“L’arrivée de cette nouvelle génération me soulage’’
Un immense honneur lui a été rendu, lors de la 27e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). Le scénariste et réalisateur franco-sénégalais, Alain Gomis, s’est confié sur l’érection de sa statue qui trône sur la place des Cinéastes. Dans cet entretien accordé à la presse, le double Etalon d’or de Yennenga (2013-2017) a également donné son avis sur le cinéma sénégalais et africain.
Votre statue a été dévoilée à Ouagadougou, à la place des Cinéastes. Quel est le sentiment qui vous anime ?
C’est un immense honneur. C’est même un peu étrange pour moi. Je suis très flatté. Les gens qui sont autour de moi me renvoient cet honneur et sont contents pour moi. A titre personnel, j’ai un peu peur, parce qu’avant, les statues, c’était pour les morts. Depuis qu’il y a la statue, je me sens en danger (rire). Franchement, c’est quelque chose que je ne pouvais pas imaginer. C’est un très grand honneur.
Pour certains, cette statue signifierait que vous êtes en quelque sorte au même niveau qu’Ousmane Sembène…
Moi, je me lève le matin, me couche le soir ; je laisse les gens parler. J’ai au moins appris cela. Je ne prête pas trop attention à ce qu’on dit. Demain, il y aura quelqu’un d’autre sur qui les gens vont parler. Je ne me compare jamais à aucun des grands. Je fais ce que je peux. Le reste, ce n’est pas entre mes mains.
Mais aujourd’hui, vous vous illustrez sur cette avenue à côté des pionniers. Est-ce que ce n’est pas un fardeau ?
Le fait qu’on ait pu ouvrir officiellement le centre Yennenga, il y a trois semaines - il existe depuis plus longtemps - le poids que j’ai ressenti par rapport à tout ça, c’est que ça ne doit pas être pour ma personne. Ça doit servir à quelque chose. On a mis beaucoup d’énergie. Pour essayer de travailler sur la transmission. On vient d’ouvrir ce centre à Dakar. On se donne des outils pour continuer. C’est une petite affaire. Je ne dis pas que ça va révolutionner les choses. Mais l’important, pour moi, c’est de transformer, tenter d’apporter quelque chose aux autres.
Est-ce que ça n’impacte pas sur vos futurs projets ? Autrement dit, est-ce que ça ne sera pas une sorte de pression ?
Il y a peut-être eu un moment où ça m’a mis beaucoup plus de pression. Aujourd’hui, pour moi, voir l’arrivée d’une autre génération, avec les Mamadou Dia et autres avec leur talent, ça me soulage. J’ai l’impression que j’ai fait une partie de ce que je devais faire. Si je réussis ou je rate, il y a d’autres qui sont là. Il y a moins de pression, alors.
Mais avec tout ce que vous représentez aujourd’hui, ne serait-il pas risqué de concourir pour les Fespaco à venir ?
Je suis très honoré, mais en même temps, grâce à l’éducation que m’ont donné mes parents, ce n’est pas des choses qui me tournent la tête. Ça vient, ça part. On vous met en haut, le lendemain, on vous descend. Donc, il ne faut pas s’attacher. Quand je parle aux jeunes, c’est que je leur dis. Au moment où ça se passe bien, il faut aussi rester calme. Parce que, demain, on risque d’être seul, quand ça ira mal.
Selon vous, quels sont les défis à relever pour le cinéma africain ?
Moi, quand je suis arrivé, presque plus personne ne croyait au cinéma africain. Là, il y a un enjeu économique fort. Ce n’est pas seulement le cinéma, c’est l’audiovisuel, d’une manière générale. Mais, il y a beaucoup de crocodiles. Et la jeunesse est devenue un enjeu. On parle de jeunesse par-ci et par-là. Tout le monde l’utilise dont les financiers. Chacun veut avoir un jeune talentueux pour le mettre sur la photo, etc. Ce qui est difficile pour eux, c’est d’être très tôt sollicités. Avant même d’avoir pu faire leurs preuves, on leur saute dessus. Et ça, il faut rester concentré sur un but, sur quelque chose. Quand un jeune vient au Fespaco, certains vont tout suite l’identifier comme talent… Il va faire des selfies qu’il va poster sur les réseaux sociaux ; les gens vont le féliciter. Au bout de deux à trois ans, quand il n’a finalement rien fait que voyager, les gens lui en veulent… Il y a maintenant cette attention particulière et on est manipulé un peu. Il faut qu’ils sachent rester calmes avec ces choses-là, parce que ce n’est pas souvent avec leur intérêt. C’est l’intérêt de certains bailleurs de fonds, de certains politiciens, etc. Donc, c’est ça qui n’existait pas et qui est devenu un danger.
