Une transition irréversible vers un système de gestion durable des déchets

Je me réjouis de l'adhésion populaire autour de celle-ci, car elle représente un engagement significatif des parties prenantes pour améliorer notre cadre de vie et rendre les quartiers plus propres et plus accueillants.
Monsieur le Président de la République, a invité l’ensemble des citoyens sénégalais à s’engager dans l’action citoyenne de propreté. Cependant, force est de constater qu’il faudra aller plus beaucoup loin en mettant en place un écosystème complet qui assure la durabilité dans le management des déchets. En effet, une approche durable de gestion des déchets doit aller au-delà des séances de nettoyage périodiques car se limiter à une activité de
nettoyage mensuel et à l’évacuation des masses de déchets vers des décharges non contrôlées risquerait d’avoir un impact marginal sur le cadre de vie. À long terme, cela peut même engendrer une « fatigue » et un désintérêt face aux innombrables défis qui pèsent sur les populations. C’est pourquoi, je propose une approche durable qui vise à transformer de façon irréversible nos espaces urbains en véritables quartiers propres, résilients et durables. La pratique continue de brûlage des déchets dans les décharges et dans les zones proches des zones résidentielles est une source d'émissions toxiques : polluants organiques qui peuvent causer des maladies cardiovasculaires, pulmonaires et des cancers, et contaminer l'ensemble de la chaîne alimentaire avec des substances bioaccumulables.
Concernant le secteur de l'agriculture, le compost des décharges urbaines est souvent utilisé comme engrais vert pour les cultures maraîchères périurbaines et les jardins des maisons avec des arbres fruitiers. Ce compost peut contenir des métaux lourds tels que le plomb, le cadmium, le mercure et avoir des effets négatifs sur la production alimentaire.
Sur le bétail : Les animaux errants sont attirés par les résidus alimentaires contenus dans les sacs qui sont jetés dans les décharges. Ils ingèrent le plus souvent ces aliments avec des sacs en plastique, qui, une fois avalés, restent dans la panse et interfèrent avec la digestion. Cela entraîne donc une perte de productivité dans le lait et la viande de l'animal. Les décès d'animaux dus à l'ingestion de ces types de déchets sont fréquents sans compter le risque de contamination des produits animaux par des métaux lourds qui se transmettent à l'homme par bioaccumulation.
Sur l’économie des ménages : Dans les zones où l'agriculture est la principale source de revenus, les pertes économiques dues à la perte de production animale sont énormes. De plus, les dépenses de santé engagées par les ménages touchés et la réduction de la main- d'œuvre due à une mauvaise gestion des déchets diminuent le pouvoir d'achat de ces ménages.
Sur la qualité de la vie : Les déchets dégradent la beauté du cadre de vie des villes avec la prolifération des sacs plastiques dans l'environnement. Ils étouffent également les gouttières, ce qui facilite la prolifération des moustiques et génèrent des odeurs désagréables ; ils contribuent aux inondations dans les villes, à la dégradation de la santé publique et impactent négativement le tourisme.
En l'absence d'un système de collecte efficace, les déchets jonchent le sol. Les éléments dangereux (biologiques et chimiques) contenus dans ces déchets rendent l'air impur pour la respiration. Les ressources en sol et en eau
deviennent impropres à l'utilisation dans les maisons.
Au niveau global : La mauvaise gestion des déchets entraîne la production de mercure, de polluants organiques persistants, de gaz à effet de serre, y compris le méthane et les oxydes de carbone, principaux responsables du réchauffement climatique.
Au Sénégal, la production des déchets solides est estimée à 2 459 942 tonnes par an, avec la région de Dakar représentant 58% de cette production (Source : Rapport SONAGED 2024). Selon les données de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie, la population du Sénégal devrait croître à un taux annuel de 2,7%. En utilisant ce taux de croissance, nous pouvons estimer que la production de déchets solides pourrait atteindre 3 500 000 tonnes par an à l’horizon 2035.
Il faut d’abord commencer par identifier les défis et les obstacles associés à la gestion durable des déchets dans les villes africaines.
Les défis ont pour nom l’absence de cadre politique et réglementaire approprié, d'appui technique et financier ainsi que les défis éducatifs et sociaux. En d’autres termes Il y a un manque général de stratégies de gestion des déchets aux niveaux national et local. Les villes qui ont progressé dans la gestion des déchets ont stoppé la création de sites d'enfouissement non contrôlés. Dans la plupart des pays africains, il existe plusieurs lois sur le secteur des déchets, mais avec un impact très limité sur la gestion durable du secteur. Ces lois traitent des déchets dans leur intégralité sans aucune spécification. Au mieux, les lois existantes ne sont que punitives et ne montrent pas souvent les voies de traitement, d'élimination et de recyclage des déchets. Les efforts sont très limités en ce qui concerne les règles spécifiques de gestion des différentes catégories de déchets. D'une manière générale, il existe des lacunes et un manque d'application des approches de gestion durable des déchets dans les pays. L'élimination sans discernement des déchets ne garantit ni la protection de l'environnement ni la santé publique, ni ne favorise les avantages économiques et financiers qui peuvent être tirés des déchets.
