Publié le 6 May 2025 - 14:37

ACCLAMER MACKY CE N’EST PAS CONSPUER DIOMAYE...

 

Lorsqu’un citoyen sénégalais remporte une victoire dans une compétition internationale ou bien s’il est célébré par la communauté internationale, tous les Sénégalais se réjouissent avec lui, même ceux-là qui ne sont pas férus de la discipline concernée : c’est ça la norme. Parce que, à travers sa personne, c’est le Sénégal qui est honoré. C’est la raison pour laquelle, lorsque Sadio Mané marque un but, et que les enfants et les jeunes jubilent, je me réjouis de leur bonheur, sans être amateur de football. Et je ressens comme un baume au cœur la joie de mes compatriotes adeptes du ballon rond. Lorsque Youssou Ndour décroche le disque d’or, je suis heureux pour lui, pour son groupe et pour tous ceux qui aiment sa musique. Lorsque Mbougar remporte le Goncourt, je suis heureux, tout comme lorsque Souleymane Bachir est honoré ou que Diouf est porté à la tête d’une grande institution…

Le rôle de l’État, c’est de faire de toutes ces victoires une gerbe de gloire pour doper la fierté du peuple, rehausser l’image du pays et guider sa marche vers le développement. Car, en vérité, nous sommes un arbre. On ne peut pas être pour les branches contre les racines ni pour les fleurs contre les fruits. Nous sommes les abeilles d’une même ruche en vue du miel. En célébrant Macky Sall, la communauté internationale célèbre le parcours du Sénégal qualifié d’exception démocratique dans la sous-région. En célébrant Macky, elle montre au monde que la perte du pouvoir politique n’est pas la mort, la décomposition et le pourrissement, mais le début d’une autre vie, peut-être même plus exaltante. Pourquoi souhaiter le contraire et perpétuer le cauchemar du départ qui change les fanfares et les chants de louanges en lugubres hurlements, non sans enraciner bon nombre de dirigeants sur le fauteuil, les transformant en dictateurs, entraînant coups d’État et diverses dérives ? Pourquoi attiser l’enfer dénoncé par Wade qui demandait à l’Afrique de régler deux questions pour juguler les errements politiques et cultiver la saine adversité démocratique : comment accéder au pouvoir ? Comment quitter le pouvoir ?  

En vérité, acclamer Macky ce n’est pas conspuer Diomaye, et aimer Diomaye n’implique pas l’aversion de Macky, comme le pensent certaines personnes atteintes de confusion cognitive et pour qui la colère et l’insulte sont les seuls arguments. Car, si l’un a cédé le pouvoir à l’autre après deux mandats et au premier tour d’une élection incontestée qu’il a organisé sans être candidat, il reste toujours membre de la grande équipe du Sénégal coachée par son successeur à qui je souhaite un parcours plus élogieux. Critiquer le pouvoir non plus, ce n’est pas le haïr : car la balance doit demeurer en équilibre ; et la critique citoyenne est une chance pour un régime intelligent, un stimulant démocratique naturel. Et disait avec raison Ousmane Sonko : « Celui qui est allergique à la critique ne doit même pas diriger une famille ou un parti, à fortiori un État. »

Imaginons : si Diomaye avait envoyé un message de félicitations à Macky, si Sonko, fidèle à sa réflexion ci-devant, avait dépassé l’esprit de parti caractéristique de nos acteurs politiques depuis l’indépendance : nous serions alors dans un autre Sénégal, nous vivrions une ère nouvelle - le monde nouveau tant rêvé. Hélas, au lieu de cela, le président accuse son prédécesseur d’ourdir des complots, le Premier ministre l’accuse d’avoir ruiné la République et le parlement est saisi pour le traduire devant la haute cour de justice. Chaque fois avec une légèreté de campagne électorale. Au lieu de cela, des dignitaires du pouvoir se disent choqués par sa nomination à la fondation Mo Ibrahim, cependant que la défiance grandit, que la suspicion gonfle, ainsi que l’arrogance, et qu’on traque ses collaborateurs et autres chroniqueurs insoumis. Comme si les dérives politiciennes souffertes par ce peuple ne suffisaient pas. Comme si l’on ignorait que le Sénégal est en compétition avec lui-même et avec le reste du monde et que les Sénégalais, toujours fatigués, attendent encore d’être soulagés. Comme si l’on ne savait pas que Macky est porteur des couleurs nationales et porte-étendard tout comme Wade, Diouf, Diomaye et beaucoup d’autres Sénégalais. Comme si l’on ne savait pas que son expérience et son aura pourraient contribuer à faire bouger les lignes... 

