Publié le 23 Jul 2020 - 03:27
CONSEQUENCES DE L’INTERDICTION DE L’ILE AUX TOURISTES ET AUX VISITEURS

Gorée paye sa santé au prix fort 

 

Si le coronavirus n’a pas encore posé ses valises à Gorée, il y a tué plus 95 % des activités génératrices de revenus. Dans la dignité et le confinement, l’île-mémoire, patrimoine mondial de l’humanité, vit la pire crise économique de son histoire.   

 

La plage bondée, caractéristique des étés goréens, n’est plus qu’un souvenir qui a laissé place au spectacle d’un littoral quasi vide. La petite dizaine de baigneurs qui profitent de la douceur de l’eau, n’est constituée que d’enfants insouciants à la morosité qui règne sur l’île depuis quelque temps. La traversée menant à Gorée, dans une chaloupe transportant moins d’une trentaine de personnes, renseignait déjà sur les conséquences de l’interdiction de l’île aux visiteurs. Une fois sur place, le silence perturbé par le bruit des vagues qui échouent sur le rivage, est pratiquement le seul rescapé de l’ambiance d’antan. 

Pour se protéger de la pandémie du coronavirus, les Goréens ont casqué fort. ‘’Il y a eu un cas suspect sur le bateau ‘Aline Sitoé Diatta’ (ferry assurant la liaison maritime entre Dakar et Ziguinchor). Aussi, un agent de la liaison maritime Dakar - Gorée (LMDG) habitant dans la banlieue dakaroise, a été infecté. Suite à ces deux événements, l’accès à l’île a été interdit à toute personne n’y résidant pas’’, explique Mamadu Adama Diop, chef de cabinet du maire.

En effet, le 15 mars 2020, un arrêté ministériel a suspendu les visites à Gorée. Mais pour une île dont plus de 70 % des habitants vivent d’activités en relation avec le tourisme, c’est toute l’économie locale que ce cas de force majeure a mis à terre.  

A Gorée, l’on s’active principalement dans l’hôtellerie, la restauration et la vente d’objets d’art. Avant la crise, l’île historique recevait entre 3 000 à 4 000 personnes par jour. Autant de clients potentiels dont les acteurs économiques ont dû se priver depuis 4 mois. Un manque à gagner colossal dont Oumar Sy, Secrétaire général de l’Association des restaurateurs de Gorée, fait part : ‘’Nous vivons des situations très difficiles, depuis la fermeture de l’île aux étrangers. Tous les restaurants sont fermés, car ils dépendent de la clientèle extérieure. Au plan économique, nous sommes le site le plus touché du Sénégal et peut-être même dans le monde.’’

‘’Nous sommes le site le plus touché du Sénégal et peut-être même dans le monde’’

Détenteur de deux restaurants et d’une maison d’hôtes, Omar fait travailler 26 employés pour lesquels il essaye de maintenir un revenu minimum. En chômage technique depuis le début de la crise, ses salariés gardent encore 70 % de leurs revenus. Un effort auquel il consent, en espérant une aide du gouvernement et des autorités communales. ‘’On essaye de faire face à nos charges fixes. Mais je veux d’abord venir en aide, autant que possible, à mes employés qui sont, pour la plupart, des Goréens comme moi’’, souffle-t-il.     

Toutes les activités productrices de revenus sont à l’arrêt sur l’île. Ce qui implique le tourisme d’affaires et local, l’organisation de forums et de rencontres. Cette situation est aussi durement ressentie par Lucie Manga, gestionnaire de l’hôtel municipale La porte du retour. ‘’Il n’y a plus de clientèle, assure-t-elle. Nous avions des mois remplis de réservations, mais tout a été annulé, avec l’arrivée de la pandémie. La situation actuelle nous fait perdre beaucoup d’argent. Nous avons dû nous séparer d’une partie de notre personnel. Depuis 4 mois, nous puisons dans nos réserves pour assurer les salaires de ceux qui disposaient d’un contrat longue durée, puisqu’il n’y a plus de rentrée d’argent’’. Le moment est habituellement une période faste pour les trois hôtels que compte l’île-mémoire. Même si la saison touristique est terminée, les vacanciers sénégalais en provenance de l’extérieur occupaient les lieux.

Aucun secteur n’est épargné par les conséquences de la crise sanitaire. La chanson est la même partout. Chez les vendeurs d’objets d’art, Adja Fatou Sall raconte que c’est en pleine foire sur l’artisanat, prévue sur deux mois, que la pandémie est arrivée : ‘’Nous avons dû tout arrêter au bout d’un mois. La marchandise que nous avions achetée nous est restée sur les bras. Et depuis lors, nous n’avons plus aucune activité.’’