Le développement du secteur des déchets subit des contraintes financières. Les municipalités sont souvent obligées de se concentrer sur les besoins urgents que sont les coûts associés à la collecte. Dans ces conditions, la gestion durable des déchets n'est pas envisageable. Le secteur privé, y compris les petites et moyennes entreprises, est confronté à d'énormes difficultés pour obtenir des financements, étant donné que ces activités sont toujours considérées comme un risque financier, alors que de nombreux opérateurs sont dans le secteur informel.
« L’environnement réglementaire n'est pas assez solide pour rassurer les investisseurs »
D'autres facteurs négatifs influencent sur le secteur des déchets: (i) l'absence de contrôle systématique ; (ii) l'absence d'études d'impact sur la gestion des déchets dans les villes ; l'absence de systèmes de suivi et d'évaluation des politiques de gestion des déchets ; iii) l'absence de mises à jour périodiques de statistiques fiables et officielles; iv) l'absence ou l'insuffisance des systèmes de collecte et de traitement des déchets ; (v) la formation insuffisante du personnel de gestion des déchets.
Le concept de filière intégrée, incluant l'ensemble des acteurs impliqués dans une vision globale de la chaîne des déchets, n'est pas encore suffisamment développé. Dans le même temps, l'environnement réglementaire n'est pas assez solide pour rassurer les investisseurs.
Approche intégrée
Les solutions durables nécessiteront une approche intégrée à travers une planification urbaine globale et devraient envisager un mécanisme financier innovant, une participation inclusive à la gouvernance avec une forte implication du secteur privé. Une approche de gestion durable pourrait se décliner autour des composantes suivantes :
La hiérarchie dans la gestion des déchets
Les bons systèmes de gestion des déchets sont généralement ceux qui privilégient les actions selon la hiérarchie des déchets adoptée par de nombreux pays ayant une politique avancée de gestion des déchets. La hiérarchie des déchets est une évaluation des processus qui protègent les ressources et la consommation d'énergie des actions les plus favorables aux moins favorables ; cette hiérarchie établit les priorités des programmes préférés en fonction de la durabilité. L'application correcte de la hiérarchie des déchets peut présenter plusieurs avantages, notamment la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la réduction de la pollution de l'environnement et de la consommation d'énergie, la conservation des ressources, la création d'emplois et le développement de technologies vertes. La hiérarchie des déchets classe les options de gestion des déchets en fonction de ce qui est le mieux pour l'environnement. Il donne la priorité absolue à la prévention en premier lieu. Lorsque les déchets sont créés, ils donnent la priorité à leur préparation en vue de leur réemploi, au recyclage, puis à la valorisation et enfin à l'élimination comme la mise en décharge contrôlée.
Un système efficace de gestion des déchets peut apporter des avantages connexes importants comme l'amélioration de la santé publique, une meilleure qualité de l'air, une réduction de la pauvreté et une plus grande justice sociale.
La mise en place d’un cadre régissant la gestion des déchets
Dans la plupart des pays, la gestion des déchets solides est la responsabilité principale des gouvernements locaux à la suite du processus de décentralisation mis en place par de nombreux gouvernements au cours des dernières années, transférant cette responsabilité aux villes. Cependant, le processus de décentralisation n'a pas toujours abouti à une véritable délégation de pouvoir. Les municipalités font face à des défis associés à la gestion des déchets solides, tels que l’absence de ressources financières, de pouvoirs clairement définis et le manque de personnel qualifié. En effet, les municipalités se voient confier la responsabilité de fournir ce service sans avoir accès aux financements nécessaires, alors qu'elles ont en même temps des défis concurrentiels majeurs tels que, l’éducation, la sécurité, l'éclairage public, les transports en commun, etc. En outre, les politiques et les programmes de gestion des déchets dans la plupart des villes africaines ont été formulés et mis en œuvre par des agences gouvernementales sans participation significative du public, bien que les changements sociopolitiques à travers le continent et la création d'ONGs aient renforcé la sensibilisation du public aux questions environnementales, sans parler du rôle important que joue le secteur privé dans certains pays.
