveau du Conseil constitutionnel qui est compétent pour contrôler la conformité du texte avec la Constitution. Il ressort de l’article 74 alinéa deuxième tiret que : ‘’Le Conseil constitutionnel peut être saisi d’un recours visant à faire déclarer une loi inconstitutionnelle’’, soit par le président de la République, soit ‘’par un nombre de députés au moins égal au dixième des membres de l’Assemblée nationale, dans les six jours francs qui suivent son adoption définitive.’’ Ce qui équivaut à 17 députés au plus.
La question qui se pose est quelle attitude le Conseil constitutionnel va avoir face à un tel recours ? Les sages vont-ils riposter face aux attaques de l’Exécutif et du Législatif ? Quelle sera la réplique de l’Exécutif et du Législatif, en cas de sanction par le Conseil constitutionnel ? Autant de questions qui se posent et qui montrent que le Sénégal est loin de sortir de l’ornière.
En tout cas, selon l’article 75 de la Constitution, ‘’le délai de la promulgation est suspendu jusqu’à l’issue de la décision du Conseil constitutionnel déclarant la loi conforme à la Constitution’’.
Il faudra, en tout cas, à l’Exécutif beaucoup de tact pour réussir à faire fléchir les membres du Conseil constitutionnel. D’autant plus que la loi leur confère une certaine garantie. Aux termes de l’article 5 de la loi organique n°2016-23 du 14 juillet 2016, ‘’iI ne peut être mis fin, avant l’expiration de leur mandat, aux fonctions des membres du Conseil constitutionnel que sur leur demande ou pour incapacité physique et sur l’avis conforme du Conseil’’.
Pour rappel, le Conseil constitutionnel comprend sept membres nommés par décret pour six ans non renouvelables, dont un président et un vice-président. Aux termes de l’article 4 de la loi organique susvisée, les membres du Conseil constitutionnel sont choisis parmi ‘’les magistrats ayant exercé les fonctions de premier président de la Cour suprême, de procureur général près la Cour suprême, de président de chambre à la Cour suprême, de premier avocat général près la Cour suprême, de président de cour d’appel et de procureur général près une cour d’appel…’’. Ils peuvent aussi être choisis parmi les professeurs titulaires de droit, les inspecteurs généraux d’État, les avocats.
Actuellement, six parmi les sept sages sont des magistrats. Le septième est un avocat. La loi exige une expérience de vingt ans pour les candidats au poste.
L’article 52 de la Constitution, un ultime recours !
S’il ne peut en principe mettre fin aux mandats des juges constitutionnels, le président de la République, en cas de blocage, peut bien recourir à l’article 52 de la Constitution pour s’arroger des pouvoirs exceptionnels. D’ailleurs, ces derniers jours, ceci a été beaucoup agité par certains observateurs.
Que dit ladite disposition ? ‘’Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire national ou l’exécution des engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate, et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ou des institutions est interrompu, le président de la République dispose de pouvoirs exceptionnels’’.
Selon la charte fondamentale, le chef de l’État peut, après en avoir informé la Nation par un message, ‘’prendre toute mesure tendant à rétablir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions, et à assurer la sauvegarde de la Nation’’.
C’est l’hypothèse que craignent beaucoup de démocrates, si les juges campent sur leur position.
Mor AMAR