Les solutions de Seydina Limamou
Membre du comité scientifique de l'Appel des layennes, l'écrivain Ibrahima Abou Samb nous parle de la vision et des enseignements de Baye Laye sur le développement durable, la prise en compte et le comportement des générations futures.
Pour l'écrivain Ibrahima Samb, le Mahdi est celui-là même qui était prédestiné à remplir la terre de justice et d’équité, telle qu’elle était remplie d’injustice et d’iniquité : “Yamla ul arda ‘adlan wa qistan kamaa muli at jawran wa zulman.” Il est le porteur de la solution et des solutions. "Nous choisissons le singulier pour marquer la singularité de son enseignement et le pluriel pour mettre en exergue les différentes optiques que cet enseignement peut nous offrir. C’est dans cette pluralité que nous extirpons l’une de ces solutions afin de répondre à l’une des plus grandes questions de la modernité : le développement. L’islam n’est pas pour ou contre un régime. Pour la gestion de la chose publique, il se cantonne à poser des garde-fous et à proposer des solutions. Donc, c’est à nous de conformer le régime que nous avons choisi librement aux préceptes de l’islâm", explique M. Samb.
Ce qu’il faudrait comprendre, selon lui, est que le terme utilisé importe peu. ‘’À travers l’histoire, nombreux sont les concepts qui ont été utilisés, parfois à des fins de progrès, d'autres fois à des fins de domination. C’est ainsi que le concept de civilisation a permis à l’humanité de connaître des organisations socio-politico-économiques telles que l’Égypte pharaonique, la Rome antique, la Grèce, l’Éthiopie, la Mésopotamie, etc. Cette même notion de civilisation fut le prétexte pour la colonisation de Jérusalem par Rome, de l’Afrique par l’Europe, à travers les missions dites civilisatrices et d’autres prétextes politiques selon les contextes. C’est assez révélateur de constater que tous les conquérants ont accusé les peuples qu’ils avaient ciblés de barbares afin de justifier leurs actes. Ce fut le cas de la domination des Juifs par l’empire égyptien’’, poursuit-il.
À bien y penser, dit-il, la finalité de la civilisation n’est que l’épanouissement de l’homme, car si la barbarie est son contraire, on comprendra aisément que l’établissement de règles et d’un modèle d’organisation structuré ne sert qu’à assurer sécurité et dignité aux populations.
Il développe : ‘’Lorsque la notion de civilisation a fini par faire son temps, les tailleurs de concepts politiques nous ont fourni un autre prétexte : le développement. Toutefois, la notion de développement suit la même logique que celle de la civilisation. Quelle que soit la définition qu’on puisse lui attribuer, le développement ne peut être une fin en soi. Cependant, si la civilisation supposait la sortie des peuples de l’anarchie et de la barbarie, le développement fait plutôt appel à la notion d’évolution, de progression, de transformation.’’ Mais, souligne-t-il, dans la pratique, la distinction pourrait perdre de la valeur, car la notion ne cesse de subir des mutations.
Il s’explique : ‘’En effet, si au départ, le développement était synonyme de croissance économique, cette conception est, de nos jours, révolue. D’abord, on a considéré que l’homme n’avait besoin que de la croissance économique pour s’épanouir. L’argent était censé faire le bonheur. Cependant, au-delà du caractère contestable de cette affirmation, la prise en compte de la répartition équitable des richesses a été occultée. La notion d’équité, introduite dans le concept de développement, ramenait une dimension non pécuniaire que l’on avait jugé inopportun d’intégrer dans un concept qui concernait la sphère publique. La sécularisation était passée par là.’’
Or, fait-il remarquer : ‘’La dissociation de la sphère publique et privée, étatique et religieuse, morale et économique, faisait qu’on évitait le plus possible de parler de morale et d’éthique dans le monde des affaires. On s’est vite rendu compte que la croissance économique, à elle seule, ne pouvait rendre compte des conditions de vie d’une population, de son niveau d’épanouissement." Ainsi, souligne l’écrivain, ‘’techniquement, la croissance économique peut profiter plus aux investisseurs étrangers si la majorité des recettes sort du pays, c’est le cas d’un pays comme le Sénégal en 2025. Tant bien même que cette croissance profiterait à la population, elle ne garantirait pas le bonheur, car si les retombées ne sont pas réparties équitablement, cela pourrait être gage d’instabilité’’.
