La délibération sur 100 ha met le feu aux poudres
Des populations réunies autour de l’Imam ratib de la grande mosquée de Bokidiawé ont déchiré la feuille de délibération des 100 hectares du conseil municipal. Revendiquant la propriété des terres, elles accusent le maire d’avoir agi sans concertation et promettent un bain de sang, si l’équipe municipale ne fait pas machine arrière.
Le spectre des évènements tragiques de Fanaye est en train de planer sur la commune paisible de Bokidiawé. Une centaine de pères de famille, habitants les quartiers Bokidiawé Hal Poular et Bokidiawé Soninké, s’est montrée déterminée pour reprendre ses terres au prix fort de la vie, si nécessaire. En effet, la délibération des 100 hectares, actée par le conseil municipal en 2018, suscite un vif courroux de certaines populations.
Celles-ci décrient une décision unilatérale sur leurs biens. ‘’Ce qui se passe est que le maire veut faire une délibération de 100 hectares, sans nous en informer. Il y a eu aucune sensibilisation autour de ce projet. Je pense qu’il est impossible, pour un maire, de passer à l’action, de délibérer sans parler avec les propriétaires terriens. Il a donc pris 100 hectares, sans informer personne. En réalité, il n’a pas voulu être avec nous pour dialoguer. Il n’a pas voulu nous parler. Et ce qu’il a voulu faire, c’est de nous prendre nos terres par la force. Et c’est ce que nous refusons catégoriquement’’, affirme Bocar Kane, un des propriétaires terriens.
La surface de terres délibérée, qui se trouve entre le village de Mboloyel et celui de Bokidiawé, abrite déjà le lycée et les travaux d’autres édifices y sont en cours. Une diligence qui traduit la ferme volonté de la mairie de donner corps à sa vision. Mais elle devra composer avec la farouche détermination des populations qui crient à la spoliation de leurs terres. ‘’Nos terres, nous ne les céderons jamais. Nous ne les céderons pour aucune raison et nous sommes prêts à mourir pour retrouver nos terres’’, martèle le sexagénaire, avant d’expliquer la genèse du conflit. ‘’La première fois, il a envoyé des géomètres pour le tracé. Nous nous sommes opposés à cela. Ensuite, nous étions allés voir les autorités administratives, le sous-préfet de Ogo, en premier, puis le préfet du département de Matam et, enfin, nous avons rencontré le gouverneur de la région. A la fin de toutes ces démarches, nous avons déposé une plainte à la gendarmerie et une enquête a été faite. Mais avant que le maire ne s’attaque à nos terres, il avait délibéré en son propre nom près de 100 hectares. Mais lorsque les propriétaires de ces terres se sont soulevés et l’ont menacé, il s’est désisté et s’est tourné vers nos terres’’, dit-il.
La situation est en train de faire le lit d’un véritable cocktail explosif, puisque les individus qui se réclament comme les propriétaires de ces terres se sont radicalisés. Ils se disent irrités par l’attitude ‘’hautaine’’ du maire Khalilou Wagué. Un compromis semble même impossible. ‘’Nous n’accepterons rien en échange, pour la simple et bonne raison qu’il n’a pas voulu nous écouter, il n’a pas voulu nous parler. Parce que, pour le maire, tout s’obtient avec un rapport de force. Il impose sa volonté comme du temps de la colonisation. Son attitude hautaine est inappropriée, puisque c’est un fils du village. Il doit parler avec les gens. Il ne peut pas prétendre développer la commune sans échanger avec les populations’’, lâche M. Kane.
L’Imam préfère la mort à cette délibération
Le tissu social dans ce village où cohabitent Soninkés et Hal Pulars est au bord de l’implosion. Les marabouts, qui étaient les régulateurs sociaux, sont fortement impliqués dans cette affaire. C’est le cas de l’imam ratib de la grande mosquée de Bokidiawé, qui est loin d’approuver la démarche du maire. ‘’Depuis que Khalilou Wagué a été élu maire de cette commune, il n’a jamais été juste et équitable avec les populations. Avec lui, c’est la discrimination qui est appliquée. Il est bien généreux avec uns et moins avec les autres. Dans toutes ses démarches, il ne fait que l’usage de la force. Nous voulons prendre à témoin l’opinion que nous sommes victimes d’injustice. Nous voulons que le chef de l’Etat soit au courant de la manière injuste avec laquelle le maire de Bokidiawé traite ses populations. Nous ne reculerons pas devant son forcing. Il va devoir marcher sur nos cadavres pour parvenir à ses fins’’, déclare l’homme religieux.
Les protestataires auraient déjà vendu leurs terres
La tournure des évènements a mis le représentant du maire dans tous ses états. Selon Baba Diawara, toutes les personnes qui s’agitent dans ce dossier ne sont pas les véritables propriétaires terriens. ‘’La délibération des 100 hectares a été validée à l’unanimité par le conseil municipal, en 2018. D’ailleurs, c’est sur le site que nous avons construit le nouveau lycée de Bokidiawé. Sur les 100 hectares, nous comptons y construire le grand marché de Bokidiawé, l’Hôtel de ville et d’autres infrastructures majeures. En réalité, ce qui me frustre le plus dans cette affaire, c’est le fait de constater que la plupart de ceux-là qui font ce bruit ne sont pas des propriétaires. Ils ont tous déjà vendu leurs terres à d’autres. Alors comment vous pouvez vendre votre terre et revenir après revendiquer la propriété ? C’est une aberration’’, tonne celui préside la Commission domaniale de la commune de Bokidiawé.
Les positions se sont désormais radicalisées. La mairie compte résolument aller au bout de son projet de délibération des 100 hectares pour moderniser ‘’Boki ville’’. Mais elle devra composer avec la détermination de l’autre partie belligérante à recouvrer ses terres. L’arbitrage de l’Exécutif régional devrait intervenir bientôt, avant que la situation n’atteigne un stade de non-retour.
Il faut d’ailleurs rappeler que le chef de l’Etat avait récemment pris une mesure forte pour endiguer le phénomène du litige foncier : les délibérations de plus de 50 hectares ne peuvent être valables sans l’assentiment des gouverneurs.
DJIBRIL BA