Et surtout que personne ne me parle de comportements ressemblants par le passé pour justifier les actuelles dérives. Car les erreurs d'hier ont été critiquées en leur temps, et ne doivent plus se répéter : le piétinement doit cesser, le Sénégal doit progresser : il y a des choses qui ne doivent plus se faire, qui ne peuvent plus se faire. Alors, arrêtons de prendre en exemple les mauvaises actions du passé, arrêtons de chercher des boucs à immoler sur l’autel de nos désirs inassouvis : doivent être dépassés la justice des vainqueurs, les vengeances politiciennes et les martèlements de poitrine ; doivent être dépassées les intimidations et autres tentatives de musèlement de la presse et d’effacement des dénonciateurs du pouvoir.

Effaçons plutôt l’inculture, l’incivisme et le manque de citoyenneté, emprisonnons le chômage, la faim, la soif... C’est cela l’urgence de l’heure. Apprenons à notre peuple le respect, le travail et la patience dans l’effort. Apprenons-lui notre devise, notre hymne national, la signification de notre drapeau et l’histoire de notre peuple. Et les faits d’armes de nos héros. Et la beauté de nos saints. Tout le reste est enfantillage. On ne construit pas la paix avec le mortier de la haine et les briques de la vengeance. Piétiner l’adversaire ne grandit pas le vainqueur. Semer la haine des riches dans les cœurs des pauvres n’est pas une solution à la pauvreté. En vérité, la beauté de la force, c’est le pardon. La beauté du pouvoir, c’est l’humilité et la générosité. La beauté de la richesse, c’est le don et le partage. Que donc notre colère s’attaque à la souffrance des populations. Que notre orgueil se fasse infrastructures, monuments, œuvres d’art et de sagesse. Je ne prône pas l’impunité, le laisser-faire et le laisser-aller, mais le respect de la personne humaine, du bien public, des institutions et armoiries de la république, mais une justice indépendante et équitable. Je prône le changement des comportements par l’information, l’éducation, la formation et l’exemplarité des dirigeants. Je prône l’unité du peuple dans le respect de sa diversité…

Bref, ce qu’on attend véritablement de Diomaye, sur qui reposent tant d’espoirs, ce n’est pas de faire de son mandat un tribunal pour Macky et les siens, mais de mobiliser ce peuple, de construire ce pays, d’améliorer la vie des Sénégalais. Car pour lui, comme pour Macky et nous tous, l’histoire jugera, Dieu aussi jugera. Que donc nos juges accomplissent leur part de jugement sans pression, comme vient de le faire le Conseil constitutionnel. Mais déjà des immunités parlementaires sont levées, se poursuivent les accusations, contre-accusations et vains bavardages. Me  reviennent alors mes vieilles interpellations sur les motivations des affaires judiciaires touchant l’opposition : est-ce qu’on aurait inquiété les mis en causes s’ils étaient militants du parti au pouvoir ? Est-ce qu’un dignitaire  du régime qui commet un acte similaire subirait le même traitement ? L’autorité est-elle aussi soucieuse d’arrêter les détourneurs de deniers que d’arrêter les détournements ? Etc.

Or, à celui qui veut reboiser le Sénégal, on recommande l’arbre du dialogue et de la teranga. Serigne Abdou Aziz Sy Dabakh enseignait : « Le Sénégal est une assiette. Ne le cassons pas, soulevons-le de nos mains unies. » Ce qui me met en phase avec Alioune Tine : « Diomaye et Sonko doivent désamorcer les tensions et éviter la politique du règlement de comptes », comme l’a accompli Macky à la veille des dernières présidentielles, honorant ainsi la tradition, et faisant écrire au journal Le Monde : « Il est des actes qui font entrer un responsable politique dans l’histoire de son pays ». Le dialogue annoncé, dit le président d’Afrikajom Center, « ne peut réussir que si tous les protagonistes se parlent franchement ». En vue du Juboo (réconciliation) a prié Mansour Sy Diamil à la Ziarra générale 2025. Que ce rendez-vous de la démocratie soit donc l’occasion de poser des actes forts de dépassement des égos en vue de la réconciliation, de la stabilité et du développement. Rappeler seulement pour finir qu’un dialogue national ne peut bien se tenir que dans le respect et la sincérité : il a besoin de la bonne foi des initiateurs et de tous les protagonistes, avec en prélude des actes d’apaisement : alors seulement il sera un soulagement et une source de fierté pour notre pirogue et ses passagers.

Mai 2025

Par Abdou Khadre Gaye, écrivain, président de l’EMAD

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