Publié le 16 May 2025 - 19:42
EXPORTATIONS PÉTROLE

Les routes du pétrole sénégalais

 

Malgré la distance, la Chine a déployé les gros moyens pour se payer le pétrole sénégalais de Sangomar, dont elle reste la principale destination. Pour certains mois, elle s'est même payée plus de 100 000 barils par jour, soit la quasi-totalité de la production sénégalaise. 

 

Le déficit commercial du Sénégal envers la Chine s'est considérablement réduit, depuis l'avènement du pétrole et du gaz. Même si les principaux exploitants sont des compagnies issues de l'Occident, la principale destination du brut sénégalais reste la Chine. Pour donner une idée, au mois de février dernier, ce n'est pas moins de 2 901 583 de barils qui ont été expédiés vers l'empire du Milieu, soit en moyenne plus de 103 000 barils par jour, pour une valeur de 220 702 277 de dollars US. Pour les chiffres du mois de mars, on parle de 1 940 959, soit une valeur marchande de 145 184 384 US dollars.

Journaliste espagnol spécialisé sur les questions économiques, Jaume Portell analyse : “Si l'on tient compte du fait que le Sénégal produit environ 100 000 barils par jour, on peut voir que Pékin est le principal marché du pétrole sénégalais. Ces données montrent qu'au mois de février, ils ont acheté plus de 100 000 barils par jour. Selon les données de Woodside Energy, les autres marchés sont l'Espagne, les États-Unis et les autres pays européens.”

Les mêmes tendances sont observées depuis le démarrage de l'exploitation, au mois de juin 2024. Quelques chiffres illustrent parfaitement cette mainmise de la Chine sur le pétrole de Sangomar. En septembre 2024, 921 461 barils ont été vendus à la Chine pour une valeur de 75 729 351 US dollars. En octobre, c'était autour de 1 674 324 pour 126 675 968 US dollars ; en novembre 3 055 593  barils pour 231 581 958 de dollars ; enfin en décembre, 2 889 820 barils ont été expédiés vers la Chine pour une valeur de 218 642 533 US dollars. Selon des chiffres publiés par le ministère de l'Énergie du pétrole et des mines en début d'année, pour l'année 2024, la production annuelle s'est élevée à environ 16,9 millions de barils, dépassant ainsi l'objectif initial de 11,7 millions. En moyenne, on était donc autour de 80.000 barils par jour. À l'époque déjà, les exportations vers la Chine se chiffraient en moyenne entre 50.000 et 90.000 barils, avec des pics de plus de 100.000 barils au mois de novembre. 

Évolution des importations vers la Chine

Mais pourquoi donc le marché chinois, deux fois plus éloigné que New York, plus de trois fois plus loin que certains grands marchés européens ? Selon cet expert, c'est les lois du marché qui gouvernent. “La distance est certes un élément important, mais il n'y a pas que cet aspect. On peut trouver dans un pays plus éloigné un prix plus rémunérateur que dans des pays voisins. Ce sont des aspects à prendre en considération”, explique une source à ‘’EnQuête’’. Elle ajoute : “C'est dire que le seul argument de la distance ne suffit pas. Il y a le prix, mais il y a aussi le fait que certains pays qui sont plus proches peuvent avoir leurs fournisseurs. Du coup, ils peuvent ne pas être trop intéressés.”

Aussi, note Jaume Portell, il y a la demande qui joue un rôle très important. “Il faut comprendre que la Chine ‘mange’ chaque jour 15 millions de barils de pétrole, alors qu'ils en produisent seulement 4 millions. Il leur faut alors importer 11 millions de barils supplémentaires par jour. C'est une demande très importante qu'il faut aller chercher”, analyse le journaliste spécialiste qui souligne la modicité des exportations sénégalaises par rapport à la demande chinoise. “Le Sénégal produit 100 000 barils par jour ; c'est globalement petit. Cela fait 3 millions le mois, alors que la Chine a besoin de 330 millions de barils par mois, si l'on considère qu'elle importe 11 millions par jour.

À titre d'exemple, il cite l'Espagne qui consomme 1,2 million de barils par jour. Le pays aurait importé, selon Portell, un million de barils du pétrole sénégalais en août 2024 ; un autre million en janvier 2025. Outre l'Espagne et la Chine, il y a aussi les États-Unis, les Pays-Bas, la Corée du Sud et l'Allemagne qui sont sur la liste des acheteurs. “L'autre pays qui consomme le plus de barils, c'est les États-Unis, avec 20 millions de barils par jour. Les deux pays accaparent 35 % de la consommation qui est de 100 000 barils par jour. Vient ensuite l'Union européenne, si on l'on considère ensemble les demandes de la France, de l'Allemagne, de l'Espagne, de l'Italie...”, explique le journaliste espagnol. 

