Publié le 26 Sep 2025 - 19:12

Impératif de mémoire

 

L’histoire est écrite par les vainqueurs, mais les archives conservent les murmures des vaincus. En effet, elles ne sont jamais des témoins neutres ; elles reflètent les rapports de pouvoir en place, où les dominants imposent leur vision du monde. Au Sénégal, comme dans de nombreux pays africains, l’ère des chefs omnipotents a transformé les journaux télévisés en spectacles glorifiant les pères fondateurs de la nation. Les billets de banque et les pièces de monnaie, ornés de leurs effigies, ont renforcé leur image de guides éclairés.

Nul discours ne pouvait être prononcé sans s’aligner sur la vision du Président. Cependant, le temps a cette capacité de renverser les rôles : ce qui est puissant aujourd'hui peut devenir inconnu demain. La pratique romaine de la damnatio memoriae, ou « damnation de la mémoire », illustre parfaitement ce phénomène. Votée par le Sénat, cette condamnation visait souvent des figures influentes, effaçant leur nom des monuments publics et renversant leurs statues. Des personnages tels que Marc Antoine, Néron ou Héliogabale ont ainsi subi cet opprobre mémoriel, témoignant de la fragilité du pouvoir.

Au Sénégal, après la mort de Léopold Sédar Senghor, la télévision nationale a dû se tourner vers les archives de l’Institut national de l’audiovisuel français pour retrouver des images de l’ancien président. Ce phénomène de « désenghorisation » s’est manifesté par l’oubli progressif de son nom et de son image dans le quotidien des Sénégalais. Le musée dynamique, qui était un lieu d’expérimentation de sa volonté d’universalité, s’est transformé en tribunal, non pas pour juger son règne, mais pour l’effacer. Le travail d’effacement opéré dans les archives a été particulièrement cruel : les bandes des tournées de Senghor ont été effacées pour faire place aux enregistrements des meetings du nouveau président, Abdou Diouf. Ce processus illustre comment les récits historiques peuvent être manipulés et comment les voix des anciens dirigeants peuvent être étouffées au profit de nouvelles narrations.

Ainsi, les archives, loin d’être de simples dépôts de mémoire, deviennent des instruments de pouvoir, façonnant notre compréhension de l’histoire et des figures qui l’ont marquée. Dans ce contexte, il est essentiel de préserver la diversité des récits et de veiller à ce que les murmures des vaincus ne soient pas complètement effacés. La mémoire collective doit être un espace inclusif, où chaque voix, même celle des banis, trouve sa place.

Kaaw Paam

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