Le baroud d'honneur des barons pour imposer leurs poulains

Alors qu'on croyait révolu le temps des manœuvres pour faire passer des privilégiés comme notaires, certains barons reviennent à la charge et mènent un lobbying intense pour imposer leurs “protégés”, malgré l'opposition de la majorité.
Ils ne se lassent presque jamais. Malgré les nombreuses tentatives avortées depuis le régime précédent, certains barons du notariat continuent de vouloir intégrer leurs poulains sans passer par le concours. Ce, nonobstant l'opposition catégorique de la majorité.
Dans un manifeste reçu à ‘’EnQuête’’, des sources proches du notariat alertent les plus hautes autorités sur ces manigances dont le seul but est d'aboutir à la nomination de quelques privilégiés sans passer par la voie légale qu'est le concours. “Le notariat que l’on croyait avoir rompu avec ces pratiques d’un autre âge (népotisme, parachutage, parrainage, etc.) continue toujours, à travers quelques-uns de ses membres, à vouloir intégrer des personnes, ‘leurs protégés’ qui n’en ont pas le droit”, lit-on dans le manifeste.
Mais qui sont donc ces privilégiés que l'on veut coute que coute imposer ?
À en croire le manifeste, ces personnes peuvent être rangées en deux catégories. D'une part, il y a “celles qui avaient échoué au premier concours et qui ont refusé de se présenter à nouveau pour le second, estimant que c’est leur droit d’être nommés directement comme notaires du fait de leur ancienneté”. D'autre part, il y a le cas de “celles et ceux qui sont titulaires du diplôme supérieur du notariat (diplôme français)”. Ce diplôme, poursuit la source, “ne peut être considéré comme diplôme de référence”. D'ailleurs, précise-t-on, il “a été rejeté par 99 % des notaires sur l’actuel projet de projet de loi portant statuts des notaires”. À ceux qui présument de la compétence des titulaires de ce diplôme étranger, les contestataires rétorquent : “Le diplôme ne justifie pas la compétence. Si le titulaire dudit diplôme est aussi apte, il n’aurait pas de difficultés à passer avec succès tout concours.”
Des soupçons de tricherie
Cette levée de boucliers intervient dans un contexte où l'État et la Chambre des notaires ont entrepris des démarches pour réformer le statut des notaires. Dans ce cadre, le projet de projet de loi a été adopté en plénière au niveau de la Direction des Affaires civiles et du Sceau. Malgré l'adoption du texte, “certains continuent toujours à vouloir l’amender pour réintégrer tous les points négatifs déjà enlevés lors de la soumission du projet à tous les notaires (la majorité devant l’emporter)”, prévient la source, qui dénonce : “Certains notaires sont prêts à tout pour que certaines personnes intègrent la profession et de ce fait, ils essaient de vouloir masquer leurs forfaits en intégrant d’autres personnes qui seraient dans la même posture que leurs protégés.”
Le combat, selon les contestataires, c'est surtout de défendre les acquis, avec le concours qui favorise l'égalité des chances. Rappelant au président de la République et à son Premier ministre qu'ils ont déjà été abusés une fois, à travers le décret n°2024-1181 par lequel ils avaient nommé une personne aux fonctions de notaire alors qu’elle ne remplissait pas les conditions requises, ils les invitent à prendre des précautions. “Il est donc urgent que vous preniez en main le projet de loi portant statut des notaires pour y soustraire, avant adoption par l'Assemblée nationale, toutes les voies d’accès projetées par une simple poignée de notaires, autres que le concours qui demeure le soubassement de votre crédo au niveau des populations et le parachèvement ultime de l’égalité des chances et des citoyens devant la loi”, lit-on dans le manifeste.
La longue marche vers l'égalité
Pour rappel, de 2014 à 2022, souligne le document, “des personnes ayant échoué au concours (la fameuse liste dite des 15) ont, avec l’appui de leur parrain ‘notaire’ et au détriment du métier, essayé de se faire nommer notaire”. La source rappelle que les anciens ministres de la Justice Malick Sall et Ismaila Madior Fall s'étaient tour à tour opposés à ce projet, “estimant tous les deux que de telles nominations iraient à l’encontre du respect de l’égalité des chances et participaient à privilégier une certaine classe ‘neveux, fils, nièces, amis, etc., de notaires’ au détriment des autres”.
Il faut noter que le notariat sénégalais a de tout temps été confronté à ces difficultés liées à l'accès. Des indépendances jusqu’en 2013, date du premier concours, rappelle le manifeste, “l’accès ne s’est fait que par le choix opéré par des titulaires de charges, soit sur des membres de leur famille, soit sur des personnes qui leur étaient soumises au détriment des Sénégalais méritants sans parrain”. Il aura fallu attendre 2013 pour voir la première cohorte de notaires stagiaires recrutés sur la base uniquement de leur mérite, à la suite d’un concours très sélectif. Un concours organisé par Aminata Touré, à l'époque ministre de la Justice, contre vents et marées et malgré une forte résistance de certains notaires, offrant ainsi la chance au pauvre fils du paysan, du pêcheur, de l’éleveur et du Sénégalais moyen, d’avoir enfin accès à cette profession où, seule l’excellence doit être de mise.
Diomaye et Sonko interpellés pour préserver les acquis et l'égalité des chances
Au terme de ce concours, 22 notaires stagiaires ont été reçus. Malgré leur grand mérite, la Chambre des notaires continuait de faire trainer les choses, en refusant, dans un premier temps, d’intégrer certains stagiaires (issus du concours) et en renvoyant même d’autres en cours de stage pour les faire sortir de la profession.
“C’est à la suite de sept années de stage qui était pourtant fixé à trois ans par le statut des notaires, que le président Macky Sall, lui aussi, contre vents et marrées, et un fort lobbying, a créé 20 charges et nommé 40 notaires, dont 22 issus du concours et 18 issus de la liste alors appelée ‘viviers’ pour résorber tous les problèmes du notariat. Avec cet acte posé, il scellait ainsi toute possibilité de nomination en tant que notaire, d’une personne qui ne réussirait plus dorénavant au concours”, informe le manifeste.
Après celui organisé en 2013, un second concours a été tenu en 2023, avec l'admission, cette fois, de 30 nouveaux notaires stagiaires, dont 20 pour le concours direct et dix pour le concours professionnel. “Aujourd’hui, les vingt stagiaires issus du même concours n’ont pas les mêmes dates d’inscription sur le registre, alors qu’ils ont réussi au même concours. Cela étant dû au retard enregistré dans leur intégration dans les cabinets. Ces derniers ont même adressé récemment une correspondance à la Chambre des notaires pour demander la baisse de la durée de stage qui devrait passer de cinq à trois ans, comme pour le concours du barreau”, lit-on dans le manifeste.
Par Amadou Fall