Cette générosité du gouvernement qui inquiète !
En augmentant les salaires des enseignants, des agents de la santé, des magistrats et autres administrateurs civils, l’État risque de concourir au renchérissement du coût de la vie et d’en faire supporter les conséquences aux moins nantis.
‘’Une générosité surprenante et inquiétante’’. C’est en ces termes que l’inspecteur des impôts et des domaines, Elimane Pouye, dans une tribune signée sous le titre de simple citoyen, a tenu à alerter contre les possibles conséquences des dernières mesures du gouvernement relatives à la hausse presque généralisée des salaires dans la Fonction publique (voir ‘’EnQuête’’ du 18 août 2022).
Dans sa tribune, le spécialiste est largement revenu sur la question du financement de ces hausses qui vont coûter plus de 100 milliards F CFA au budget de l’État. A l’en croire, il y a fort à parier que l’État va encore opter pour le tout fiscal, comme à son habitude. ‘’Le financement de la nouvelle hausse des salaires dans le secteur public ne saura échapper à la logique du tout fiscal du régime actuel’’, avertit M. Pouye.
En fait, à entendre l’inspecteur des impôts, ancien Secrétaire général du Syndicat des agents et inspecteurs des domaines (SAID), durant la dernière décennie, la fiscalité a été l’un des principaux leviers sur lesquels l’État s’est appuyé pour financer ses nombreuses dépenses. Souvent, au grand dam des populations les plus vulnérables, contraintes de financer de nouveaux privilèges accordés aux fonctionnaires les plus nantis. Durant cette décennie, six nouvelles taxes ont été instituées. En sus de deux taxes sur le ciment, il y a la taxe de sortie sur les volumes d’arachides exportées ; la taxe sur l’utilisation des sachets en plastique ; la taxe sur les corps gras alimentaires et la taxe spécifique sur les produits textiles.
À côté de ces taxes nouvelles, une dizaine d’impôts existants ont vu, durant la même période, leur assiette, leur taux ou tarif être modifiés à la hausse. Il s’agit notamment de l’extension du périmètre de la taxe sur les véhicules de tourisme à tous les véhicules ; l’extension de la taxe sur les boissons gazeuses non alcoolisées aux jus de fruits et du relèvement de son taux ; du rehaussement des tarifs de la taxe sur les armes à feu et du droit de timbre sur les permis de port d’arme ; du relèvement du taux de la taxe sur les tabacs ; du relèvement du taux de la taxe sur les produits cosmétiques ; de la hausse du taux de taxation des plus-values réalisées ; de l’extension aux sociétés de la taxe de plus-values sur les cessions d’immeubles et de droits réels immobiliers figurant au bilan. Autant de taxes qui ont concouru au renchérissement du coût de la vie. Et cela pourrait aller crescendo, avec les dernières mesures fiscales.
Mais ce qui inquiète le plus chez les puristes, c’est que ces mesures, ‘’inédites par leur spontanéité et leur ampleur’’, interviennent dans un contexte de morosité économique et d’inflation sans précédent. Elimane Pouye s’interroge : ‘’Dans un contexte de finances publiques tendues, lourdement impactées par les tensions géopolitiques, il y a lieu de s’interroger sur cette générosité à la fois surprenante et inquiétante.’’ La revalorisation des salaires, a-t-il poursuivi, ‘’est assez surprenante, au regard de la doctrine de gestion de la masse salariale jusqu’ici assumée par l’État. Elle s’inscrit surtout aux antipodes d’une gestion rationnelle des finances publiques.’’
En effet, depuis son accession à la magistrature suprême, le président de la République avait prôné une maitrise des mesures de hausse des salaires et une politique de rationalisation des dépenses qui n’a rien à voir avec ces dernières pratiques considérées par beaucoup comme électoralistes. Cette doctrine a été réaffirmée juste à la suite de sa réélection en 2019. A l’occasion de la cérémonie de remise des cahiers de doléances du 1er mai 2019, il pestait en des termes peu diplomatiques que ‘’l’État n’a pas les moyens d’augmenter les salaires dans la Fonction publique… Nous ne le ferons pas. Il faut que ça soit clair. Ce n’est pas possible’’.
Bien avant ces déclarations du chef de l’État, au lendemain de l’adoption du Plan Sénégal émergent, rappelle M. Pouye, l’alors ministre de l’Économie et des Finances invitait les fonctionnaires à ‘’s’interroger sur la légitimité du poids qu’ils font supporter à la nation tout entière, par le biais de la masse salariale inscrite, année après année, à un rythme toujours plus croissant dans le budget’’. En 2014, rappelait-il, 100 540 agents de l’État, constituant moins de 1 % de la population sénégalaise, émargeaient à la solde et se partageaient ainsi une enveloppe de 717 milliards équivalent à 46,3 % des recettes budgétaires de l’année 2014’’. Dans le projet de loi de finances pour l’année 2021, les dépenses de personnel étaient projetées à 904 milliards F CFA.
Nous sommes donc très loin de cette époque. Pourtant, la situation économique et le niveau d’inflation n’ont jamais été aussi exécrables. Sous la pression des syndicalistes de l’enseignement et de la santé, dans un contexte marqué par une baisse de popularité continue de son régime, le président Macky Sall a voulu, sans doute, faire plaisir à la classe moyenne où il a le plus de problème, du point de vue électoral. Elimane Pouye met en garde tout en relevant un certain nombre d’alternatives envisageables. ‘’Certes, dit-il, l’abondance de bien ne nuit pas, mais une générosité déraisonnable peut conduire à la ruine… Une meilleure mobilisation des recettes fiscales par une taxation adéquate des niches fiscales, une véritable rationalisation des exonérations, une réorientation des dépenses publiques aurait permis d’éviter de creuser le déficit et de diminuer le coût de la vie pour tous les citoyens’’.
MOR AMAR