Publié le 20 Feb 2025 - 19:24
COMMUNICATION PUBLIQUE EN CRISE

Le gouvernement face à la grogne sociale

 

Depuis son arrivée au pouvoir il y a un an, le gouvernement sénégalais est confronté à une grogne sociale persistante. Grèves, revendications syndicales et critiques sur les réformes économiques et sociales mettent en lumière les difficultés de sa communication publique. L'expert en communication, Sahite Gaye, souligne les différentes phases de la stratégie gouvernementale, peinant à répondre aux attentes des citoyens et des partenaires sociaux.

 

Depuis plusieurs semaines, le Sénégal est secoué par des mouvements de grève et des revendications croissantes. Les enseignants du supérieur, les médecins, les étudiants et d’autres corps de métier expriment leur mécontentement face à des conditions de travail dégradées et à des promesses non tenues. Le Syndicat autonome des Médecins, Pharmaciens et Chirurgiens-Dentistes du Sénégal (SAMES) a entamé une grève de 48 heures, limitant les services aux urgences. Le Syndicat autonome de l’enseignement supérieur (SAES) a emboîté le pas, tandis que les étudiants réclament le paiement de leurs bourses et de meilleures conditions d’études.

Dans ce climat tendu, les annonces du gouvernement concernant des réformes d’austérité – réduction des salaires, suppression des subventions sur l’électricité et le carburant, et rationalisation des agences publiques – ont jeté de l’huile sur le feu. Ces mesures, justifiées par le ministre secrétaire général du gouvernement, Ahmadou Al Aminou Lo, lors de l’émission Point de vue sur la RTS, interviennent après la publication du rapport de la Cour des Comptes révélant de « graves irrégularités » dans la gestion des finances publiques entre 2019 et 2024.

Le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, a reconnu la gravité de la situation : « Les résultats de l’audit ont mis en exergue des manquements d’une gravité inouïe. Le poids de la dette du Sénégal est extrêmement important et a freiné nombre de nos ambitions et initiatives. »

Les syndicats, déjà mobilisés, refusent de se plier aux mesures d’austérité annoncées. Le SAMES, par exemple, rejette catégoriquement la baisse des salaires. « Au niveau du SAMES, nous allons demander une revalorisation de notre rémunération parce que c’est une rémunération qui a été assez catastrophique pendant des décennies, et cela plombe la qualité des services offerts par les structures de santé », affirme Mamadou Demba Ndour, secrétaire général du SAMES.

Les groupes syndicaux estiment que les sacrifices doivent concerner les plus nantis, et non les travailleurs déjà sous-payés. « Cette baisse de salaire concerne les corps de l’État qui ont toujours été choyés, qui ont toujours été favorisés par rapport aux autres. C’est à ceux-là qui profitent d’avantages que l’État leur a conférés, avantages ne répondant ni à leur niveau d’études, ni à la pénibilité de leur travail, ni à la charge de leur travail, d’être les premiers dans l’austérité », avance le SG du SAMES.

Un manque de dialogue et de communication

Ils dénoncent un manque d’échange avec leurs ministères de tutelle. Le SAES et le SAMES affirment n’avoir reçu aucune réponse à leurs interpellations répétées. Cependant, ils ne sont pas les seuls à dénoncer un manque de dialogue avec les autorités. Certains journalistes s’alarment également d’un déficit de réactivité et de transparence de la part des ministères, y compris leurs ministres de tutelle. Ces professionnels de l’information peinent à obtenir des réponses ou des réactions sur des sujets d’ordre public, ce qui crée une asymétrie dans l’accès à l’information et alimente les critiques.

Cette stratégie de silence ou de retenue, adoptée par plusieurs ministères, est mal comprise par les observateurs. Pour certains, elle traduit une volonté de contrôler le narratif ou d’éviter les débats publics. Pour d’autres, elle reflète simplement un manque d’organisation ou de préparation dans la gestion de la communication gouvernementale.

Dans ce contexte de réformes économiques controversées, le ministre secrétaire général du gouvernement, Ahmadou Al Aminou Lo, apparaît comme la figure centrale, voire unique, de la communication gouvernementale. C’est pratiquement lui seul qui a pris la parole pour défendre et expliquer le plan d’austérité, notamment lors de son passage sur l’émission Point de vue sur la RTS.

Cette omniprésence de l’ancien directeur de la BECEAO sur le front médiatique a suscité des réactions contrastées. Elle a été suivie d’un repli marqué sur les réseaux sociaux, où les débats se sont polarisés entre partisans et opposants aux mesures annoncées. Comme souvent sur les plateformes numériques, les échanges ont été vifs, reflétant les clivages et les inquiétudes d’une société sénégalaise profondément divisée sur ces questions.