La gestion des déchets solides est très visible et affecte la perception qu'ont les gens du gouvernement et de la société elle-même. La planification d'investissements efficaces et durables dans les systèmes municipaux de gestion des déchets solides nécessite une compréhension des besoins et des préférences d'un large éventail de parties prenantes dans la prestation de services, les coûts et les impacts environnementaux et sociaux correspondants.
Il faut éviter d’imposer des solutions extérieures ou simplement de drainer des ressources d'autres priorités quotidiennes. Une politique nationale doit prévoir des incitations, des objectifs et des cibles au niveau national, des marchés nationaux et régionaux et des économies d'échelle, et intégrer la flexibilité nécessaire pour une mise en œuvre éclairée et sensible au niveau local.
Plan national de gestion des déchets
Un plan de gestion des déchets réussi doit tenir compte des meilleures technologies disponibles (MTD) et des meilleures pratiques environnementales (MPE), ainsi que des liens environnementaux, socioculturels, juridiques, institutionnels et économiques. Le plan doit être élaboré selon un processus inclusif et doit impliquer le gouvernement central, les municipalités, les différents ministères, le développement urbain le secteur privé, les universités, les ONG. Il devrait être largement diffusé dans tout le pays, partagé avec les partenaires de développement et mis à jour régulièrement pour tenir compte de l'évolution des modes de vie, de l'augmentation des processus de production, de l'évolution des technologies et de l'urbanisation rapide. D'autres aspects, tels que la participation communautaire, l'intégration du secteur informel ou l'organisation de la prestation de services, sont mieux traités au niveau local.
Les administrations locales devraient également adopter des plans précis et des règlements municipaux qui tiennent compte des particularités de leur région. Ces plans ne doivent pas être en contradiction avec les dispositions du plan national et les accords régionaux et internationaux ratifiés par le pays.
Une approche participative devrait être élaborée pour inclure des activités d'échange d'informations et de la communication entre les acteurs de la gestion des déchets. Ainsi, à travers des sensibilisations, des radios et télévisions, des ateliers, des affichages dans les collectivités territoriales (mairies, écoles, et autres lieux publics), des communiqués de presse, les populations et l'ensemble des acteurs seront largement informés des bonnes pratiques de gestion des déchets, du cadre juridique et réglementaire régissant la gestion des déchets.
Les TIC comme outil pour améliorer la gestion des déchets
La gestion rentable des déchets est un défi social, environnemental et sanitaire important pour la société. L'amélioration des pratiques de gestion des déchets grâce à l'adoption de nouvelles technologies pour des services efficaces de collecte et de transport des déchets est un phénomène relativement nouveau. La technologie peut fournir une visibilité sur la planification des itinéraires pour la collecte des ordures, l'optimisation des ressources, la gestion efficace des actifs, la maintenance efficace, la visibilité des poubelles, la mesure de la qualité de l'air. Plus généralement, les TIC peuvent aider à surmonter la plupart des défis liés au système de gestion des déchets solides.
En revanche, les systèmes qui n'utilisent pas les TIC posent diverses limitations en termes de sélection de sites, de suivi de la collecte, de recyclage intelligent, d'élimination inefficace des déchets, etc. Les TIC offrent un moyen innovant de résoudre les problèmes de gestion des déchets en raison de leur capacité inégalée à fournir des informations instantanément à distance à un coût comparativement faible.
Les principaux outils TIC pour améliorer la gestion des déchets dans les villes comprennent, entre autres les plateformes en ligne qui offrent des options et des alternatives à l'utilisateur pour envisager le recyclage et la réutilisation des vieux objets.
Des projections précises sur le total des déchets générés, le type de déchets et l'identification des zones à forte production de déchets permettent une planification et une gestion efficace des services de gestion des déchets solides. L'utilisation de l'analytique lors d'événements à forte participation citoyenne, tels que les fêtes et les foires musulmanes et chrétiennes, peut garantir une collecte et un transport sans heurts des déchets. L’utilisateur des capteurs GPS sur le camion à ordures permet d'optimiser l'efficacité de la collecte et de s'assurer que les entrepreneurs déversent les déchets aux endroits désignés. Cela donnera également une image claire de la quantité de déchets générés par zone.
La technologie des capteurs peut reconnaître les matériaux en fonction de leur spectre visible ou de leur couleur avec des spectres infrarouges/ultraviolets ou en fonction de leurs propriétés spectrales spécifiques et uniques de lumière réfléchie, de densité atomique, de conductivité, de perméabilité ou de caractéristiques atomiques. Des projections précises de la production et de la collecte des déchets ainsi que la répartition du type de déchets permettent une gestion intelligente des sites d'enfouissement.
