Un antagonisme difficile à résorber
Justice et médias est le thème d’un panel qui s’est ouvert hier à Saly et prend fin ce samedi. Y prennent part des journalistes chroniqueurs judiciaires, des magistrats, des représentants d’organisations professionnelles de journalistes et du Conseil national de régulation de l’audiovisuel. La rencontre s’inscrit dans les activités du Projet de gouvernance économique (Pge) dans le cadre duquel ont été entreprises des réformes dans le secteur de la justice en République du Sénégal.
A cet atelier sont en discussion les relations souvent conflictuelles entre la justice et les médias ; les uns voulant accéder au secret que le justice garde jalousement arguant la présomption d’innocence d’individus concernés par les investigations menées par le juge, le respect et la protection de la vie privée, le besoin de travailler dans la sérénité, dans la durée... Qu’importe pourtant au journaliste qui veut avoir l’information tout de suite et la publier. Et le journaliste agit au nom de la liberté de presse et se considère comme assurant une délégation du public qui revendique son droit de savoir la vérité – y compris sur l’administration de la justice, y compris sur les dossiers que traite le magistrat en objectant au journaliste son droit de mettre son travail sous la protection du secret de l’information.
On sent le conflit quand, intervenant à ce panel, la magistrate Aminata Cissé Fall, directrice de cabinet du ministre de la justice garde des Sceaux, souligne que « le juge protège son information », alors que, lui rétorque Mame Less Camara, le journaliste protège ses sources, se conformant ainsi à un point de la charte et de la déontologie des professionnels de l’information et de la communication. Mais, ce dernier risque de tomber sous le coup d’une inculpation pour outrage à magistrat s’il refuse de révéler ses sources au magistrat. Et cela a valu la prison à des journalistes ici même au Sénégal où Madiambal Diagne, alors directeur de publication du journal Le Quotidien, en fut un exemple récent.
Un autre grief que la justice aurait pu faire à la presse, c’est de ne s’intéresser presque exclusivement qu’aux aspects faits divers des activités des tribunaux. « Le constat est que la couverture de l’actualité judiciaire est essentiellement dominée par le correctionnel, souligne le document de cadrage du panel. Au Sénégal, sur dix-sept quotidiens, la majorité couvre les faits. Si l’on sait que les radios et télévisions programment le contenu de leurs journaux parlés et de leurs journaux télévisés en fonction des articles de la presse du jour, l’effet domino est quasiment automatique. Or, l’essentiel des réformes judiciaires en cours concernent les procédures civiles et non pénales ». Et pourtant, ajoute encore un professionnel de la justice, presque 80 pour cent des dossiers traités par les tribunaux compétents portent sur des questions économiques.
Un gros pavé dans la mare des chroniqueurs judiciaires dont l’intérêt et l’orientation de la collecte et du traitement de l’information laissent croire qu’il n’y a que les faits divers qui donnent « croustillance » à leurs articles. Certainement qu’il faudra aux chroniqueurs opérer un recentrage et aussi une réorientation ou alors une diversification des angles de traitement et des sujets. Sans compter qu’ils doivent s’ouvrir à la formation à la maîtrise des réalités et du langage judiciaire. D’ailleurs, ce panel a été le prétexte pour l’édition d’un manuel intitulé « Justice et les mots clés - Lexique ». Et même les discussions informelles avec des magistrats ont permis de comprendre la nuance voire la différence qu’il y a entre un magistrat « debout », un autre « assis », un maître des poursuites (autre nom du procureur de la République), entre un réquisitoire (oral) et une réquisition (écrite)... Des termes que l’on rencontre souvent dans les articles sur des faits judiciaires dont certains en arrivent à prendre une notion pour l’autre.
Tout cela fait qu’il est, selon le document de cadrage, « urgent de se parler et d’interagir pour bâtir une dynamique collaborative destinée à garantir une couverture plus optimale de l’actualité judiciaire et à accompagner la nécessaire modernisation du système judiciaire sénégalais ».
Peut-être que la prise de parole du ministère de la justice à travers les procureurs pourrait faciliter le travail des journalistes. Et là, le modérateur Mame Less Camara a rappelé qu’en France où le procureur va devant les médias faire des déclarations sur un fait d’actualité judiciaire, tout a commencé avec les initiatives de ceux qu’on a appelés « les petits juges » qui prirent sur eux de communiquer sur des affaires judiciaires à eux confiés pour court-circuiter le pouvoir d’Etat ou/et d’autres pouvoirs. Et ainsi, la prise de parole par le procureur est devenue presque une « institution » en France. Il n’est pas interdit d’en rêver pour le Sénégal où la justice est très sélective sur les dossiers autour desquelles elle communique. Pensez à la traque des biens mal acquis et à son établissement d’une liste d’individus à poursuivre. Alors que d’autres susceptibles d’être traqués pour enrichissement illicite ne sont point (ou pas encore) inquiétés. Si jamais ils le seront ?
Jean Meissa Diop