À partir de là, ajoute Ibrahima Samb, la notion a alors évolué en intégrant des leviers tels que l’indice de développement humain (IDH) qui prend plus en compte la dimension de bien-être et celle de bonheur, même si celui-ci n’est pas quantifiable.
‘’En effet, dit-il, il existe des indices qui montrent qu’un peuple est malheureux même s’il est riche, tels que le taux de suicide et de dépression, et c’est récemment que la notion de responsabilité fut introduite dans la conception du développement avec la naissance du concept de développement durable’’.
Partant de là, il souligne que le développement ne consiste plus en l’accumulation de richesses (croissance économique) ni à la recherche du bonheur crypto-personnel (développement humain), mais consiste, pour l’homme, à assumer la responsabilité qu’il a sur terre.
‘’Ainsi, le développement prend une tournure nouvelle en imposant une utilisation responsable des ressources naturelles, en prenant en compte les générations futures. Cela passe par la protection de l’environnement, qui est l’élément central au cœur de toutes les réformes de ce siècle. C’est la prise en compte de cette dimension écologique qui a donné naissance à des outils tels que la responsabilité sociétale des organisations (RSO) et les études d’impact, devenues obligatoires dans l’exploitation des ressources naturelles ou la réalisation de travaux publics", indique M. Samb.
La solution proposée par le Mahdi
C’est là qu’il convoque le Mahdi en soulignant que la conception qu’il a du développement n’est pas une conception personnelle. ‘’En tant que messager, renseigne-t-il, il a adopté la conception de l’islam qui consiste à ramener cette notion au concept de salut ou de bonheur. En effet, le développement n’est pas une fin en soi. Il n’aura de sens que s’il permet l’épanouissement de l’homme. Pour un croyant, d’une manière générale, il ne suffira pas d’être en quête du bonheur sur terre, mais plutôt d’un bonheur ici-bas et dans l’au-delà, tel que mentionné dans cette fameuse prière du Prophète (PSL) : “Rabbanâ ‘âtina fid dunyâ hasanatan wa fil ‘âhirati hasanatan” (Seigneur, accorde-nous le salut ici-bas et dans l’au-delà). C’est-à-dire que l’islam cherche un équilibre entre l’épanouissement ici-bas et le salut dans l’autre monde. Cette quête conditionnera la manière d’acquérir les richesses et rendra inopérante la formule ‘tous les moyens sont bons pour réussir.’’’
Selon l’écrivain, le capitalisme a fini par montrer ses limites. Et que cela a conduit à l’apparition de propositions alternatives telles que la théorie participaliste, qui ne sont que la résultante de l’échec successif de toutes les tentatives de réformes, d’ajustements ou de rééquilibrage du système. ‘’Les tenants de cette théorie participative ou participaliste en sont arrivés à vouloir tenir le taureau par les cornes. Le problème n’est donc pas conjoncturel, mais systémique. Il ne s’agit pas d’une question d’ajustement ou d’accommodation selon l’environnement économico-sociétal. Le vrai problème est la base même du système : l’usure, la spéculation’’.
Ce constat fait, Ibrahima Abou Samb souligne qu’il est important de noter que le modèle de développement durable proposé par le Mahdi est basé sur le licite et non sur l’usure. ‘’Il est basé, dit-il, sur l’équité (notamment à travers la zakat) et non sur le capitalisme. Il est basé sur une prise en compte des générations futures, non seulement sur les ressources naturelles, mais également sur les ressources spirituelles. Il est basé sur la préservation de l’environnement, en commençant par celui immédiat’’.
