Publié le 14 May 2025 - 11:52
SITUATION DES FINANCES PUBLIQUES

Au-delà de l’élargissement de l’assiette fiscale, l’incontournable réforme du mécanisme de taxation en matière de TVA 

 

L’audit du Rapport sur l’état des Finances publiques a révélé la gravité du déficit public (11,7% du PIB) et l’inquiétant niveau de la dette (105,7% du PIB).

Cette situation alarmante, en même temps qu’elle place le Sénégal dans une position inconfortable au sein de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) et vis-à-vis de ses partenaires, exige de tous les citoyens, un sursaut patriotique en vue d’une mobilisation exceptionnelle des ressources internes.

Au demeurant, l’élaboration du Rapport sur la situation des finances publiques et l’audit par la Cour des Comptes constituent une très bonne nouvelle en ce qu’ils indiquent la voie à suivre pour tous les Etats membres de l’UEMOA.

Plus qu’un exercice de vérité, l’option des autorités sénégalaises de dresser la situation globale des finances publiques, en particulier, l’état du déficit et de l’endettement, est une application rigoureuse de la Directive n°01/2009 du 27 mars 2009 et de la Loi 2012-22 du 27 décembre 2012, portant Code de transparence dans la gestion des finances publiques.  

Le Sénégal a ainsi marqué d’une empreinte indélébile son attachement à la transparence et au respect du Pacte de Convergence, de Stabilité, de Croissance et de Solidarité de l’UEMOA notamment à son mécanisme de Surveillance multilatérale.

Il est clair que cette volonté des autorités sénégalaises qui a permis de révéler les failles du dispositif de contrôle, de surveillance et d’évaluation au niveau communautaire et multilatéral induit de nouveaux défis. Parmi ceux-ci, figure le consensus national sur le cadre fiscal permettant d’augmenter significativement le niveau des recettes intérieures.

A cet effet, deux leviers peuvent être mis en œuvre : l’élargissement de l’assiette et l’augmentation des taux.

  1. L’élargissement de l’assiette

La plupart des mesures annoncées visent en effet l’extension du champ d’application des impôts à des secteurs ou activités non taxés ou insuffisamment taxés.

C’est le cas notamment des services numériques, des activités informelles, des secteurs exonérés ou exemptés sans raison objective.

A ces mesures de politique fiscale, il faut ajouter les réformes en matière d’administration fiscale portant sur la modernisation des structures et procédures, la digitalisation, la communication  et la promotion du civisme fiscal.

Toutefois les incidences de ces mesures ne pourront être constatées sur le court terme car leur mise en œuvre nécessite du temps. Or les besoins en matière de recettes sont d’une extrême urgence du fait de la détérioration de la structure des finances publiques.

Le recours au marché financier régional quoique réussi, ne saurait constituer une alternative viable à la mobilisation efficace des recettes fiscales et douanières.

Cependant, les réformes prévues dans le Code Général des Impôts et le Code des Douanes en termes d’élargissement de l’assiette ne pourraient suffire dans le contexte actuel.

La réforme portant sur les taux d’imposition notamment en matière de Taxe sur la Valeur Ajoutée est inéluctable.

  1. L’augmentation des taux

Pour l’augmentation des taux, les impôts directs et Taxes assimilées (Impôts sur le Revenu, Impôts sur le Sociétés, Contribution Foncière, Contribution économique …) ne sauraient être concernés du fait du peu d’efficacité d’une telle mesure. L’impôt direct affecte directement le revenu ; il est acquitté en une seule fois à la fin de l’année (même si des modalités d’acompte ou de retenue à régulariser sont aménagées).

A contrario, une réforme portant sur l’augmentation du taux de taxation en matière de fiscalité indirecte (Taxe sur la Valeur Ajoutée, Taxes financières Taxes spécifiques …) entraîne des effets immédiats sur le niveau des recettes et sur la trésorerie de l’Etat.

Le caractère général et réel de la TVA fait de cet impôt moderne et économique, un puissant pourvoyeur de recettes.

C’est pourquoi, dans le contexte actuel  marqué par la nécessité urgente de mobiliser les ressources internes, la réforme du système de taxation en matière de TVA est incontournable.

