Publié le 8 Dec 2012 - 09:39
BARACK OBAMA

Les contours d’une stratégie électorale postmoderne

 

 

Certes, il n’y a pas eu de liesse populaire aux alentours de la Maison Blanche comme ce fut le cas lors de la première élection de Barack Obama, le 4 novembre 2008. Il n’y a pas eu l’euphorie généralisée d’une jeunesse mobilisée pour le changement autour du candidat démocrate pour contrer les relents d’une campagne haineuse et xénophobe menée par Mitt Romney et les Républicains. Cependant, même si l ‘effervescence populaire et la dynamique entraînante de la campagne de 2008 du candidat noir n’ont pas été atteintes, celle de 2012 a transformé l’essai.

 

S’agit-il d’un tournant post-racial ou d’une étape symbolique de grande portée historique ? Dans cette fabuleuse campagne politique, on retrouve une dimension « habermassienne » de l’usage gnoséologique de la pédagogie de la communication, conçue comme une construction matérielle quand l’acteur politique est en mesure de formuler les contours pratiques d’une offre politique rationnelle moderne en phase avec les enjeux du moment. Le candidat démocrate a eu le flair et une lecture féconde des tendances fortes marquées par l’érosion du mouvement conservateur confronté à la plus grave crise économique du pays depuis la grande dépression des années trente.

 

En effet, la débâcle économique et la crise financière engendrées par les dérégulations excessives du gouvernement de George Bush ont conduit à une profonde récession qui, jusqu’à ce jour, habite la conscience collective d’une grande partie de l’électorat américain. Pour la majorité des Américains, Barack Obama qui a hérité de ce legs du gouvernement précédent en 2008, a réussi à redresser une économie poussive et rétabli ses fondamentaux qui ont permis de réduire le chômage et de donner un coup de pouce au pouvoir d’achat des classes moyennes. Les résultats des sondages à la sortie des urnes révèlent que 74% des électeurs admettent que les Etats-Unis ont subi une crise économique beaucoup plus sévère ces dix dernières années et que 57% de ces électeurs reconnaissent que la crise était tellement profonde que Barack Obama ne pouvait la résoudre définitivement en quatre ans.

 

Dès son élection en 2008, Obama et sa campagne ont réussi à inscrire plus de 1.800.000 nouveaux électeurs et plus de 1.100.000 électeurs fidélisés sur l’internet. Pendant que le Parti républicain et le mouvement conservateur du Tea Party s’acharnaient à l’affaiblir par une politique d’obstruction systématique au Congrès, Obama développait une stratégie de maillage du territoire en s’appuyant sur un réseau d’organisations communautaires et de « grassroots » sur le terrain. A l’arrivée, il devançait son adversaire de plus de 3 millions de voix et recueillait 332 votes sur les 538 que compte le collège électoral.

 

Une façon inédite de concevoir et de diriger une campagne électorale

 

Barack Obama a toujours été sous-estimé par ses rivaux, mais sa pugnacité, sa pédagogie inégalée de la communication lui ont toujours permis de prendre le dessus sur ses rivaux. Il a eu d’abord à affronter et venir à bout de la formidable machine électorale des Clinton dans le Parti démocrate lors des primaires de 2008. Il est par la suite allé à l’assaut du Parti républicain et de sa puissance financière en battant John McCain à la présidentielle de 2008.

 

Dès son élection en 2008, les Républicains ont voulu faire de son mandat un accident de l’histoire, une parenthèse qu’il fallait vite fermer. Pour eux, l’élection d’Obama ouvrait une crise de légitimité et l’obstruction systématique adoptée par les Républicains au Congrès visait à le confiner dans un immobilisme permanent. Tout y passait : le harcèlement sur sa nationalité douteuse comme quoi il serait né au Kenya, un intrus au pouvoir qui n’aurait pas « une culture américaine authentique », manquerait de « fibre patriotique » et serait enclin à prôner « une lutte des classes » divisant la société américaine là où il fallait la rassembler. Ce discours était racialement motivé par le désir subliminal d’un noyau dur conservateur pressé d’enterrer politiquement Barack Obama et de libérer l’Amérique.

 

Face à ces attaques, Obama a usé de ce mental de fer qui le rend désinhibé dans l’adversité et adopté une démarche triangulaire pour puiser des soutiens dans les franges modérées de la droite, ce qui explique son discours sécuritaire sur la lutte contre le terrorisme et l’affirmation de sa foi chrétienne, et, en même temps, ménager l’aile gauche d’un électorat radicalement opposé aux niches fiscales en faveur des classes fortunées. Cette posture triangulaire explique aussi son refus de s’enfermer dans l’étroitesse d’une candidature identitaire afro-centriste.

