« Ô pays, mon beau peuple !» que sommes-nous devenus ?
"Il ne peut y avoir plus vive révélation de l'âme d'une société que la manière dont elle traite ses enfants". Nelson Mandela
La radio RFM a diffusé le lundi 15 juin 2015 une nouvelle sidérante, confirmée le lendemain par le quotidien SUD, une quarantaine de filles et garçons mineurs, donc des enfants, ont été arrêtés par la police de Diourbel pour « danses obscènes » dans un bal !
Quel est donc ce grand crime qui mérite de faire vivre à ces enfants, et à leurs parents, une telle frayeur ? Une telle humiliation ? Un tel traumatisme ?
L'obscénité n'est-elle pas ces enfants en haillons, au regard vide des pas-aimés, des abusés, des exploités, couverts de poussière et de plaies, les pieds nus et le corps maigre des affamés, que des adultes envoient mendier par milliers dans les ruelles dangereuses de nos jungles urbaines. Pourquoi les forces de l'ordre ne vont-elles pas arrêter les adultes qui vivent de la souffrance, du sang et de la sueur de ces êtres sans défense, comme la loi de 2005 contre la traite des êtres humains l'exige ? Combien de ces enfants exsangues les policiers ont-ils croisés avant de frapper à la porte d’une maison, non pour chercher les bourreaux de ces enfants mais pour arrêter d’autres enfants. Leur tort ? Danser en privé des danses qui ont été diffusées à la télévision, donc publiquement. S’attaquer à des enfants, c’est tellement plus facile que d’en découdre avec les puissants façonneurs d’opinion publique que sont les média.
Au lieu de protéger les enfants et de s’en prendre à ceux qui leur font du mal, au vu et au su de tous, l'Etat envoie ses forces de l’ordre et de sécurité contre ces êtres caractérisés par leur fragilité et leur vulnérabilité. Il permet qu’on les utilise comme boucs émissaires et qu’on les jette en pâture à la vindicte populaire, sans se soucier des traumatismes profonds et durables qui leur sont ainsi causés.
Le droit aux loisirs est un droit fondamental de toute personne humaine, à commencer par l’enfant. Un droit que l’Etat du Sénégal, partie à la Convention internationale sur les droits de l’enfant et à la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, s’est engagé à protéger, promouvoir, défendre et respecter. Mais où sont les centres de loisirs pour les enfants, les aires de jeux et de détente, les bibliothèques et les cinémas, dans chaque quartier ? Les adultes ont leurs espaces dans chaque quartier, aménagés par la collectivité. Les enfants n’en ont pratiquement aucun.
Le Sénégal va franchir, si l’on n’y prend garde, un nouveau palier dans la violence contre les enfants. Non seulement l’enfant peut être légalement marié, être légalement contraint de porter une grossesse issue d’actes d’inceste, de viol ou de pédophilie, être impunément obligé à mendier livré à la rue et à ses fauves de toutes sortes, mais encore il peut désormais être jeté en prison pour avoir osé une danse osée.
L'affaire a été classée sans suite. Evidemment ! Il s’agit d’un cas patent d’arrestation arbitraire. Chaque enfant et sa famille devraient être indemnisés du préjudice moral subi.
Mettre des enfants en prison, même si ce n'est "que" 48h (tout le week-end) ce n'est pas rien. Seuls des faits d’une gravité extrême pourraient justifier que chaque enfant n’ait pas été rendu à sa famille dès que le bal a été dispersé par la police.
Toutes les associations qui ont comme mission la protection des droits fondamentaux de la personne humaine en général, et des droits des femmes (cela inclut les filles) et des enfants en particulier, doivent se faire entendre pour rappeler aux autorités étatiques les règles encadrant leur devoir de protection envers les enfants.
Notre rôle d’adultes humanistes (nit yu nité en wolof) est de défendre les sans-défenses, les sans-argent, les sans-avocats.
Le rôle de l’Etat et des collectivités locales est de créer des établissements scolaires inclusifs, des espaces de jeux et de créativité sécurisés, accessibles à tous les groupes sociaux, et non des prisons pour les enfants … qui dansent !
Dakar le 16 juin 2015, journée mondiale de l’enfant africain
Fatou Kiné Camara
Docteure d’Etat en Droit
Enseignante Chercheure, Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, Université Cheikh Anta Diop