‘’La leçon inoubliable de Nelson Mandela…’’
La grande voix d’Afrique, l’ambassadeur culturel du Sénégal, le roi du Yela, c’est selon, Baaba Maal a droit à toutes ces appellations. Né sur les rives du fleuve du Sénégal, le leader du ‘’Daande lenol’’ a su révolutionner le chant Pulaar et les sonorités traditionnelles avec des instruments modernes comme le clavier et la guitare électrique. Après le succès mondial obtenu en 1994 avec ‘’Firin’in Fouta’’ et le titre ‘’African Woman’’, Baaba Baydi Maal est toujours sur une pente ascendante. Il s’est entretenu avec EnQuête, jeudi soir à l’institut français Léopold Sédar Senghor de Dakar, à la fin de l’enregistrement de l’émission ‘’+ D’Afrique’’ présentée par Robert Brazza sur Canal+. Baaba Maal se prononce sur son tout nouvel opus et son engagement pour le développement du Fouta. Mais aussi sur son amitié avec la figure emblématique de la lutte contre l’apartheid Nelson Mandela.
‘’The traveller’’ est le titre de votre nouvel album sorti sur l’international. De quel voyage ou voyageur parlez-vous ?
C’est vrai que le nom renvoie au voyage. Depuis la naissance, dès qu’on vient sur terre, on y arrive comme un aventurier. On ne sait pas ce qu’on va avoir, qui on va être, qui on va rencontrer, ce qu’on va apprendre, ou ce qu’on va devenir. J’ai beaucoup voyagé, tout au long de ma carrière, notamment avec Mansour Seck, dans l’Afrique de l’Ouest. Ce qui nous a permis de glaner beaucoup d’informations par ci et par là sur la culture africaine. Après ces débuts à travers l’Afrique, j’ai découvert d’autres horizons. Sur la scène internationale, j’ai rencontré d’autres courants musicaux comme le reggae, la musique cubaine, etc. Avec mon orchestre le ‘’Dande Lenol’’, on a eu la chance de rencontrer des musiciens d’Irlande du Nord, d’Angleterre, entre autres pays. Arrivé à ce stade de ma carrière, je me suis dit qu’il me fallait mettre tout cela dans une seule boite. Quand on voyage dans un album à travers la musique, on voyage aussi dans le temps et dans les espaces que j’ai visités.
Vous parlez donc de l’humanité et de l’évolution des hommes. Pourquoi ce choix ?
L’humanité parce qu’elle est en pleine mutation. Le voyage reste le voyage. On apprend toujours des choses. Mais avant, quand on voyageait, on le faisait avec plaisir. On prenait le temps de partir, de rencontrer des gens, de voir des choses, de découvrir d’autres cultures et d’apprendre, ainsi, beaucoup de choses. C’est dur de le dire, mais maintenant, le voyage prend d’autres tournures. On voit ce qui se passe un peu partout dans le monde avec toutes ces guerres, tous ces problèmes, ces gens qui se sont déplacés, des enfants et des femmes qui souffrent.
Musicalement, quelle est sa particularité, comparé aux autres albums qui l’ont précédé ?
J’ai fait ‘’Nomad Soul’’, après ‘’Firin’in Fouta’’. Deux albums qui étaient orientés vers la musique électronique. Mais, c’est avec ‘’Télévision’’ qu’on a plus senti cette option. Donc, je peux dire que c’est ‘’Télévision’’ qui a donné le ton de ce qu’est aujourd’hui ‘’The Traveller’’. C’est avec ‘’Télévision’’, d’ailleurs, que je disais qu’il faut introduire les sons électroniques dans nos productions. Parce que, beaucoup de gens refusent que l’Afrique accède à la technologie. Alors que nous faisons partie du monde moderne. L’éducation, la santé, la technologie, toutes ces choses et ces outils modernes qui font que les gens avancent et que les pays se développent, font partie aussi de la vie des Africains. D’autre part aussi, je me suis rendu compte qu’on a, dans la musique traditionnelle, par exemple des Hal Pulaar et dans celle africaine en général, des sonorités que nos instruments ne pouvaient pas ressortir.
Parce que quand je chante à Podor, je vois l’espace derrière moi, l’écho, le bord du fleuve qui donnent une tonalité particulière à mes compositions. Seulement, tous ces bruits qui font partie de l’environnement musical que j’entends quand je fais de la musique traditionnelle ne peuvent pas être mis en boîte. Quand aujourd’hui, on joue avec du ‘’Xalam’’ ou des percussions, on ne peut pas tout faire ressortir. Donc, il fallait aller vers l’électronique pour démontrer que l’électronique aussi fait partie de la culture africaine. L’Afrique n’est pas une contrée ancienne. C’est une contrée nouvelle, moderne. Les gens disent que l’Afrique, c’est le futur. Moi, je dis que l’Afrique, c’est le présent.
