La presse par les journalistes, rien que par eux
L’exemple tanzanien aurait pu ou dû venir du Sénégal ou de tout autre pays, à travers le monde, où journalistes et autorités gouvernementales veulent que le journalisme ne se pratique que par ceux qui sont formés (« sur le tas » ou à une école formelle) pour exercer cette profession. En effet, en Tanzanie, le gouvernement interdit désormais que les organes de presse recyclent en journalistes des disc-jockeys et comédiens. C’est comme si, en plus de vouloir mettre fin à l’exaspérant mélange des genres, des professions, des compétences et spécialités, les autorités étatiques tanzaniennes avaient voulu faire un clin d’œil à leurs homologues sénégalaises. « Ceux qui ne tiennent pas compte de cet avertissement se verront infliger une amende ou se verront retirer leur licence comme le stipule la loi », a déclaré la Tanzania Communications Regulatory Authority (Tcra) dans un avis publié dans le journal gouvernemental Daily News.
Un appel du pied qui aurait été bien légitime et bienfaisant, tant il y a tout dans le paysage médiatique sénégalais, vraiment tout ; ce tout-venant transformé en journalistes : un rôtisseur, un vendeur, vigiles, vendeurs d’équipements sportifs… Ne parlons même des griots – petits et grands - dont a fini par croire qu’ils sont les seuls à pouvoir parler avec pertinence et commenter des combats de lutte traditionnelle sénégalaise – avec frappe ou sans. Nous avons eu à parler, dans cette chronique, de « gilets jaunes de la presse » par allusion à ce vrai gilet jaune de France recruté par une chaîne de télévision.
La désinvolture et le laxisme avec laquelle on recrute dans la presse sénégalaise, surtout audiovisuelle, aboutit à une banalisation de la profession et fait à l’idée qu’il n’y a pas à une aptitude particulière pour être journaliste. Ceux qui font peser le sentiment de doute et de prévention sur la profession sont ceux qui y ont fait leur entrée, avec des profils des plus fantasques et, quelques fois, avec niveau d’instruction Bac -6. Exagération ou pas. Certains ont été recrutés par de respectables journalistes, parce qu’ils feraient de l’audience – sur les chaînes de radios et de télévision. Et c’est cette engeance qui échappant à ceux qui les ont cooptés, deviennent des monstres tordant le cou à l’éthique et à la déontologie du journaliste. Autrement dit, ils sont des créatures du Docteur Frankenstein. Des monstres incapables de s’interroger sur leurs propres méfaits, parce que ne suivant, sans scrupules, les intérêts illégitimes que le journalisme leur a ouverts.
Que reste-t-il à faire ? Peut-être tenir ce que le formateur en journalisme et fort respecté Mame Less Camara appela, pour d’autres circonstances, « le bal des Guinéens », une soirée où quand il y a trop de resquilleurs, on coupe la musique, met tout le monde dehors, puis on vérifie les entrées régulières.
Parions que le pas encore entré en vigueur « Nouveau code de la presse sénégalaise » va introduire cet assainissement d’une profession qui en a tant besoin. L’entrée en vigueur d’une carte d’identité des journalistes professionnels devrait être cet outil de régulation qui circonscrirait les usurpations. En effet, de toutes les professions du monde, le journalisme est une des plus usurpées. La solution devrait être conjointe, car autant, elle doit être prise par les autorités comme en Tanzanie, autant il est attendu des journalistes une collaboration franche et, peut-être, un engagement à plus de rigueur et de fermeté dans le travail de définir qui est journaliste et qui est Dj ou comédien. Il y a quelque trois à cinq ans, j’avais entendu sur une radio dakaroise un comédien professionnel se plaindre de ce que des journalistes, notamment des présentateurs de la revue de presse, viennent usurper leur art dans leur manière et manie de présenter le « Journal des journaux ». Un grief qui ne serait pas sans pertinence aux oreilles de ceux qui se navrent de ce qu’ils appellent « la théâtralisation de la revue de presse ».