 

Et c’est ici que le flair politique du leader noir s’est révélé payant au cours de la campagne. Très tôt, il a défini son adversaire comme le candidat de Wall Street, des grands groupes financiers, coupé des réalités existentielles des classes moyennes et populaires. Il a ainsi conduit une campagne inédite par son organisation, et sa prolificité dans la conception des thèmes axés sur le progrès, la couverture médicale élargie à tous, la sécurité sociale, l’éducation pour tous, le renforcement de l’école publique, la baisse sensible de la fiscalité pour les classes moyennes par un système d’imposition progressif qui vise davantage à taxer les grandes fortunes.

 

Une bonne lecture des résultats du scrutin indique que les électeurs qui ont voté pour Obama ont voté contre un Mitt Romney perçu comme le candidat des nantis, insoucieux du sort des classes moyennes, plus préoccupé par les intérêts des grandes fortunes et des groupes financiers. Ils ont voté pour un Barack Obama capable de réduire les inégalités sociales et de rassembler toutes les franges de la société américaine autour de l’idéal du bien commun, de la défense des droits inaliénables des minorités, des valeurs d’équité et de justice sociale. La crise économique a été le facteur déterminant dans le vote de la majorité des électeurs, quand bien même que parmi les électeurs noirs, latino, et asiatiques, la race de Barack Obama aurait largement cristallisé les contours d’un vote identitaire.

 

Si la réélection de Barack Obama n’indique pas l’amorce d’un tournant post-racial, elle charrie des tendances vers l’émergence d’un bloc politique multiracial à partir duquel une nouvelle majorité électorale a pris corps dans le pays. Une analyse fine de la sociologie électorale américaine révèle une profonde mutation avec l’arrivée de beaucoup de jeunes en âge de voter et de minorités raciales et ethniques qui, aujourd’hui, symbolisent la génération Obama.

 

Le corps démographique de la société américaine a, dans son ensemble, connu une forte transformation structurelle. Les Latinos (14%), les Noirs (13%), les Asiatiques (4%), à elles seules, représentent plus d’un tiers de la population américaine, alors que la majorité blanche enregistre une stagnation dans son évolution démographique. D’où l’émergence d’une nouvelle majorité sociologiquement différenciée avec de fortes connotations latines, noires et asiatiques. Une étude détaillée des résultats du scrutin du 6 novembre 2012 révèle d’abord que Barack Obama a engrangé des gains substantiels chez les jeunes (69%), les Noirs (92%), les Latinos (71%), les Asiatiques (73%), les femmes (55%).

 

Bien qu’il n’ait réussi à obtenir que 39% du vote blanc, il a devancé Romney parmi les électeurs âgés entre 18 et 29 ans (60%) et entre 30 et 44 ans (52%), un fait remarquable de ce scrutin et qui présage de l’élasticité de son matelas électoral. Si on intègre la variable salariale, Obama a obtenu plus de 60% des catégories à hauteur de 50000 dollars par an qui en réalité constituent 41% de l’électorat. Ces résultats révèlent une déchirure sociologique profonde de l’électorat américain, avec une frange significative d’électeurs entre 18 et 44 ans ayant voté pour Obama, alors que le candidat républicain avait le soutien des électeurs âgés de 60 ans et plus.

 

Le décrochage du Parti républicain de l’électorat du futur

 

La défaite du Parti républicain et son décrochage de l’électorat du futur ouvrent de nouvelles perspectives vers la construction d’une large coalition pour gouverner durablement le pays. Aujourd’hui, le Parti républicain traverse une crise identitaire due à la forte influence d’une droite dure qui est parvenue à imposer ses valeurs sur l’orientation du mouvement conservateur. La défaite de Mitt Romney sanctionne sa stratégie d’hystérisation et illustre l’étroitesse et la fermeture idéologique d’un Parti républicain déréistique, coupé des franges significatives qui présentement dans leur totalité dominent l’électorat américain : les jeunes, les femmes, les Noirs, les Latinos, les Asiatiques, les Juifs, les classes moyennes et les populations urbaines.

 

Il lui faudra opérer un aggiornamento politique profond, une introspection idéologique pour sortir de son isolement. Il lui faudra concevoir des thèmes porteurs de reformes progressives, allant dans le sens de l’égalité des chances et la justice sociale, de plus d’ouverture et de tolérance à l’égard de l’immigration, dans ce pays historiquement construit à partir de l’immigration et l’esclavage. Il lui faudra défendre le droit à la différence et au respect de l’autre, procéder à un réarmement théorique de sa plateforme politique pour mieux affirmer la nécessité du retour à un Etat protecteur et réducteur des inégalités sociales dans une société américaine plus que jamais plurielle.

 

 

Dr Moustapha DIOUF

Université du Vermont, USA

 

 

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