La Chine paie un prix jugé juste par rapport à ce qu'elle paie au Niger

Avant l'arrivée du pétrole sénégalais, la Chine, pour faire face à sa demande importante, s'approvisionnait dans plusieurs pays, dont le Niger en Afrique de l'Ouest. Dans ce pays en proie à l'instabilité, elle a dû faire des investissements très importants pour accéder à la ressource, compte tenu de l'enclavement du pays. Après la découverte d'importantes réserves de pétrole sur le site d'Agadem, au nord-est du Niger, en coopération avec le Bénin et la Chine, il a été entrepris la construction d'un oléoduc de près de 2 000 km, pour rallier le port de Seme Kpodji, dans le sud du Bénin, avec neuf stations de réservoirs le long du parcours. “Les travaux ont été financés et réalisés par la China National Petroleum Corporation (CNPC), l'une des principales compagnies pétrolières nationales de Chine, avec un coût estimé à 4,5 milliards d'USD. L'oléoduc a été opérationnel depuis le début de l'année 2024 et CNPC transporte actuellement environ 90 000 barils par jour, ayant des objectifs d'augmenter la production à 110 000 barils par jour”, informe le média ‘’Global Voice’’. 

Au-delà de l'approvisionnement dans cette ressource précieuse, il faut noter que c'est aussi une question d'influence pour la Chine, qui a inscrit le projet dans le cadre de son projet ‘’Les routes de la soie’’. “Grâce à cet investissement, la Chine gagne sur plusieurs fronts, notamment l'accès à une grande réserve de ressources pétrolières, des revenus substantiels et une présence économique plus forte en Afrique”, renchérit le média. Néanmoins, elle doit faire face à un contexte géopolitique instable, marqué par la menace terroriste et des coups d'État militaires. 

Pour Jaume Portell, ce business s'avère très lucratif pour l'empire du Milieu. Cela lui rappelle un peu ce qui est arrivé aux paysans sénégalais à l'époque coloniale. “On leur imposait des taux d'intérêt très élevés par le biais d'intermédiaires. À la fin de l'année, les Français avaient des arachides bon marché ; les Libanais percevaient les intérêts ; les Sénégalais se retrouvaient sans rien après avoir travaillé dur toute l'année. Et c'est le retour à la case départ”, caricature-t-il. “Dans le cas d'espèce, la Chine prête au Niger à 7 %. Ils paient avec ce qu'ils gagnent dans le pétrole”, a ajouté le spécialiste, qui estime que les Chinois disposent ainsi d'un pétrole bon marché. “Ils paient le pétrole nigérien à 65 dollars le baril - un prix bien en deçà de celui qu'ils paient au Nigeria ou au Tchad. Ensuite, ils récupèrent l'argent de leurs prêts. Ils ont également retenu la construction de l'oléoduc, qui a été réalisé par une entreprise chinoise”, souligne M. Portell. Finalement, “le Niger dispose d'une infrastructure lui permettant d'exporter du pétrole, mais à quoi cela va servir si l'argent qu'ils gagnent ne sert qu'à rembourser le prêt ?”, s'interroge le spécialiste des questions économiques. 

EXPORTATION PÉTROLE 

Une réduction drastique du déficit de la balance commerciale 

En l’espace de douze mois, les exportations sénégalaises vers la Chine ont connu une hausse de 386 %, atteignant 306 millions de dollars en mars 2025, contre seulement 63 millions à la même période en 2024. “Cette progression est essentiellement portée par les ventes de pétrole brut, passées de 0 à 290 millions de dollars”, renseignent certaines sources, non sans rappeler les perspectives encore très prometteuses avec des prévisions de plus de 30 millions de barils pour l'année 2025. 

Malgré cette embellie, la balance reste assez déficitaire avec des importations qui ne cessent de croitre. “Les importations suivent également la même courbe, quoique de manière plus modérée (+24,4 %). En mars 2025, Dakar a importé pour 444 millions de dollars de produits chinois : fer semi-fini (20,7 millions de dollars), barres de fer laminées à chaud (19,7 millions de dollars), chaussures en caoutchouc (14,6 millions de dollars), mais aussi costumes pour femmes non tricotés, en hausse de 308 %”, informent toujours les sources. 

En dehors du pétrole, les exportations sénégalaises vers la Chine restent faibles. Il s'agit principalement de l'huile d’arachide : 6,78 millions de dollars, des minerais de niobium, tantale, vanadium, zirconium : 3,83 millions de dollars... Globalement, en mars 2025, le Sénégal a exporté 306 millions de dollars et importé 444 millions de dollars de la Chine , “ce qui a entraîné une balance commerciale négative de 138 millions de dollars”.

 

MOR AMAR

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