Publié le 27 Aug 2024 - 21:30
ALADJI PATHE KEUR MASSAR

Dix ans sous les eaux

 

Entre les eaux de pluie, les murs moisis, les briques juxtaposées, les herbes de marais et les motopompes, les populations du quartier Aladji Pathé de Keur Massar se battent contre les inondations depuis 2013.

 

Dix ans que ça dure. Dix ans que les populations du populeux quartier Aladji Pathé de Keur Massar vivent dans les eaux.  Sur place, les marques laissées par les pluies des saisons précédentes sont encore bien visibles. Et la situation n’est guère plus reluisante. ‘’C’est difficile, très difficile", lâche M. Diawara qui raconte avec beaucoup d’amertume leur calvaire presque permanent : "Nous vivons dans l'eau, nous mangeons dans l’eau et nous dormons dans l’eau ; et cela fait des années que ça dure. C’est devenu notre quotidien à chaque hivernage.’’

Dans ce quartier mal loti, à chaque hivernage, la joie de vivre cède la place au stress, à la tristesse et à la désolation. Aujourd’hui, plusieurs familles qui ont les moyens ont préféré aller vivre ailleurs, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Madame Diawara se remémore encore les durs moments vécus en 2017. ‘’Lors des inondations, il ne restait que nous dans le quartier. Tout le monde avait abandonné sa maison à cause des fortes pluies. Nous dormions sur des briques aménagées en lits de fortune à cause de la montée du niveau de l'eau dans nos chambres. Cette situation nous traumatise toujours", témoigne-t-elle.     

Enseignante, résidente depuis 2007, Mme Konaté est également témoin de ces douloureux moments. Aujourd’hui encore, elle s’en souvient : "J’avais perdu beaucoup de papiers très importants et des meubles de grande valeur. Nous avons été obligés de partir, car nous ne pouvions ni aller au travail ni vaquer à nos autres occupations. Nous faisions monter tous nos bagages sur une partie surélevée, à l’annonce de pluies, car la perspective de l’hivernage était terrifiante pour nous."

Les populations entre traumatisme du passé et anxiété du présent

De 2013 à maintenant, pas grand-chose n’a changé à Aladji Pathé. Les habitants, à l’instar de Mme Konaté et sa famille, sont pris au piège des pluies. La simple présence de nuages dans le ciel déclenche la peur et met certaines familles, soucieuses de préserver leurs biens, sur le qui-vive. Ce n’est pas de chance pour Mme Mané qui essayait de fuir une situation semblable dans son ancien quartier et qui a atterri dans ce quartier défavorisé. "J’ai quitté mon ancien habitat à cause des inondations et me revoilà dans ce quartier, je m’en remets à Dieu", confie-t-elle, impuissante.

Condamnés à vivre sous les eaux depuis des années, les habitants se sentent livrés à eux-mêmes. Le chef de quartier, Abdoulaye Kandé, exprime son désarroi : ‘’Malgré toutes les promesses, l’État n’a presque rien fait pour régler le problème de manière définitive, laissant notre communauté se débattre seule face aux eaux dévastatrices. Même si les sapeurs-pompiers tentent de limiter les dégâts, leurs efforts restent insuffisants pour répondre à nos besoins urgents.’’

Dans l’espoir d’un changement du cadre de vie

Ces sinistrés attendent ainsi des solutions définitives. Ils nourrissent l’espoir de voir leur quotidien changer, sans trop rêver cependant. À plusieurs reprises, M. Kandé a sollicité l'aide de la commune de Keur Massar, mais en vain. Il garde un souvenir lointain de la dernière aide de la collectivité. ‘’La commune nous a donné, une seule fois, un bon de 60 l d’essence et une motopompe, six mois avant les élections législatives (du 31 juillet 2022). À part cela, ce sont les habitants du quartier qui se cotisent pour évacuer l’eau’’, rapporte-t-il.

Mais ce que cherche Aladji Pathé, c’est surtout des solutions durables et définitives. Il y a plusieurs années, souligne M. Kandé, l’État leur avait parlé d’un projet de canalisation, afin de drainer les eaux pluviales. ‘’Mais nous n’avons rien vu à ce jour, aucun canal. Nous sommes les grands oubliés’’, soutient-il, déçu.

Une situation qui met en lumière le manque de suivi et de diligence dans la mise en œuvre des politiques publiques. Selon lui, leurs doléances sont restées sur une feuille plus de dix ans sans action concrète de l’État. Il souligne l'importance de la reconnaissance officielle du quartier par l'État pour faciliter les investissements nécessaires, notamment l'installation de canalisations. Cette reconnaissance permettrait d'améliorer les infrastructures du quartier et d'assurer une meilleure qualité de vie à ses habitants.  

Face à cette défaillance de l’État et de ses démembrements, ce sont les jeunes du quartier qui se mobilisent pour améliorer leurs conditions de vie. Un effort salué par Mme Konaté. "Leurs efforts et leur détermination à avoir un habitat meilleur nous ont permis de nous déplacer dans le quartier sans l’usage de petites pirogues ou de charrettes", confie-t-elle. L’enseignante de demander la mise en place de canalisations pour le quartier : ‘’Même si cette année il n'y a pas eu de fortes pluies, nous envisageons la survenue d’inondations. Nous demandons à l'État de nous venir en aide, car nous sommes fatigués et vivons dans une peur constante. Nous demandons aux autorités d'installer des canalisations, car elles nous l'avaient promis depuis des années.’’

FATOU BINTOU CISSE FALL (STAGIAIRE)

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