La fin du "Tube de l'année"
L’industrie musicale au Sénégal nous plonge chaque année dans un univers diversifié avec des chansons et des titres qui se démarquent, capturant ainsi les cœurs et les esprits du public. Il y a quelques années, le monde musical sénégalais accueillait le "Tube de l’année", un symbole de valorisation et de récompense pour le travail des artistes. Cependant, cette cérémonie a disparu du pays et l’on se demande bien pourquoi. À cet effet, nous avons mené une enquête en nous rapprochant de quelques responsables de ce phénomène musical qui, jadis, a été un succès et a impacté la culture sénégalaise, afin de comprendre les raisons de sa disparition.
Le "Tube de l'année" encore appelé tube de l’été, était plus qu'une simple récompense musicale. C’était un événement annuel attendu avec impatience par les artistes, les producteurs et le public. Il mettait en lumière le meilleur de la musique sénégalaise, créant une plateforme où les talents locaux étaient célébrés et reconnus. Le choix de la chanson était rendu emblématique et lui consacrait une notoriété, ce qui était un coup de promotion pour l’artiste et un booste pour sa carrière.
Pour comprendre les raisons de sa disparition, nous avons rencontré le présentateur de l’émission ‘’Ndekki-Li’’ à Sud FM, Nicolas Diop, également ancien organisateur du tube l’année au Sénégal. ‘’Le tube de l’année connaît une frénésie, car on ne parle plus de sortie de disques. On parle aujourd’hui de sortie de singles, et ces singles sortent à foison. Ce qui fait que les singles et les clips, on ne les compte plus et à ce rythme, on ne peut pas parler de tube. Un artiste peut vous sortir une trentaine ou une cinquantaine de singles en une année, alors qu’il n’a même pas d’album’’, explique Nicolas Diop.
Pour ainsi dire, l'évolution rapide des tendances musicales et l'essor des plateformes de streaming jouent également un rôle dans cette disparition. "Avec l'essor des plateformes de streaming et de téléchargement, les artistes peuvent maintenant atteindre leur public sans avoir besoin de cérémonies traditionnelles pour se faire connaître. La musique est devenue accessible à tout le monde. Les gens ne dépendent plus de radios comme avant, il n’y a plus de disques et les gens n’achètent plus, car on parle maintenant de clip et de nombre de vues sur YouTube et sur les plateformes de streaming. Donc, le 'Tube de l'été' n'a pas su s'adapter à ces changements, ce qui a contribué à son déclin’’, ajoute- t-il.
L’ancien organisateur revient sur l’une des particularités de l'événement. ‘’Quand je faisais le ‘Tube de l’année’, j’exigeais que les tubes sélectionnés soient extraits d’un album ou d’une compilation, afin que ce soit commercialisé. Aussi, pour le public qui votait, il pouvait au moins avoir accès à ces titres. Or, aujourd’hui, c’est le contraire ; le public a accès aux titres sur les plateformes digitales. Donc comment est-ce qu’on peut situer ces titres et en faire le tube de l’année ? Un artiste a une vingtaine de titres en une année. Lequel va-t-on choisir pour en faire le tube de l’année ? Donc, c’est assez complexe’’.
Pour Nicolas, c’est le fait que des morceaux sortent sans arrêt qui a ralenti cet événement.
Dans le même élan, le producteur audiovisuel, musicien et acteur de la musique, Michael Soumah, aborde le facteur du financement qui a été un obstacle pour la continuité du ‘’Tube de l’année’’.
Le ‘’Tube de l’année’’ était un concept marketing incrusté par les chaînes de radios et de télévisions en partenariat avec les maisons de disques et ces maisons de disques associaient certaines marques de produits pour financer le ‘Tube de l’année’’, car cet événement demandait beaucoup d’argent. Il fallait payer l’artiste, payer la promotion au niveau de la chaîne de diffusion et donc cela demandait beaucoup de moyens financiers et aujourd’hui, on note un manque de maisons de disques et aussi concernant les maisons de promotion et de production, la plupart n’existent plus, ce qui fait que le ‘Tube de l’année’ a reçu un coup. Sans un soutien financier solide, il est impossible d'organiser une cérémonie de cette envergure", explique-t-il.
Retour au contexte historique
Les années 80 et 90 ont marqué l'âge d'or de la musique sénégalaise, avec l'essor du mbalax, genre musical populaire qui fusionne les rythmes traditionnels sénégalais avec des influences modernes telles que le jazz, le funk et la salsa. Des artistes emblématiques comme Youssou Ndour, Baaba Maal et Omar Pène ont porté la musique sénégalaise sur la scène internationale.
C'est dans ce contexte dynamique que le "Tube de l'été" a été créé, afin de célébrer les talents locaux et reconnaître les contributions exceptionnelles des artistes à la culture musicale du pays.
Alioune Diop, journaliste culturel à Radio Sénégal international, nous plonge dans l’histoire du ‘Tube de l’année’ partant de France pour l’Afrique avant de poser ses valises au Sénégal. ‘’C’est à la fin des années 80 que le ‘Tube de l’été’ est né en France par Jean Caracos et son collaborateur Olivier Lorsac. Avec la production de la chanson ‘Lambada’ qui a été le premier ‘Tube de l’été en 1989.
