''Pourquoi la délégation culturelle est rentrée bredouille''
Tenue à Nice en France du 7 au 15 septembre dernier, les 7e jeux de la Francophonie n’ont pas été fameux pour la délégation culturelle sénégalaise. Elle est rentrée bredouille au bercail. Comment s'attendre à autre chose quand les artistes participants ont été embarqués dans des conditions déplorables. Témoignage de Matar Diouf, conteur de la compagnie Baobab théâtre, un des participants à ces jeux.
Dans quelles conditions avez-vous participé aux derniers jeux de la Francophonie ?
Jusqu’à la veille des jeux, nous n’étions pas encore sûrs de nos participations, faute de billets d’avion. Donc, il n’y a pas eu de mesures d’accompagnement depuis la qualification qui s’était passée il y a 6 mois de cela. Nous n’avions pas de salle encore moins de la musique, des costumes et encadreurs. Mes coéquipiers ne diront pas le contraire, nous étions seuls à préparer nos spectacles. A la dernière minute, ils nous ont appelés pour nous dire qu’il y avait des billets qu’ils avaient achetés très cher.
A combien s’élevait le prix du billet ?
947 000 francs Cfa pour ceux des artistes et à plus d’1 million de nos francs pour ceux des accompagnants Alors que j’avais juste besoin de 125 000 francs pour mes costumes, on m’a dit que le ministère n’avait pas d’argent. Je me suis débrouillé seuls avec les autres artistes. Et pour le voyage, nous avons pris nos bagages pour aller en Gambie où nous avons passé toute la journée à attendre. Après c'est le Maroc, avec une escale de près de 18h. Puis Bruxelles, Marseille pour finalement arriver à Nice.
Étiez-vous avec les accompagnants ?
Non, ils ont pris un direct, laissant les artistes galérer à mort. Dans de telles conditions, comment nos compatriotes peuvent-ils s’attendre à obtenir un minimum de satisfaction si ceux qui doivent défendre les couleurs nationales sont mal traités.
Qui était présent là-bas à part les compétiteurs ?
Les agents du ministère ne savaient même pas quand les Sénégalais devaient jouer. Moi, ils m’avaient dit que j’étais dans la Poule D, à ma grande surprise, les organisateurs m’ont appelé pour me signifier que je devais jouer parce que je suis dans la Poule C. J’ai couru alors jusqu’au théâtre où j’ai trouvé un musicien du nom de Papa Diandy qui était aussi un peu pris. Finalement, on n’a pas joué le spectacle qui était conçu pour la qualification. J’ai improvisé, et heureusement, la technique était bien faite, j’ai été jusqu’en demi-finale.
Pourquoi ce problème de coordination alors qu'il y avait des agents du ministère ?
Les autres pays comme la Guinée, le Congo, le Mali et la Côte d’Ivoire se sont déplacés avec les bonnes personnes, des experts, des connaisseurs en la matière. En fait, il y avait des tiraillements en tous sens chez les délégués sénégalais. Et je viens de comprendre le comportement de beaucoup de Lions qui, au retour de compétitions, parlaient de problèmes de perdiem, d'alimentation, de logements, etc.
Étiez-vous bien logés ?
Je vous laisse approcher les autres artistes [Cheikh Keïta, artiste plasticien participants, et membre du groupe musical Takeifa, présent lors de l’entretien, a lui aussi déploré les conditions de traitement en amont comme en aval de cette campagne : ''Les moyens n’étaient pas suffisants comparés aux autres délégations. Il faut prendre au sérieux ces jeux, parce que nous partons pour défendre les couleurs nationales'', a-t-il dit]. Puis Matar Diouf d'enchaîner : les conditions d’hébergement et de nourriture sont inhumaines. C’est l’activité la plus dure de ma vie que j’ai jamais faite. C’est vrai que c’est la France qui organisait, mais le problème, c’est aussi la délégation sénégalaise. Même la veille, je m’étais dit que je n’allais pas jouer. Pas pour moi, mais pour tous les artistes qui étaient là-bas.
Et quid de vos encadreurs ?
Les délégations étaient presque quatre fois plus nombreuses que les artistes qu’ils disent accompagner. Il n'y a pas une activité culturelle qui n’avait pas son directeur sur place. De la direction des arts à Sorano, tout le monde était là-bas. Ils ont dépensé énormément de sous pour les non artistes.
Y a-t-il quand même quelque chose de positif ?
Ce qui m'a fait plaisir, c’est que c’est le public même qui a contesté les résultats. J’ai calmé l'assistance parce qu’aussi le jury sait sur quoi départir les gens et sait qui s'est préparé ou non. Les autres ont bien préparé leurs spectacles.
Il s'est dit que les artistes auraient dormi à ciel ouvert. Est-ce vrai ?
Lorsque nous devions rentrer au bercail, ils nous ont dit avoir acheté un billet. Ils ont acheté un billet pour toute la délégation culturelle ; si je dis toute la délégation, entendez tous les directeurs de la culture qui avaient fait le déplacement et qui ne faisaient rien là-bas. Ils ont bénéficié de billets, de perdiem et d’hébergement. A la fin donc, ils nous ont demandé de quitter Nice, mais nous ne voyions plus personne parmi les responsables encadreurs. Ils nous ont dit de nous débrouiller et d'aller jusqu’à Marseille pour prendre notre vol. Il a fallu que nous pétions les plombs (sic) pour qu’ils nous donnent chacun 7 euros (environ 4 000 F Cfa) pour le transport en train.
Avez-vous rencontré le ministre pour lui parler de ce que vous avez enduré ?
Comme toujours le ministre est leurré, on ne lui a pas donné les bonnes informations. A la dernière minute, on l’a rencontré, mais il ne savait pas nos conditions de séjour. On lui dit toujours que ''c’est Ok, tout se passe bien''.
Ne pensez-vous pas qu'il aurait dû effectuer une visite afin de s’enquérir de la situation des compétiteurs ?
Je ne peux rien dire à ce sujet. Ce que je lui conseille, c’est de revoir les staffs culturels, les budgets qu’il accorde pour les artistes et dont ceux-ci ne voient même pas la couleur de l’argent. A Nice, le budget n’a pas servi aux artistes. Les spectateurs étaient mieux traités que les artistes alors que les premiers dépendent de ces derniers.
Faudrait-il des sanctions ?
Oui, je crois qu’il faut situer les responsabilités. Il nous est arrivé de marcher pour aller jouer. Comment peut-on ramener de médailles dans de telles conditions quand les artistes souffrent pendant que les spectateurs dansent ?