Pour certains observateurs, cette situation révèle un déséquilibre dans la communication gouvernementale. En concentrant la parole publique sur une seule figure, le gouvernement prend le risque de fragiliser sa crédibilité et de limiter la portée de son message. « La communication publique ne peut reposer sur une seule personne. Elle doit être portée par une pluralité de voix pour toucher tous les segments de la société », analyse le journaliste Mamadou Ndiaye.

Cette polarisation sur les réseaux sociaux, bien que courante pour les sujets sensibles, est également le signe du défi auquel fait face le gouvernement : comment expliquer des mesures impopulaires sans susciter un rejet massif ?

Sahite Gaye, enseignant-chercheur en communication des organisations au Cesti, analyse que la communication gouvernementale a évolué en plusieurs étapes depuis l’installation du gouvernement. « Les premiers mois, la communication était axée sur l’immensité du travail à venir, les attentes et l’appel à la mobilisation, notamment après les législatives », explique-t-il.

Cependant, il met en relief que cette phase a été marquée par des « couacs » médiatiques, chaque ministère cherchant à occuper le devant de la scène, ce qui a créé une cacophonie et une absence de cohérence. Durant cette période, les affaires liées à l’ASER et à l’ONAS ont également parasité la communication du gouvernement, détournant l’attention des priorités nationales.

Après les législatives, la communication n’a pas su évoluer vers une phase plus constructive. « Elle s’est transformée en une éternelle répétition, centrée sur la dénonciation de la gouvernance de Macky Sall et sa responsabilité dans les scandales passés », souligne le chercheur.

Les syndicats dénoncent un manque d’échange avec leurs ministères de tutelle, une situation qui, selon Sahite Gaye, met en exergue les failles de la communication gouvernementale. « La communication n’est pas simplement de l’information. Elle accorde une place importante à la relation. Or, les autorités de tutelle semblent avoir oublié cette dimension essentielle », explique-t-il.

Cette absence de dialogue a exacerbé les tensions sociales, notamment dans les secteurs de l’éducation et de la santé, où les grèves se multiplient. Les syndicats reprochent au gouvernement de ne pas répondre à leurs interpellations, ce qui contribue à rendre flou l’horizon politique et social du régime.

Une communication alarmiste et peu pédagogique

Pour ce spécialiste en communication de crise et changement organisationnel, la communication du gouvernement manque de pédagogie et de clarté. « À ce niveau, l’effet d’annonce a manqué de pédagogie. Un plateau de télévision n’est pas le lieu approprié pour certaines décisions ou annonces. La concertation, différente du bavardage, est le moteur de la réforme », affirme-t-il.

Cette dissonance entre les annonces et les actions crée un flou qui alimente les critiques et les doutes des citoyens. « Le gouvernement devrait dépasser la communication alarmiste et miser sur une pédagogie pour expliquer ses réformes et rassurer l’opinion publique », recommande l’expert.

Dans ce contexte politico-social, Sahite Gaye estime que le gouvernement doit revoir sa stratégie de communication pour regagner la confiance des citoyens. « La communication publique dépasse les petites phrases et les contenus sur les réseaux sociaux. Elle doit dessiner un horizon clair pour avoir l’adhésion et rassurer les citoyens. C’est ce qui manque actuellement », insiste-t-il.

Il appelle à une communication plus inclusive et concertée, capable de préparer l’opinion aux réformes et de créer un climat de confiance. « Le régime a été exemplaire dans sa stratégie de conquête du pouvoir, sur le plan médiatique. Toutefois, on remarque l’absence d’une stratégie de communication bien claire pour gouverner », conclut-il.

Dans un contexte social marqué par des tensions croissantes, la communication publique devient un enjeu incontournable pour le gouvernement. Une meilleure concertation avec les syndicats, une pédagogie accrue et une transparence dans les échanges avec les médias pourraient contribuer à apaiser les tensions et à restaurer la confiance des citoyens.

Pour Sahite Gaye, il est temps que le gouvernement passe d’une communication de crise à une communication de projet, capable de dessiner un avenir clair et mobilisateur pour le Sénégal.

Dans ce contexte d’agitation sociale qui pourrait persister à court ou à moyen terme, la communication publique reste un enjeu crucial pour le nouveau gouvernement. Une meilleure concertation avec les syndicats, une pédagogie accrue et une transparence dans les échanges avec les médias pourraient contribuer à apaiser les tensions et restaurer la confiance des citoyens.

 

AMADOU CAMARA GUEYE

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