L’onde de choc
La publication récemment de la liste des navires détenant une licence de pêche au Sénégal a constitué une onde de choc chez les acteurs.
Bouleversant ! C’est le sentiment le mieux partagé chez les acteurs de la pêche et certaines organisations de la société civile, depuis la publication de la liste des navires détenant des licences de pêche au Sénégal. Après avoir épluché de fond en comble la liste, ces derniers (Forum civil et Gaipes) ont organisé, hier, un atelier d’échanges avec les journalistes sur les enjeux et défis de la publication de la liste.
Les constats sont effarants. Il ressort des constats faits par Fatou Niang Ndiaye du Gaipes, qu’entre 2019 et 2024, le Sénégal a enregistré une centaine de nouvelles immatriculations. Elle précise : ‘’On a comparé au dernier listing de 2019 avec la nouvelle liste. Nous avons vu, avec grande surprise, pire que ce que nous imaginions, qu’il y a eu plus d’une centaine de nouvelles immatriculations entre 2019 et 2024. À titre d’exemple, de 1960 à 2019, nous étions 120 bateaux avec les licences de pêche. En cinq ans, on affecte une centaine de nouvelles immatriculations à des bateaux venus d’on ne sait où. Nous avons alors compris pourquoi ils avaient pendant tout ce temps refusé de publier la liste.’’
Sur la centaine de nouvelles immatriculations, 52 sont sur la liste des bateaux avec une autorisation de pêcher au Sénégal ; 49 navires ont été immatriculés, mais non attributaires de licences. Où sont-ils ? C’est la question qui doit être sur toutes les lèvres, si l’on en croit Mme Ndiaye. Qui peste : ‘’Nous supposons que ces bateaux sont bien quelque part. Parce qu’on n’acquiert pas un bateau pour le laisser à quai, le contempler. Puisqu’ils sont dans le pavillon et ne disposent pas d’autorisation, on peut bien se demander où ils sont. C’est un vrai problème. Peut-être ils sont en train de pêcher quelque part grâce aux accords que nous avons avec certains pays. Ils profiteraient indument de licences octroyées aux entreprises sénégalaises sans qu’on les connaisse.’’
Les participants sont largement revenus sur la grande nébuleuse autour de l’immatriculation des bateaux. Ils demandent à l’État de faire l’audit du pavillon pour remettre de l’ordre dans le secteur.
Président de la Confédération nationale des entreprises du Sénégal (Cnes) et membre du Gaipes, Adama Lam est revenu sur les critères requis pour avoir la nationalité : ‘’Pour prétendre à la nationalité sénégalaise, il faut que plus de 50 % du capital soit détenu par des Sénégalais. L’État a tous les moyens pour savoir si ce critère est rempli pour tous les navires du pavillon. Nous appelons de toutes nos forces que l’État fasse appliquer les textes. Que ceux qui respectent la réglementation puissent continuer à faire leur job, que les autres qui ne respectent pas les règles soient bannies du secteur.’’
Pour l’essentiel, ce sont les Chinois qui sont directement mis en cause avec leurs complices sénégalais. De 2006 à 2019, apprend-on, ils ont essayé d’entrer dans le pavillon, mais sans succès. ‘’Ils se sont arrangés pour aller en Guinée-Bissau, mais débarquaient leurs produits au Sénégal. Ce sont des sociétés qui n’auraient jamais dû entrer dans le pavillon. Les prises qu’elles font sont des prises illégales et la procédure prévue pour l’attribution est allégrement violée. Tout est illégal. Nous demandons à l’État de respecter sa propre réglementation’’, plaide M. Lam.
Pour Mme Ndiaye, c’est le pire cauchemar du secteur depuis que le Sénégal existe. ‘’On se rappelle qu’à la veille de l’élection de 2012, alors que l’on se battait contre quelques bateaux russes à qui l’on donnait des autorisations illégales, mais qui restaient dans nos côtes que quelque temps, Macky Sall avait pris l’engagement de les sortir de nos côtes. Pendant ces cinq ans, il a octroyé une centaine de licences sur des critères qui ne se justifient pas, surtout à des bateaux qui ont mis la pêche à terre, partout où ils passent’’.
Avertissement au Sénégal
À entendre les membres du Gaipes, ce serait plutôt ce carnage sur la ressource qui serait à la base de la décision européenne de donner un avertissement au Sénégal. À ceux qui soupçonnent une pression sur les nouvelles autorités, Adama Lam dit comprendre la préoccupation, mais estime que cette mesure sonne plutôt comme une alerte. ‘’On n’a pas d’éléments objectifs pour dire que c’est pour les négociations à venir. En tout cas, la réponse qu’on a eue quand on a posé la question, c’est que c’est une question d’opportunité. Ils ont soutenu qu’ils ne pouvaient prendre une telle mesure en période électorale. Cela aurait pu être interprété comme une prise de partie pour un camp. Maintenant que l’élection est passée et que le nouveau régime n’est pas comptable de ce passif, ils ont pensé que c’est le bon moment’’.
Les participants sont, par ailleurs, revenus sur l’importance du secteur de la pêche et la nécessité de lutter contre ces fraudes tous azimuts. De l’avis des participants, une mesure d’interdiction des exportations de produits sénégalais de l’UE pourrait avoir des impacts néfastes aussi bien sur le plan économique que social. Fatou Niang : ‘’Quand on parle des exportations, souvent, on pense à la pêche industrielle. Je pense qu’il faut voir la problématique de manière globale. La pêche artisanale représente 80 % des débarquements au port. Parmi ces débarquements, une partie est consacrée à la consommation locale : les ventes aux marchés, les ventes aux femmes transformatrices, mais il y a une partie importante qui est destinée aux usines de transformation qui emploient des milliers de personnes. Le poisson transformé est transporté pour certaines espèces en Europe ou aux États-Unis ou dans certains pays asiatiques.’’
Pour elle, c’est parce que c’est tellement important que l’État a mis en place des politiques incitatives pour les entreprises dans les secteurs, pour favoriser les exportations qui apportent des devises.
MOR AMAR