Croissance économique oui, mais licite
‘’Pour Seydina Limamou (PSL), selon l'écrivain, tous les moyens ne sont pas bons pour réussir : "N'usurpez pas vos biens réciproquement par un moyen injuste." Le développement repose sur la licéité des moyens empruntés grâce à l’intégration de la dimension éthique. Seydina Limamou recommande de veiller à la licéité de notre consommation et de nos transactions. La consommation englobe ce que l’on mange, ce que l’on boit, notre garde-robe et nos moyens de transport : "Ne mangez que ce qui est licite, ne buvez que ce qui est licite, ne vous habillez qu’avec ce qui est licite, ne conduisez que ce qui est licite." Ainsi, il nous alerte dans ses sermons en proposant les bases d’un système économique fiable. Ce principe de licéité donne un début de solution aux plus grands fléaux économiques de notre temps, tels que la corruption, la spoliation, la corruption, la spoliation, le blanchiment de capitaux, la concussion, etc.’’.
Ainsi, souligne l’écrivain, cette licéité du mode d’acquisition de biens englobe la lutte contre les pratiques usuraires. Or, regrette-t-il, ‘’notre système économique actuel repose sur le système bancaire classique, donc sur l’usure. On en est arrivé à un point où le retour en arrière semble impossible et inopportun. Toutefois, l’ampleur du phénomène de la bancarisation ne constitue pas une excuse pour ne pas le remettre en cause. L’islam n’accepte pas l’usure pour le simple fait que c’est une spéculation sur l’argent qui relègue au second plan les activités de production. Spéculations sur spéculations, les montages financiers, avec toute leur complexité, sont à l’origine de la plupart des crises économiques, dont la dernière en date est celle des subprimes en 2008’’.
De ce fait, "face à l’échec de toutes les mesures managériales et coercitives mises en place par le comité de Bâle, la prise en compte de l’au-delà, boostée par une éducation spirituelle (tarbiya dîniya), est tout ce qui peut permettre de construire un système économique sain. Au-delà de la licéité, le Coran nous avertit sur les méfaits de la thésaurisation : “Alhakumut takaathur hattaa zurtumul maqaabir” (vous thésaurisez vos biens jusqu’à ce qu’on vous enfouisse sous terre). Le Mahdi renchérit : “Walaa takaatharuu maalad dunyaa bal takaatharuu khayral aakhira” (ne thésaurisez pas les biens d’ici-bas, mais plutôt ceux de l’au-delà)," déclare M. Samb.
La préservation de l’environnement, une dévolution de la responsabilisation divine
Aujourd’hui, assure l’écrivain, l’homme a la lourde responsabilité de préserver l’équilibre sur terre. Cet équilibre, d'après lui, concerne l’écosystème jusqu’aux moindres détails. ‘’Ces détails peuvent aller jusqu’aux fréquences musicales qui peuvent avoir des effets fastes ou néfastes sur les vibrations de l’univers. C’est ce qui justifie, en partie, la recommandation du zikr et d’autres mélodies divines. En effet, le Seigneur donne la responsabilité à l’homme de préserver la terre de tout mal lorsqu’Il le nomme son représentant : ‘Et votre Seigneur dit : Je place un vicaire sur terre. Vas-Tu y désigner un qui y sèmera le désordre et y répandra le sang ?’ Ainsi, la préservation de l’environnement est non seulement une responsabilité, mais également un défi que nous devons relever, notamment du fait des réserves émises par les anges au moment de la création de l’homme’’, affirme M. Samb.
Il rappelle que c’est dans ce sillage que s’inscrit le rappel de Seydina Limamou, lorsqu’il affirme à travers ses sermons que chaque humain est responsable et qu’en fonction de son niveau de responsabilité, des comptes lui seront demandés.
‘’En réalité, fait remarquer l’écrivain, son sens environnemental dépasse l’écosystème. Il inclut le voisinage, l’environnement immédiat et même les habits qui sont plus proches de nous : “Je vous salue et vous demande comment vont vos affaires, vos familles, vos voisins, comment prospèrent vos puits, vos champs, vos vêtements, vos ustensiles, votre eau.” Le puits pourrait renvoyer à toute ressource minière, ce qui explique la mention de l’eau qui n’est pas un pléonasme comme on pourrait le penser".
CHEIKH THIAM