Publié le 2 Nov 2012 - 08:00
ENTRETIEN AVEC... MAME LESS CAMARA (ANALYSTE POLITIQUE)

«Le principe de la fidélité aux engagements n’est plus applicable au président de la République»

 

Au lendemain du premier remaniement du gouvernement, le journaliste Mame Less Camara constate que le tabou d'une équipe à 25 membres levé, le président de la République a rompu le pacte de fidélité aux engagements pris devant les électeurs sénégalais.

 

 

Quelle lecture faites-vous du remaniement ministériel de ce lundi ?

 

C’est un remaniement qui s’est imposé au président de la République du fait de l’incapacité du gouvernement à faire preuve d’efficacité sur plusieurs fronts avec les «Thiantacounes» qui ont investien l’espace de deux journées le centre-ville de Dakar. On a vu aussi comment s’est terminé le match Sénégal-Côte d'Ivoire. Sur la diplomatie, on peut penser que l’affaire des Sénégalais qui ont été victimes d’exécution judiciaire en Gambie a surpris le ministère des Affaires étrangères. La presse s’est tétanisée au point que c’est un ancien Premier ministre (NDLR : Souleymane Ndéné Ndiaye) qui a pris, de façon assez informelle, l’initiative d’aller discuter avec le chef de l’Etat gambien parce que la diplomatie sénégalaise n’avait pas trouvé les moyens d’y faire face. Sans parler de l’incapacité du gouvernement à faire face aux inondations. Le coût de la vie n’est pas manifestement maîtrisé par le gouvernement. L’équipe chargée de la communication présidentielle était nettement en retrait de ses capacités d’intervention par rapport aux promesses de Macky Sall. Cela mettait le Président dans une position inconfortable ; et l’opinion commençait ces derniers temps à déchanter. Donc, il a senti la nécessité de changer un gouvernement inefficace.

 

Que pensez-vous de la nouvelle équipe ?

 

Pour l’instant, le Président a joué sur deux axes. Premièrement, un axe horizontal qui est l’aménagement de l’espace gouvernemental. C’est-à-dire recomposer certains ministères, en scinder d’autres. Deuxièmement, un axe vertical en essayant de trouver des individus qui soient mis en fonction de leurs compétences avec les tâches qui leurs sont confiées.

 

Comment expliquez-vous le départ d’Alioune Badara Cissé ?

 

Depuis que le gouvernement a été mis en place, le président faisant chaperonner son ministre des Affaires étrangères par des hommes en qui il semblait plus avoir confiance. Qu’il s’agisse de Ousmane Tanor Dieng, de Abdoulaye Bathily, ou de Cheikh Tidiane Gadio, le président de la République montrait de façon ostensible qu’il n’avait plus besoin de son ministre des Affaires étrangères. C’était une manière de l’inviter à prendre ses responsabilités, probablement à présenter sa démission avant qu’il ne soit démis. Il me semble que le président aurait dû s’y prendre autrement.

 

En quoi faisant ?

 

Si Alioune Badara Cissé n’est pas resté dans le giron de l’appareil du pouvoir comme l'ont fait Mbaye Ndiaye qui a eu une démission-promotion (il est passé de ministre à un ministre d’Etat) et Mor Ngom, qui quitte le ministère des Infrastructures et des Transports pour être le plus proche collaborateur du président de la République, c’est peut-être qu’il a refusé cela. Alioune Badara Cissé est assez orgueilleux, on le sait. Et le fait qu’il soit démis dans ces conditions-là le met dans une position de raidissement. La collaboration qu’il va avoir avec le président va être compromise pour quelques temps.

 

Se pourrait-il qu'il quitte l’Alliance pour la République pour créer son propre parti politique ?

 

Personnellement, je ne l’exclue pas. J'ai l’impression que même dans l’aventure de Macky Sall qui démissionne du PDS, puis crée son parti et se lance à la conquête du pouvoir, la présence d’Alioune Badara Cissé a été très déterminante. C‘est un homme de détermination, d’un certain orgueil, comme je l’ai dit. Maintenant (ces dispositions sont encore présentes et puissantes) il n’est pas exclu qu'il s’applique à lui-même les conseils qu’il a pu donner à Macky Sall en quittant le Parti démocratique sénégalais.

 

Benno Benno Siggil s’est vu amputé du ministère du Commerce. Peut-on s’attendre ultérieurement à ce que Macky Sall se débarrasse de ses alliés ?

 

Je ne pense pas que la perte d’un poste par la coalition Benno Siggil Senegaal de Moustapha Niasse puisse mettre en cause l’alliance avec Macky Sall dans la mesure où le chef de l'Etat n’a pas épargné les siens - Mbaye Ndiaye, Alioune Badara Cissé, Mor Ngom. Les choses se jouent, selon moi, dans la durée et Macky Sall a manifestement choisi le compagnonnage avec ces gens-là au moins durant son premier mandat. Il voudrait peut-être que ses alliés le soutiennent pour un second mandat. Il y a une sorte d’adhésion populaire telle qu’il est mis à mal. A chaque fois qu’il y a remaniement, on compte ce qui reste de la coalition. Ils vont rester le plus longtemps possible ensemble. Y compris des gens comme Idrissa Seck qui ont critiqué le président Macky Sall pour n’avoir pas pris jusqu’ici aucune décision significative par rapport à ses engagements.

 

Pourquoi ?

 

Parce que pour l’instant, l’espace d’opposition que le PDS essaie d’occuper tant bien que mal à chaque occasion (est ténu). Mais le Parti démocratique sénégalais se livre plus à une opposition ad hominem contre Macky Sall que contre un système. Sinon je ne pense pas qu’il y ait de la place à une opposition significative d’ici 2017.

 

 

Macky Sall avait promis un gouvernement de 25 membres. Aujourd’hui, on en est à 30. Jusqu’où peut-il aller par rapport ses engagements ?

 

Il n'y a plus de limite ! Dès l’instant où Macky Sall a touché au tabou des 25 ministres, qui est un engagement fort durant la campagne électorale, le principe même de la fidélité aux engagements n’est plus applicable au président de la République. Cela veut dire qu’il faut modifier les paramètres, recadrer le président de la République. C’est quelqu’un qui sera quelque part ballotté par les événements. Il a changé de gouvernement parce que les événements le lui ont imposé. D’autres engagements pourraient subir le même sort. S’agissant de la diminution du coût de la vie, on a vu que le président de la République n’a pas pu faire face à ce que l’extérieur lui imposait. Si Macky Sall ne fait pas attention, il risque de pratiquer une sorte de pilotage à vue. Là, ce serait le début d’une dérive par rapport à ce pour lequel les Sénégalais l’avait élu le 25 mars 2007.

 

 

DAOUDA GBAYA

 

 

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