La Délégation générale du Fespaco a innové avec le Fespaco pro dont vous êtes le parrain. Comment avez-vous vécu cela ?
Moi, j’essaie de faire ma part avec d’autres. On essaie de donner les outils à d’autres, de leur permettre de faire à leur propre façon. On n’a pas à dire, particulièrement à un cinéaste, comment il doit filmer. Tout ce qu’on peut faire, c’est de faire en sorte qu’il ait les outils, qu’il apprenne à s’en servir pour pouvoir les maîtriser techniquement. Après, il va dire ce qu’il a à dire.
Qu’est-ce que vous répondez à ceux qui vous considèrent comme un Français ?
J'ai tout entendu. Il y a un moment, quand ça sert, vous êtes sénégalais, quand ça ne sert pas, vous êtes français. Sincèrement, si on n’est pas calme avec ça, on a une vie compliquée. Je ne dis pas que ça a toujours été facile à gérer. Mais aujourd’hui, mes cheveux deviennent blancs. Ça va. Ça ne dérange pas ce que les gens disent.
Vous vous sentez plus français ou sénégalais ?
Cette question, en tant que métisse, n’a jamais eu de sens pour moi. Mon histoire a fait que j'ai eu la possibilité et l’envie de m’inscrire à l’intérieur du cinéma sénégalais et de travailler à cet endroit-là. C’est tout ce qui compte. Qu’on le reconnaisse ou non. Aujourd’hui, je suis au Fespaco et je travaille tous les jours pour le cinéma africain, d’une manière générale, et le cinéma sénégalais. J’ai passé mon temps à cela et je continuerai.
Que pensez-vous des films qui ont été sélectionnés au Fespaco ?
Le niveau général augmente et ça, c’est très bien. Mamadou montre de la maturité dans sa mise en scène, dans ce qu’il est en train d’essayer de mettre en place et de raconter. Et on se dit tout de suite, quand on voit son film, que s’il est aidé, c’est quelqu’un qu’on va retrouver. On a envie de voir son prochain film. C’est une chance, parce que ce n’est pas toujours que des cinéastes réussissent à naître aussi régulièrement. Donc, je suis très heureux.
Netflix, en partenariat avec l'Unesco, va essayer de revaloriser les contes africains. Cela ne vous inspire-t-il pas une crainte ?
Je disais tout à l’heure qu’il y a des enjeux financiers qui commencent à être forts. En Afrique, d’une manière générale, il y a une sous-production en matière d’audiovisuel. Toute la grande plateforme rêve de prendre ce marché. Le problème, ce n’est pas forcément d’empêcher Netflix. Est-ce qu’il y a d’autres initiatives qui vont permettre à ces contes d’exister, de façon plus proche de leur tradition, de leur authenticité ? On ne peut pas agir seulement en disant qu’on interdit. Qu’en est-il des plateformes africaines ? Il faut plutôt se presser pour que ce ne soit pas d’autres qui le fassent à notre place. Où sont les initiatives ? Il doit y avoir des plateformes africaines. Ce n’est pas normal. Eux, ils défendent leurs intérêts.
Donc, il faut, en Afrique, que les gens défendent leurs intérêts. Et que les plateformes se placent. Ça ne veut pas forcément dire que ça sera de bonnes plateformes ou qu’on sera content de ce qui sera fait. Mais, au moins, dans le cercle économique, que l’argent reste là.
Donc, plutôt que passer son temps à dénoncer les initiatives des autres, il faut que différentes initiatives arrivent à se relayer, que les gens travaillent ensemble. Il faut qu'il y ait des plateformes - pas une seule ici en Afrique - pour que ces indépendances-là puissent être effectives.
Vos projets ?
Là, on a tous subi les effets de la Covid-19. Ce n’est pas simple. On sort un peu de cette situation ; j’espère tourner en 2022, si tout se passe bien.
BABACAR SY SEYE