Djilor dévoile ses mystères
Djilor, localité mythique dans le Sine, et véritable lieu de naissance de Senghor, exhale le parfum envoûtant du royaume d’enfance. Reportage.
Arrivé à Ndiosmone sur la Nationale 1, le visiteur prend la route à droite. Elle mène vers un endroit assez particulier. Le ‘‘royaume d’enfance’’ du premier président du Sénégal indépendant. Sous un soleil de plomb, le bus parcourt la « savane ». Au milieu d’un paysage jaunâtre, symbole de la saison sèche, on croise des troupeaux de ruminants par endroits à la recherche de pâturages.
Dans ce milieu quasi-désertique, les plantations d’anacarde et de manguiers surgissent comme des oasis. Après le long et difficile voyage, voilà que Djilor se découvre. Un grand village perdu au milieu de l’ancien royaume du Sine. Des palissades en tiges de mil et les cases en paille contrastent avec les bâtiments en dur. Ici, la modernité côtoie la tradition avec notamment l’accès des populations à l’eau et l’électricité.
Situé dans la région de Fatick au bord du bras de mer du delta du Sine Saloum, Djilor offre un paysage magnifique. Les principales activités de cette localité, comme toute la zone du reste, sont l’agriculture, la pêche et le tourisme.
Contrairement à beaucoup de zones touristiques, Djilor connaît un léger mieux, sauf pour les petits exploitants. Selon les acteurs sur place, les petits hôtels et les campements rencontrent quelques difficultés « Ça va mieux par rapport à l’année dernière. Mais on n’est pas toujours sorti d’affaire. Je pense que le contexte n’est pas bon pour les hôteliers. On sent qu’il n’y a pas une politique favorable pour les hôteliers ou les touristes parce que, pour les mêmes prix, les gens vont au Maroc. Et là-bas, ils ont une qualité de service trois fois meilleure que chez nous », explique Mme Bèye gérante d’un campement. Selon elle, les grands établissements par contre ne se plaignent pas.
Une visite de Djilor et de ses environs permet de mieux comprendre cette localité riche en histoire et symboles. Avant de commencer, notre guide précise que Djilor est le lieu de naissance du plus célèbre des poètes sénégalais, Léopold Sédar Senghor, contrairement à l’histoire officielle. « Senghor est né ici le 15 août 1906, mais il a été déclaré à Joal, lieu où son père avait un domicile », précise Djibril Faye. Quand il raconte l’histoire du village natal du poète, on a l’impression d’écouter un conteur émerveillé. Ici, l’animisme côtoie le christianisme et l’islam. Selon notre guide, la majeure partie des croyants, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, restent profondément ancrés dans leur croyances et pratiques animistes. « On trouve des cimetières et familles mixtes de catholiques et musulmans », lance Djibril.
A une heure de pirogue, nous voilà au village de Simal que chantait le fils de Diogoye. « Sur un rônier de Katamague, j’entends déjà les pilons de Simal », disait-il. En visitant cette zone du Sine, on découvre combien l’ombre du Président-poète continue de peser sur l’histoire de toute une région. Pour rendre hommage à l’illustre fils du terroir, des stèles sont érigées en sa mémoire. Sur chacune d’elles, l’on peut lire des extraits de ses poèmes qui parlent de ce lieu qui l’a tant inspiré.
« Joal, je me rappelle »
Au bord de l’étendue d’eau à perte de vue, se trouve une petite forêt très dense. Au milieu de ce bois sacré, entre le « puits des circoncis » où se fait l’initiation des jeunes Serères et les génies protecteurs que sont les géants fromagers, se trouve un sanctuaire islamique. À 5 mètres du bras de mer, un puits qui contient de l’eau douce et qui n’a « jamais tari depuis qu’El Hadji Oumar Foutiyou Tall a bu de son eau ». C’est lors de son passage ici qu’il a converti beaucoup d’animistes. Sa famille et ses disciples viennent encore y effectuer le pèlerinage. « Il y a des arbres protecteurs, même s’ils tombent personne, n’ose les toucher. « A Djilor, un serpent ne tue jamais une personne, et c’est connu de tout le monde », explique Djibril.
Pour clôturer notre visite, nous voilà à la maison natale de Senghor. Transformée en musée, elle garde son architecture initiale, malgré les nombreuses réfections. «Les bâtiments construits à l’époque par son père témoignent de sa descendance bourgeoise. Le fils de Diogoye Basile Senghor et de Gnilane Bakhoum est né ici et non à Joal », explique M. Diouf. Diogoye fut un riche commerçant moderne qui fréquentait les colons. A cause de ce statut dont il usait et abusait, il faisait peur à Djilor. Marié à 5 femmes, il avait 41 enfants. Dans son poème intitulé « Le retour de l’enfant prodigue », Senghor écrivait : « Vive la faillite du commerçant. (…) Je brûle le séco, la pyramide d’arachides dominant le pays. » Ces vers, selon le guide en éco-tourisme, sont la preuve de sa révolte contre les pratiques de son père qui abusait de sa puissance. Après cette visite au royaume senghorien, on peut dire que ce n’est pas par hasard que l’homme de culture est devenu poète. Le célèbre vers : « Joal, je me rappelle » aurait pu être, Djiolor je me rappelle. »
Abdourahim Barry (Stagiaire) envoyé spécial