Il poursuit : ‘’La ‘Lambada’ a été lancée par les musiciens du Touré Kunda, un groupe musical sénégalais. Le groupe a également sorti le titre ‘Emma’ qui a fait parler l’opinion, car il pensait que c’était un tube d’été, mais ce n’était pas le cas. Puis, il y a eu des tubes d’été avec des non-Africains tels que Ricky Martin avec son titre ‘Uno, Dos, Tres’, dans les années 96-97. Par la suite, le titre de l’année est revenu chez les Africains avec le ‘Alane’ de Wes Madico qui est distingué ‘Tube de l’été’’.
Dans son immersion, plusieurs Africains l’ont organisé. Au Sénégal, c’est Nicolas Diop et la direction de la Radio futurs médias qui s’en occupaient. C’est en ce sens que l’organisateur du ‘’Tube de l’année’’, Nicolas Diop, développe : ‘’J’ai créé le tube de l’année au Sénégal dans le but de faire la promotion de la musique urbaine, donc le rap. On l’a organisé pendant dix ans, ce qui nous a valu dix éditions et le succès était au rendez-vous.’’
Il revient sur le processus de sélection et l’organisation de la cérémonie. ‘’Chaque année, les animateurs hip-hop des différentes radios Zik FM, Nostalgie et la RFM de l’époque se réunissaient. Chacun venait avec des titres qu’il avait le plus passés durant toute l’année dans ses émissions. Ce qui faisait qu’on posait tout sur la table et on débattait sur le choix du titre qui méritait d’être sélectionné. Le reste était fait sur demande du public. On s’intéressait au nombre de fois auquel le titre a été joué en live et comment il était reçu par le public. C’est en fonction de ces critères qu’étaient sélectionnés les titres. La chanson qui avait le plus marqué les esprits et dominé les ondes pendant la saison estivale était choisie’’.
Il nous explique également que le nombre de titres choisis correspondait à l’année pendant laquelle le tube de l’année avait lieu. Donc pour l’année 2004, on a eu droit à quatre tubes ; pour 2005, cinq tubes et c’était la particularité de tube de l’année au niveau du Sénégal.
En ce qui concerne l’organisation de la cérémonie, il relate : ‘’Je me souviens que lors d’une cérémonie du ‘Tube de l’année’, non seulement elle était diffusée en direct, mais il y avait un bel engouement. On avait fait venir des artistes du Mali parmi lesquels Master Soumi qui cartonnait à cette époque.’’
Il souligne qu’une collaboration avec la chaîne ORTM avait permis d’organiser la cérémonie du ‘Tube de l’année’’. ‘’ Viviane Chidid était même arrivée à l’improviste, parce que c’était diffusé en direct et elle avait apprécié’’. C’était une façon de récompenser les artistes.
Avec ce succès, les artistes d’autres genres musicaux avaient sollicité que leur musique soit aussi prise en compte et que leurs chansons soient sélectionnées. Le ‘’Tube de l’année’’, chanson la plus écoutée, ou là plus jouée par les radios et les télés, était consommé par le public. ‘’C’est le public qui donnait à un tube une notoriété, car il le validait. Cette cérémonie a permis à plusieurs artistes de se promouvoir et de booster leur notoriété, surtout musicalement’’, relate Michaël Soumah. Ce qui nous fait penser à quelques artistes ayant obtenu le ‘’Tube de l’année’’ au Sénégal, dont Books et Coumba Gawlo qui avait repris le titre ‘’Pata Pata’’ de Miriam Makeba.
Une perspective du retour du ‘’Tube de l’année’’ au Sénégal
Une relance serait possible pour Michael Soumah. Il souligne, en effet, le facteur des technologies. ‘’Aujourd'hui, les technologies offrent une opportunité unique de relancer le concept du ‘Tube de l'année’ au Sénégal. Les plateformes de streaming et de téléchargement ont simplifié l'accès à la musique et permettent de mesurer facilement la popularité des chansons. On pourra voir quelle chanson fait le plus de vues, laquelle est la plus téléchargée pour nous aider à choisir une chanson’’, nous explique-t-il.
Quant à l’ancien organisateur du ‘’Tube de l’année’’, Nicolas Diop, il le rejoint de façon positive et contribue en rappelant que l’amour et la passion doivent être au cœur de cette activité, si elle revient. ‘’Je pense que le ‘Tube de l’année’ pourrait revenir, car récemment j’étais en Côte d’Ivoire et là-bas, ils sont toujours en train de valoriser leur musique. Donc, ce serait bien que le Sénégal marque aussi son empreinte en se faisant connaître par sa musique. Il faudrait juste qu’il y ait des promoteurs qui aiment la musique et qu’ils sachent faire évoluer les choses. Ce serait bien qu’ils le fassent avec passion et amour, parce que le Sénégal regorge de talents. Vivement que le ‘Tube de l’année’ revienne, même si ce n’est pas avec moi, cela fera la fierté du Sénégal’’.
THECIA P. NYOMBA EKOMIE