S’agissant de la Taxe sur les Affaires Financières et des Taxes spécifiques, il est plus prudent de ne pas envisager une augmentation des taux pour éviter des effets pervers sur le coût  du crédit et sur les prix (les taxes spécifiques étant comprises dans la base taxable en matière de TVA).

Evidemment, une augmentation du taux de la TVA ne devrait conduire ni à des distorsions économiques ni à une réduction du pouvoir d’achat des ménages vulnérables.

A cet effet, les propositions ci-après sont formulées.

  • L’adoption d’un taux de TVA de 20%  pour un certain nombre de biens et services

Aux termes de la Directive n°02/ 98/CM/UEMOA du 22 décembre 1998 portant harmonisation des législations des Etats membres en matière de TVA, modifiée par la Directive 02/2009/CM/UEMOA du 27 mars 2009, le taux est fixé dans une fourchette comprise entre 15% et 20%.

La Directive 02/2009 a introduit le taux réduit applicable à certains biens et services

En transposant la Directive, les Etats ont adopté généralement le taux de 18% en 2000 avec l’entrée en vigueur du Tarif Extérieur Commun. C’est le cas du Sénégal qui appliquait un taux normal de 20% avant l’harmonisation.

La Côte d’Ivoire et le Niger ont dû adopter respectivement 20% et 19% pour des raisons économiques spécifiques. La Côte d’Ivoire est revenue au taux de 18% depuis 2023.

La Guinée Bissau qui accuse un retard dans l’instauration de la TVA, envisage de mettre en œuvre, à partir du 1er janvier 2025, un régime fiscal conforme à la Directive,

La situation actuelle des finances publiques du Sénégal décrite dans le Rapport d’audit de la Cour des Comptes, devrait justifier la mise en œuvre, à titre exceptionnel, d’un taux de TVA de 20% pour un certain nombre de biens et services à déterminer. Il s’agirait de biens ou services essentiellement consommés ou utilisés par des catégories sociales disposant de revenus supérieurs à ceux de la classe moyenne. Une étude, à cet effet, devrait être menée rapidement par les services du Ministère des Finances et du Budget et du Ministère de l’Economie du Plan et de la Coopération.

Ainsi, l’institution d’une TVA à 20%, à titre exceptionnel pourrait être envisagée pour une période de six (06) mois, du 1er juillet au 31 décembre 2025.

 Les recettes attendues devraient alors être prises en compte dans la Loi de finances rectificative avec un Rapport détaillé y relatif, à annexer à la Loi de finances initiale de 2026.

En définitive, nous aurions un régime de TVA avec trois taux en vigueur : 20% ; 18% et 10% sur la période allant de juillet à décembre 2025.

L’introduction à titre exceptionnelle du taux de 20% en sus des taux prévus par la Directive est conforme à l’esprit du Traité de l’UEMOA qui prévoit son article 71, des dérogations accordées à un Etat, dans le respect des prescriptions en matière de surveillance multilatérale pour une durée maximale de six (06) mois, sur autorisation du Conseil des Ministres. Dans ce cas ledit Etat doit être confronté à des difficultés économiques et financières engendrées par des évènements exceptionnels ou imprévus. Tel est le cas des constatations faites par le Rapport sur la situation des finances publiques certifiée par la Cour des Comptes.

  • L’instauration d’un consensus national sur les réformes fiscales

L’état alarmant des finances publiques et les incontournables mesures à prendre pour rétablir l’équilibre budgétaire et assurer la viabilité financière de l’Etat, nécessitent un consensus national sur les réformes envisagées notamment celles portant sur le taux de TVA.

En 2004, dans un contexte certes différent mais difficile, un Accord entre l’Etat, le Secteur Privé et les forces vives avait abouti à une réforme fiscale importante basée sur 45 mesures arrêtées de manière consensuelle dans le cadre du Conseil Présidentiel de l’Investissement (CPI).

Ce Consensus avait permis une augmentation des recettes fiscales de 20%, une amélioration de l’environnement des affaires, une baisse de l’impôt sur les salaires (même si pour cette dernière mesure l’application avait été différée de quelques années) et l’augmentation de l’âge  de la retraite (de 55 à 60 ans).

Les réformes du Code Général des Impôts envisagées devraient alors faire l’objet d’une large concertation pour garantir leur efficacité et leur légitimité.

Serigne Mbacké SOUGOU, Economiste-Expert Fiscal-Consultant

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