Cependant, dans de nombreux pays en développement, les obstacles à l'adoption de systèmes basés sur les TIC sont principalement le manque de ressources financières, les fréquentes pénuries d'électricité, le manque d'accès à Internet, le manque de capital humain qualifié et l'absence de politiques appropriées. Dans ces pays, l'adoption des TIC peut être progressive, en commençant par des outils de base, simples et abordables tels que les appareils GPS, les plateformes en ligne et les analyses en vue d'utiliser pleinement le progiciel TIC pour optimiser la gestion de la gestion des déchets solides.
À mesure que les zones urbaines continuent de s'étendre, les gestionnaires de déchets devront faire face à des flux de déchets énormes et de plus en plus complexes. Les TIC deviendront un outil incontournable pour la planification et la conception de systèmes modernes de gestion des déchets solides
Financement de la gestion des déchets solides dans les villes africaines
Les déchets générés dans une communauté peuvent être une ressource énergétique et matérielle précieuse. Le fait que les déchets soient à la fois une ressource et un fardeau a généré des opportunités extrêmement créatives et économiquement attrayantes (recyclage, valorisation, réemploi, etc.…).
La gestion des déchets est une préoccupation majeure à toutes les communautés, car toutes les communautés produisent des déchets. Ainsi, il est possible d'utiliser bon nombre de ces déchets pour réaliser de réels bénéfices en termes d'environnement, d'économie, d'approvisionnement en énergie, de conservation et de récupération des matériaux. Des mécanismes financiers réalistes et efficaces devraient être conçus pour fournir des ressources nécessaires à la mise en œuvre de programmes de gestion des déchets, y compris la collecte, le transfert, le recyclage, la réutilisation, la récupération et l'élimination finale.
Ces mécanismes comprennent : des redevances pour la production de déchets, essentiellement similaires à celles d'un service public, c'est-à-dire pour l'électricité, l'eau, l'assainissement, etc., des redevances pour l'élimination des déchets ; la taxe sur les produits environnementaux sur les articles difficiles à éliminer, y compris les articles encombrants ou dangereux ; les programmes de consigne, qui comprennent une consigne ou une redevance versée par l'importateur au gouvernement; et des incitations fiscales et, y compris l'octroi de subventions et de concessions aux entreprises travaillant sur des produits et des alternatives écologiquement rationnels. Le mécanisme de recouvrement des redevances auprès des ménages et des entreprises privées doit être conçu avec soin pour assurer un recouvrement adéquat et régulier. Un financement externe à l'appui du programme de gestion des déchets devrait être exploré dans le cadre d'une coopération bilatérale ou d'accords multilatéraux spécialisés,
à travers les fonds verts comme le Fonds pour l’Environnement Mondial et le Fonds Ver Climat, etc. Cependant, les pays doivent considérer la gestion des déchets comme une priorité nationale, en lui donnant de la visibilité et en définissant explicitement les intérêts nationaux en matière de gestion des déchets, à la fois en ce qui concerne la fourniture de services particuliers et dans le cadre d'une gestion plus large des ressources matérielles.
Une approche nationale permet d'uniformiser les règles du jeu pour le secteur privé, avec plus de certitude et de clarté, ce qui crée un meilleur environnement pour l'investissement.
Un cadre réglementaire national sera particulièrement nécessaire pour les partenariats public-privé. Il est essentiel que les municipalités et les gouvernements centraux développent un partenariat solide avec des entreprises privées dédiées pour favoriser le développement de programmes nationaux de recyclage et de marchés des matériaux récupérés.
L'intervention des grandes entreprises sera davantage axée sur la mise en place d'infrastructures telles que l'installation de décharges contrôlées et la réhabilitation de petites décharges tandis que des institutions de microfinance pourront être déployées pour soutenir (à travers des mécanismes de prêts bonifiés) les petites et moyennes entreprises et les ONGs œuvrant dans le domaine de la collecte, du recyclage et de la valorisation des déchets,
Sans un bon système de gestion des déchets, on ne peut pas construire une ville intelligente, résiliente et durable. À cette fin, il est essentiel de mettre en place un mécanisme financier fiable. Compter uniquement sur des financements extérieurs tels que des aides bilatérales ou multilatérales pour résoudre les problèmes de déchets n'est pas une option durable. Les gouvernements centraux devront mettre en place un système clair pour recouvrer le coût de l'élimination des déchets auprès des producteurs de déchets, y compris les ménages, les entreprises privées et les établissements de santé et, plus important encore, transférer ces ressources aux gouvernements locaux ou aux entités chargées de la gestion des déchets et s'assurer que ces ressources sont effectivement consacrées aux besoins de gestion des déchets.
Par Ibrahima SOW, Ancien Coordonnateur du Fonds pour l’Environnement Mondial (GEF) pour
l’Afrique, Président et Co-Fondateur de Imperium Green and Impact – Email : ibrahimasow@imperium.green;