Unis, pour la liberté de presse !
Les soutiens affluent en faveur du journaliste de ‘’Dakar Matin’’ arrêté pour un délit de presse. Malgré cela, le procureur se tient garant des forces de défense et de sécurité.
‘’Vous ne verrez jamais, pendant ma gouvernance, un journaliste mis en prison pour un délit de presse. Les journalistes ne courent aucun risque au Sénégal. Ça, je le dis très clairement et je ne serai pas démenti’’, disait Macky Sall sur la chaîne française Itélé. Le président de la République va-t-il se dédire, une nouvelle fois, sur un engagement qu’il a pris à la face de tous ? Après la promesse de réduire son premier mandat, celle de ne jamais nommer un membre de sa famille, le président de la République verra-t-il, sous son magistère, un journaliste faire de la prison pour un délit de presse ?
L’arrestation, ce 6 novembre 2022, du journaliste Pape Alé Niang pour ‘’divulgation de documents militaires sans autorisation de la hiérarchie de nature à nuire à la défense nationale ; appel à la subversion ; recel et diffusion de documents administratifs estampillés secret et propagation de fausses nouvelles’’, vient donner un nouveau coup à la liberté de presse au ‘’Pays de la Téranga’’.
Placé à la 73e place sur 180 dans le dernier classement des pays sur la liberté de la presse, le Sénégal s’est offert une mauvaise publicité. Toutefois, toutes les organisations autour de la presse se mobilisent afin d’apporter leur soutien au journaliste de ‘’Dakar Matin’’.
La Coordination des associations de presse (Cap) qui regroupe les organisations Appel, Cdeps, CJRS, Cored, CTPAS, Synpics, UNPJS et Urac, a fait face à la presse pour condamner vigoureusement l’arrestation de Pape Alé Niang et exiger sa libération immédiate et sans condition. ‘’Pape Alé Niang a été arrêté pour des délits de presse. La Cap rappelle à l’État du Sénégal le respect de la Constitution, notamment en ses articles 8 et 10, mais aussi ses engagements internationaux relatifs à la dépénalisation des délits de presse. La Cap réitère que la liberté de presse, d’investiguer et d’informer n’est pas négociable’’. Les articles 8 et 10 de la Constitution garantissent respectivement le droit à une information plurielle et la liberté d’expression.
Constitution contre Code pénal
C’est d’enfreindre les articles 60, 80 et 363 du Code pénal qui serait reproché au journaliste de ‘’Dakar Matin’’, connu pour ses ‘’live’’ très critiques à l’encontre du pouvoir. Dans l’une de ses dernières apparitions, il exploite les conclusions d’une enquête interne de la gendarmerie nationale qui, selon ses propos, révèle les agissements de certaines autorités publiques (du parquet et de la gendarmerie) tendant à falsifier des documents dans le but d’alourdir les charges contre le principal opposant du Sénégal, Ousmane Sonko, accusé de viol par une masseuse.
Ce dernier suit d’ailleurs ce dossier. Sur les réseaux sociaux, il a déclaré hier qu’après ‘’des heures de concertation, le pouvoir a finalement abandonné le vrai motif de l’arrestation : le rapport interne de la gendarmerie qui met sens dessus dessous toute la sphère des comploteurs d’État. C’est parce qu’ils en connaissent toutes les implications et ont peur de mettre en exergue ce document explosif. Peine perdue ! Ce document est bien là où il faut’’.
Le journaliste a également reçu le soutien de nombreux acteurs politiques, à l’image du leader du parti Awalé, le Dr Abdourahmane Diouf qui ‘’en appelle à la responsabilité de l’État pour le respect de la liberté de presse telle que consacrée par notre Constitution’’.
