Publié le 15 Jul 2025 - 00:38
PASTEF

Le dur choix entre le Parti et l’État

 

Au-delà des dossiers judiciaires qui divisent le binôme au sommet, Pastef les patriotes fait face à des divergences profondes autour de la primauté de l’Etat ou du Parti. Alors que Sonko veut que le parti soit au cœur de la gestion l’Etat, Diomaye veut être au-dessus de la mêlée.

 

Élu le 24 mars à la tête de la République du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye n’avait pas perdu du temps pour se libérer de ses fonctions au sein de son parti “Les patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef)”. Dès le 26 mars, soit deux jours après son élection, la presse rapportait sa démission, tout en précisant qu’il reste un membre simple. Par cet acte, disait-il lors de son discours à la Nation du 3 avril 2024, il entendait se “mettre au-dessus de la mêlée”. Et dans le même sillage, il avait appelé à de larges concertations non seulement sur la Justice, mais aussi sur le système politique. 

Cette décision, elle n’est pas tombée ex nihilo. Depuis plusieurs années, elle est une doléance de la société civile et de plusieurs forces vives de la Nation. En 2012, elle faisait partie des recommandations fortes des Assises nationales, avant d’être reprise plus tard par la Commission nationale de réforme des institutions présidée à l’époque par le président Amadou Makhtar Mbow. Cette recommandation, le candidat Bassirou Diomaye Faye l’avait endossée, en signant la charte des assises nationales lors de la dernière présidentielle. A date, sa matérialisation constitue l’un des actes forts du Président Faye depuis qu’il est à la tête de ce pays. A plusieurs reprises d’ailleurs, cet acte a été magnifié par le Parti qui s’en prévaut comme un acquis important de l’an 1 du Président. 

Diomaye au dessus de la mêlée, Sonko dans la mêlée 

Mais si Diomaye s’efforce depuis lors de rester au-dessus de la mêlée, son Premier ministre, lui, n’a jamais cessé d’être dans la mêlée. En soi, on ne saurait le lui reprocher puisqu’il est encore le président de son Parti. Le problème, c’est de vouloir remettre en cause la volonté présidentielle, faisant fi des engagements que le parti a toujours pris. De l’avis du président de pastef, ce serait une grave erreur pour Diomaye de s’éloigner du parti qui l’a mené au pouvoir. Tous les présidents qui ont perdu le pouvoir ont été victimes de ce phénomène, selon lui, avec un leader qui s’éloigne de sa base, à cause des manoeuvres du système. 

La conviction de Sonko en fait, c’est qu’il n’y a pas de dichotomie à faire entre le parti et l’État. “...Quelqu'un a parlé de l'État et du parti. Maintenant, on parle d'Etat parti pastef. On en parle comme si c'était une anomalie alors que c'est ce qui est normal, parce que les gens ont élaboré leurs programmes, ils se sont battus et obtenu la confiance des citoyens…. Il faut avoir le courage de travailler avec ceux qui croient au programme; il faut aussi assumer cette responsabilité: les échecs et les réussites”, lâche le président de Pastef, s’empressant d’ajouter pour se justifier: “Ce n'est pas une affaire de partage de postes. Nous parlons de travailler pour les Sénégalais….”

Diomaye avait démissionné du BP du Parti, Sonko veut des réunions avec le parti pour définir les orientations de l’Etat

C’est là une divergence profonde entre Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye. Depuis qu’il est à la tête du Sénégal, Faye a rappelé à plusieurs occasions sa volonté d’être à équidistant des Sénégalais, de  veiller à une administration juste de l’institution judiciaire. Pour Diomaye, 64 ans après les indépendances, “le moment est venu de tirer les leçons de nos réussites et de nos échecs, pour une gouvernance publique plus moderne, plus républicaine et plus respectueuse des droits humains.” C’est dans ce cadre qu’il avait inscrit les assises de la Justice tenues il y a un peu plus d’un an, montrant ainsi la haute importance qu’il accorde à l’indépendance de la Justice. En dehors de sa sortie malencontreuse dans laquelle il justifiait les pressions contre la Justice, Diomaye s’est très peu immiscé - en tout cas publiquement- dans le fonctionnement de cette institution. 

D’ailleurs, dans cette sortie, il allait à la rescousse des membres de son parti qui ne cessaient d’accabler le ministre de la Justice en l’accusant d’être trop lent -pour ne pas dire faible- dans la reddition des comptes. Un point de vue réaffirmé par le Premier ministre dans sa dernière sortie. Pour lui, il y a plusieurs personnes de l’ancien ministre qui devaient être en prison et qui ne sont toujours pas inquiétées. 

