Publié le 30 Oct 2024 - 15:38

Lettre ouverte adressée au ministre de l'environnement et de la transition écologique  

 

Monsieur le ministre,

Le Président de la République, dans un de ses messages à la nation, a rappelé que “dans une société démocratique comme la nôtre, les droits et libertés individuels et collectifs, consacrés par la constitution, sont partie intégrante de la citoyenneté. Il est juste et légitime qu’ils soient exercés sans entrave indue. Mais la citoyenneté n’est pas que droits et libertés ; elle est aussi devoirs et responsabilités”.

C’est ainsi que j’use de ce devoir de citoyen, rappelé par notre président, pour vous adresser une correspondance.

 Monsieur,

Je viens par cette présente vous informer de l’installation d’une exploitation de béton dans une zone habitée déjà par des populations dont la santé est menacée par la pollution de leur environnement du fait de la poussière qui se dégage de cette exploitation située sur la route de Ndiassane pas loin du village de Ndiakhaté Amar dans la ville sainte de Tivaouane. Cette exploitation se trouve à proximité du lycée Ababacar Sy de Tivaouane où, plus de 3000 élèves, des dizaines de professeurs et un personnel administratif se retrouvent pour les besoins des enseignements apprentissages. Et il est évident que la poussière qui est libérée menace dangereusement la santé de tous ces élèves et personnels qui voient leur environnement de travail pollué sans pouvoir rien faire.  Je refuse de croire que ceux qui ont des moyens ou des amis hauts placés peuvent se permettre, rien que pour du profit, de polluer notre environnement sans être inquiétés.

En tant que ministre de l'environnement, soucieux de notre cadre de vie, vous avez sûrement compris que « l’environnement sénégalais est un patrimoine national, partie intégrante du patrimoine mondial ; sa protection et l’amélioration des ressources qu’il offre à la vie résultent d’une politique nationale dont la définition et l’application incombent à l’Etat, aux collectivités locales et aux citoyens ». En effet, la Loi 2001-01 du 15 Janvier portant code de l’environnement, en son article premier, rappelle que tout individu a droit à un environnement sain dans les conditions définies par les textes internationaux. Un droit assorti d’une obligation de protection de l’environnement.

Seulement, on est au regret de constater que partout dans le pays, notre cadre de vie est sans cesse agressé par des hommes d’affaires et entrepreneurs, qui ne se soucient que de gagner de l’argent sans aucun respect de la loi et des textes règlementant leur activité. D’ailleurs, le Président Diomaye avait constaté et déploré que notre citoyenneté est mise en mal, parce que, entre autre exemple, l’espace public est occupé sans titre ni droit, au risque de poser de graves problèmes d’encombrements, d’insalubrité et de sécurité publique.

Changer tout. Vite dit, mais pas vite fait… ce slogan pourrait s’appliquer à beaucoup de projets au Sénégal. Il arrive que nous soyons tous d’accord sur ce qu’il faudrait changer sans que les choses évoluent pour autant. S’intéressant à la question, Pourquoi il est difficile de changer ? Nicolas de Journet, journaliste de la revue française, Sciences humaines (Mensuel N° 288 spécial-Janvier 2017), analyse les obstacles au changement dont « l’aversion à la perte », par exemple, les conséquences négatives d’un problème environnemental sont difficilement mesurables pour chacun de nous. Cette explication psychologique m’a permis de comprendre pourquoi le propriétaire de l'exploitation commerciale, à qui j’ai parlé, me confiait : la poussière qui se dégage de son exploitation, ne prend pas la direction du lycée et n’affecte pas l’environnement de l’établissement. Comme si le tourbillon de poussière, qui se dégage de cette exploitation, choisit de déposer les substances polluantes qu’il transporte loin du lycée. Ce qu’on oublie souvent, c’est qu’un individu soumis à la pollution atmosphérique sur une longue durée, même à faible dose, risque davantage d’être touché par une maladie cardio-pulmonaire (infarctus du myocarde, asthme, etc.). D’après certaines études sur l’impact de la pollution, les risques de cancer sont également plus importants ; la pollution atmosphérique contribue à une baisse de la fertilité, à une augmentation de la mortalité infantile- les enfants de moins de 12 ans sont plus sensibles à la pollution, car leur organisme est moins bien protégé- et à un affaiblissement du système immunitaire. Parmi les victimes, il y a beaucoup d’enseignants craie en main, des professeurs d’éducation physique et sportive(EPS) qui, seuls avec leurs élèves, restent exposés à la poussière dans des salles de classe souvent sans portes ni fenêtres au moment où leurs chefs d’établissement sont à l’abri de la pollution parce que retranchés dans des bureaux bien fermés.

Aujourd’hui, plus qu’hier, on dépense plus en frais médicaux pour soigner des problèmes respiratoires, surtout que nous souffrons de toute sorte d’allergies dues à des substances polluantes et restons enrhumés 300 jours sur 365. D’ailleurs, l’organisation mondiale de la sante (L’OMS) a récemment lancé une campagne nommée BreathLife avec pour objectif de faire prendre conscience aux populations que la pollution de l’air- désignée ici comme un « tueur invisible » - représentait un risque sanitaire et environnemental majeur. En effet, la pollution de l’air tue chaque année plus de 7 millions de personnes dont 600.000 enfants.

Un des obstacles majeurs au changement sur lequel insiste le chroniqueur de la revue française Sciences Humaines, c’est l’absence de sanctions à l’endroit des pollueurs. Selon lui, « lorsque la contrainte et la menace sont exclues, comme cela devrait être le cas dans une démocratie, même les projets a priori les plus bénéfiques à la collectivité peuvent se heurter à des obstacles pendant de longues années, voire ne jamais aboutir… ».

Au Sénégal, ces pollueurs trouvent des complices dans notre administration, des amis qu’ils corrompent facilement parmi les conseillers municipaux, surtout des élus locaux responsables dans les commissions domaniales de nos localités où, accaparement de terres, clientélisme politique, passe-droits, prébende, détournements de fonds sont notés dans les pratiques de la « gouvernementalité » de proximité.

Il y a également le silence coupable des populations qui ne font rien pour dénoncer ces pollueurs qui viennent installer leur business dans des quartiers où ils ne vivent pas avec leur famille. Le changement annoncé dans le projet pour améliorer notre cadre de vie dépend beaucoup de l’autorité des représentants de l’exécutif, dont le préfet qui relève pour sa gestion du ministère de l’intérieur, de l’exemplarité des hommes politiques, de leur disponibilité qui doit être totale pour répondre aux sollicitations des populations. Mais on n’arrivera à rien, si les citoyens ne collaborent pas dans la lutte contre l’occupation anarchique de l’espace public, l’encombrement, la pollution sous toutes ses formes, comme la police les invite également à dénoncer les malfaiteurs ; on n’arrivera à rien si les populations n’acceptent pas d’assumer de nouveaux rôles dans l’exercice de leur citoyenneté, celle participative. Je pense, par exemple, à celui de « lanceur- d’alerte », un citoyen actif qui voudrait alerter d’un risque ou d’un danger.   

En adressant cette lettre ouverte au ministre de l'environnement et du développement durable, j’espère trouver une oreille attentive auprès de vous et vos services déconcentrés, pour que des mesures, en rapport avec le code de l’environnement et de l’urbanisme, soient prises pour préserver notre environnement de travail, notre cadre de vie.

 

M. Bira SALL

Professeur de Philosophie Au Lycée Ababacar Sy de Tivaouane,

Chercheur en Education et formation.

sallbira@yahoo.fr

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