Est-ce pour cela que, malgré les multiples opportunités que vous offrent l’Occident, vous rentrez toujours et resté très lié au Fouta ? Et que représente pour vous toutes les actions de développement que vous menez dans le nord du Sénégal ?
L’initiative est venue d’elle-même. Le groupe, mon orchestre, s’appelle ‘’Daandé lenol’’ qui veut dire en langue pulaar ‘’la voix du peuple’’. C’est pour cela que, partout où on nous appelle, on va jouer quand il s’agit d’actions humanitaires. Par exemple, chaque lendemain de tabaski, on joue. Parce que, depuis que le groupe existe et que les gens ont commencé à s’identifier au nom, ils se sont appropriés le concept de ‘’voix du peuple. Ils nous sollicitent souvent. Et ce sont des associations de développement qui le font la plupart du temps, car elles ont des projets et veulent utiliser notre voix pour amener les gens à connaître et accepter d’abord leur projet et à les accompagner ensuite. C’est peut-être un moyen pour récolter de l’argent et concrétiser leurs projets. Ainsi, depuis plus de vingt ans, l’orchestre ‘’Dandé lenol’’ a toujours joué au stade Amadou Barry et dans la vallée du fleuve pour des associations, des villages et non pour des promoteurs de spectacle.
Et nous avons vu bien d’actes concrets posés après ces concerts. Des salles de classes ont été construites par exemple à Aéré Lao (ndlr un village du Fouta). Des salles informatiques ont pu voir le jour également. Tout cela avec l’argent gagné au cours de prestations de ‘’Dandé Lenol’’. C’est fort de tout cela qu’on s’est rendu compte que la culture pouvait être au service du développement et c’est ce qui a donné aussi naissance à la collaboration entre Baaba Maal et le programme des Nations Unies pour le Développement (Pnud). Puis plus tard, un partenariat avec Oxfam qui nous appelé pour venir en aide aux populations démunies en 2012 qui risquaient la famine, à cause de la sécheresse. Et c’est important, parce que nous portons la culture de ce terroir. Nous nous sommes fait connaitre au Sénégal, en Afrique et dans le monde, grâce à elle. Il est de notre devoir de revenir avec quelque chose pour dire aux populations de ce terroir qui nous ont tout donné : merci. Sinon, ce serait injuste.
Qu’est-ce qui vous lie concrètement à Mansour Seck et feu Mbassou Niang ?
Mbassou a cru en Baaba Maal, alors qu’on était très jeunes. On vivait d’ailleurs encore à Podor. Quand il est arrivé à ‘’Lasli Fouta’’ qui était un genre de conservatoire traditionnel, il leur a dit qu’il y a deux jeunes qui sont restés à Podor et qui sont pétris de talent. Il faisait référence à Mansour Seck et moi-même. Il leur a assuré que, dés que nous arriverions à Dakar, tout le monde allait savoir que la musique Haal Pulaar a pris une tournure nouvelle. Et il avait raison, parce que, quand nous sommes venus à Dakar, les gens ont découvert une autre facette de la musique Haal Pulaar. Il y avait de grands musiciens dans notre communauté, mais nous sommes venus avec une nouvelle réflexion par rapport à la musique et cela a marché.
Votre rencontre avec Nelson Mandela est un des moments qui vous ont le plus marqués. Pouvez-vous revenir dessus brièvement ?
J’ai rencontré Nelson Mandela pour la première fois quand Abdou Diouf était Président. J’avais participé à un festival qui s’appelle ‘’Arts live’’ et qui se tenait à Johannesburg. J’avais en ma possession une lettre du Président Abdou Diouf que je devais remettre à Nelson Mandela. Donc, c’était une opportunité, parce que je voulais voir Nelson Mandela, depuis longtemps. C’est au cours de cette entrevue qu’une amitié entre quelqu’un qui est aussi célèbre, aussi âgé que Nelson Mandela et un jeune artiste comme moi a commencé à naitre. Plus tard, j’ai participé à plusieurs reprises à des anniversaires que l’on organisait en son honneur. J’étais également membre d’honneur de la fondation de Nelson Mandela qui lutte contre le sida et d’autres maladies sur le continent. Il a eu à nous recevoir, des artistes et moi, dans ses bureaux de l’ANC (ndlr : Congrès national africain) et nous a donné un message que je ne cesserai de répéter. Il nous a dit qu’un artiste doit être conscient que sa voix, son message, ses mots peuvent arriver là où le message des politiciens ne peut arriver.
AMINATA FAYE