Digérant très mal certaines décisions de justice défavorables à son camp, le président de Pastef ne rate plus une occasion pour rappeler que c’est le parti qui est aux commandes, que les fonctionnaires doivent être des exécutants dans sa conception de l’État. “...Ce que j'ai dit est valable pour tous les pays. Quand vous prenez le pouvoir, vous venez avec votre programme, votre vision, vos équipes. Durant le temps de votre mandat, l’administration est un instrument pour appliquer votre vision”, argue-t-il avant de souligner avec force: “...C'est pourquoi durant cette période c'est vous l'État. C'est vous l'État. Même si le pouvoir est exercé dans le cadre des lois et règlements, c'est à vous de dire à l’administration ce que vous voulez et elle doit s'exécuter. C'est valable pour les hauts fonctionnaires comme pour tout le monde.” 

Le parti va-t-il tuer l’État ? 

De l’avis d’Ousmane Sonko, le parti doit donc être placé au cœur des affaires. “On ne doit pas exclure le parti dans la marche de l'État. On doit avoir des espaces où le Premier ministre, le PR, certains responsables discutent des orientations et des décisions”, soutient le Premier ministre qui insiste: “Rien ne doit échapper aux responsables du parti. Ils doivent savoir quelle est la politique diplomatique du pays, quelles sont nos préoccupations sécuritaires... sinon on fera ce que les autres faisaient et ça va produire les mêmes résultats.”

“Nous sommes un parti de combat. Nous nous sommes battus pour accéder au pouvoir. Nous allons continuer ce même combat pour réaliser nos engagements vis à vis du peuple.” Ousmane Sonko l’a réaffirmé avec force pour rappeler aux fonctionnaires qu’ils doivent se soumettre. Pastef, selon lui, s’est battu pendant trois ans pour faire fléchir l’État en étant dans l’opposition. 

Dans ce combat, il compte d’abord et avant tout sur ses militants. Appelant les responsables à mouiller davantage le maillot pour faire face à ce qu’il considère comme une résistance du système, il estime qu’il est fondamental que le Parti conserve son identité et son âme. Cette identité et cette âme, il serait le mieux placé pour la définir. “Je suis le mieux placé pour dire quelle a été la ligne tracée pour le parti. Si quelqu'un ne se sent plus dans cette ligne, il n’a qu'à quitter. Le parti restera un parti de combat comme il l'a été dans l'opposition. Nous allons le rester pour réaliser les engagements”, soutient-il, martelant à qui veut l’entendre que “parti bi moo moom mbir yi.” C’est à dire que le parti doit être aux manettes. 

INSTRUMENTALISATION DE LA JUSTICE

 Ce que disaient Diomaye et Sonko 

Il faudrait remonter à la conférence de presse conjointe à la veille de l’élection présidentielle pour comprendre un peu mieux les divergences d’approches entre les deux personnalités au sommet de l’État. Il ressortait déjà des propos de Sonko à l’époque que lui a parfois pensé à des représailles en cas de victoire, mais Diomaye lui a toujours été contre toute idée de représailles. Et c’est le président de Pastef lui même qui raconte: ‘...Comme Diomaye ne parle pas beaucoup, certains avaient peur de lui, disait-il non sans ironie. Mais je tiens à les rassurer que Diomaye est bien moins sévère….” 

Pour justifier son propos, il rappellait les échanges lors d’une réunion entre lui, Birame Souleye Diop et Diomaye.  “...A l'époque, la répression était infernale. Je leur ai dit: si jamais on prend le pouvoir ils vont le regretter ces gens. Diomaye me dit: non président; il faut oublier ça. Il n'y aura pas de chasse aux sorcières. Pas de vengeance....” En prison, Ousmane a remis le sujet sur la table -cette fois pour le tester et voir si sa position a changé selon ses dires- mais la réponse a été la même. “Il m’a dit: jamais président. Nous ne devons pas commettre les mêmes erreurs que nos prédécesseurs. Si on prend le pouvoir, nous devrons laisser la justice faire son travail. Nous ne devons pas être là à chercher à nous venger. Je tenais à faire ce témoignage”, rapportait Ousmane Sonko. 

Ousmane semblait finalement rejoindre son poulain, en affirmant qu’il n’y aura pas de vengeance. Mais aujourd’hui, c’est lui qui essaie de mettre la pression sur la Justice pour accélérer la reddition des comptes. Pour les décisions favorables à son camp, il garde souvent le silence, mais pour les décisions défavorables, il monte au créneau, allant jusqu’à parler de manque d’autorité pour commenter certaines décisions ou inerties. 

 

Par Mor Amar

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