Les articles 60, 80 et 363 sévissent contre la diffusion d'informations ‘’de nature à nuire à la défense nationale’’, jeter ‘’le discrédit sur les institutions politiques ou leur fonctionnement’’ et sévit contre ‘’la rupture du secret professionnel’’. Mais la Cap appelle les défenseurs des libertés à se mobiliser et à faire face aux tentatives d’intimidation et de musellement de la presse : ‘’La Cap s’insurge contre la tendance répressive et à la diabolisation de la presse, autant par le pouvoir que par l’opposition. La Cap saisit les organisations de défense des libertés de presse nationales et internationales sur les dérives totalitaires de l’État du Sénégal, et finalise son plan d’action.’’
La Cap dénonce des ‘’dérives totalitaires de l’État du Sénégal’’ et annonce un plan d’action
Cette affaire a déjà pris une dimension internationale. Reporters sans frontières (RSF) appelle à la libération immédiate de Pape Alé Niang et au respect de la liberté de la presse. L’organisation de défense des droits des journalistes estime, dans son rapport 2022, qu’au Sénégal, ‘’malgré l’arsenal juridique existant qui favorise généralement l’exercice de la profession de journaliste, les acteurs sont assez inquiets du maintien, dans le Code de la presse voté en 2017, de lourdes peines privatives de liberté pour de simples délits de presse. L’absence d’une loi sur l’accès à l’information empêche toujours les journalistes d'accéder à des informations publiques’’.
En plus des acteurs des médias, des membres de la société civile, dont l’ONG 3D, apportent leur soutien à Pape Alé Niang et demandent à l’État sa libération ‘’immédiate et sans condition’’. Au lieu de s’en prendre aux hommes et femmes des médias, l’organisation dirigée par Moundiaye Cissé invite l’Administration, les forces de défense et de sécurité, ainsi que la justice à traquer plutôt, s’il y a lieu, les responsables de ces fuites qui violerait leurs obligations et mettraient en péril la sécurité et la sacralité de l’État. Selon l’ONG 3D, aucun journaliste ne doit être mis en prison pour avoir divulgué des informations, sous le prétexte d’une violation d’un quelconque secret.
Un appel que ne semble pas avoir été entendu par le procureur de la République. Dans un communiqué, le maître des poursuites dit avoir constaté, ‘’depuis un certain temps, des attaques répétées, non fondées et inacceptables dirigées contre les forces de défense et de sécurité’’. Les dernières en date, qui ‘’visent des officiers généraux’’, ont poussé Amady Diouf a demandé ‘’au commissaire chargé, dans le respect des exigences de la liberté de presse et des instruments internationaux garantissant les libertés fondamentales, d’ouvrir immédiatement une enquête sur ces faits constatés et de me rendre compte de l’évolution de la procédure, laquelle enquête devant être conduite avec toute la rigueur nécessaire, au vu de la gravité des faits’’. Une sortie destinée également au leader du Pastef qui a brandi le fameux rapport d’enquête interne de la gendarmerie lors d’une conférence de presse après son audition ?
Le procureur demande l’ouverture d’une enquête
La posture de Pape Alé Niang rappelle, à bien des égards, celle de l’ex-journaliste d’investigation Abdou Latif Coulibaly, auteur de plusieurs livres à succès, qui avait étrillé le Parti socialiste et le régime d’Abdoulaye Wade, avant l’arrivée au pouvoir du président Macky Sall. L’un des plus célèbres, ‘’Wade, un opposant au pouvoir. L’alternance piégée ?’’ , aura provoqué à lui seul la création d’une commission d’enquête parlementaire, un remaniement ministériel et le limogeage du Premier ministre Idrissa Seck, soupçonné d’être l’une des sources de l’auteur.
L’ouvrage, réquisitoire contre la gestion du président Wade, révèle notamment les coûts exorbitants de la rénovation de l’avion présidentiel, la ‘’Pointe de Sangomar’’. Les révélations font de lui le journaliste qui dérange. Il sera lui-même cueilli par les éléments de la Division des investigations criminelles (Dic) et interrogé sur ses liens avec le Premier ministre.
Pape Alé Niang est-il voué au même destin ? Ou surtout, ce régime est-il finissant à l’image de celui du président Wade en 2011 ?
Lamine Diouf