La trésorière de l’Association des marchands et artisans de Gorée (AMAG) laisse paraitre toute son amertume, en révélant qu’avec le ‘’confinement’’ de Gorée, son manque à gagner sur ces 4 mois peut être estimé à 2 millions de francs CFA. Et le plus dur est que personne ne sait quand est-ce que cette situation va s’améliorer.

La seule commune du Sénégal qui n’a pas de cas de coronavirus

Alors le jeu en valait-il la peine ? Tous les insulaires sont convaincus que oui. Gorée est encore la seule commune du Sénégal qui n’a pas connu de cas confirmé de coronavirus. Une prouesse qui ne doit pas grand-chose au hasard. Aux premiers jours de l’arrivée de la Covid-19 au Sénégal, une commission de volontaires, accompagnée du maire, a procédé à des séances de sensibilisation par des visites à domicile, chez les 300 familles que compte l’île. La frontière naturelle aidant, le contrôle de l’accès à Gorée n’était pas très difficile. La mairie a placé deux agents à l’embarcadère, au niveau de la LMDG, pour filtrer les visiteurs. Si l’on ne dispose pas d’une carte d’insulaire, il faut une autorisation pour acheter un ticket à l’embarcadère. 

Pour les Goréens de retour de l’étranger, un confinement de 15 jours à Dakar est exigé avant de rentrer dans l’île. Même les insulaires qui n’ont pas respecté la recommandation de ne pas participer aux éditions 2020 des grands rassemblements religieux ont été confinés sur le continent avant de revenir.

‘’Les habitants se sont engagés à protéger Gorée’’, témoigne le chef de cabinet du maire. Mamadu Diop se rappelle le premier jour de sensibilisation : ‘’Un habitant nous a donné de l’argent, en proposant que chaque Goréen cotise pour mettre quelque chose de côté. Une cellule de crise a été montée et la communauté goréenne de la diaspora a été mise à contribution. Depuis lors, nous avons acheté des kits alimentaires, des masques, du gel hydro-alcoolique, des médicaments, etc.’’ 

En effet, la municipalité n’a pas attendu l’aide alimentaire accordée par le président de la République, dans le cadre de la lutte contre le coronavirus, pour se mobiliser. Bien qu’elle ait reçu sa part pour ses citoyens, elle a procédé à 5 autres distributions de kits alimentaires. ‘’Nous sommes obligés de le faire, parce que Gorée n’a aucune activité industrielle. Tout repose sur le tourisme’’, justifie le jeune directeur du centre socio-culturel de l’île.  

Si Gorée peut se permettre de rester digne, elle le doit, en grande partie, à sa municipalité dirigée par Augustin Senghor. Son apport a été magnifié par Adja Fatou Sall, qui confirme l’octroi régulier d’une ration de la mairie qui permet à la population de tenir. Cependant, note-t-elle, ‘’il y a de gros problèmes de liquidité. Parfois, il faut payer le gaz, l’électricité, etc. Nous ne travaillons pas pour avoir de quoi assurer cela’’. 

Une discrimination positive pour Gorée réclamée

Sur le plan de la résilience économique et sociale destinée à faire face aux conséquences de la propagation de la Covid-19 au Sénégal, 77 milliards de francs CFA ont été réservés au secteur du tourisme et des transports aériens. Quinze milliards sont alloués au crédit hôtelier. Cet apport est désespérément attendu par les acteurs touristiques de l’île, à l’image du secrétaire général de l’Association des restaurateurs de Gorée. Mais pas que ! ‘’Nous avons été soutenus par la municipalité dans les démarches pour constituer un dossier afin de demander une aide du programme au niveau du ministère du Tourisme, confie Omar Sy. Mais nous appelons le chef de l’Etat à faire quelque chose de particulier pour Gorée’’. Depuis de début du mois de juin, la réouverture des restaurants a été autorisée, mais Gorée n’est pas encore concernée. Et pour beaucoup d’établissements, il faudra réfectionner avant de rouvrir, car l’érosion a fait quelques dégâts. 

Au niveau des hôteliers, non plus, les aides du gouvernement n’ont pas encore été reçues. Aucun plan de réouverture n’a été défini. Une des nombreuses raisons qui pousse Mamadu Diop à demander à l’Etat une discrimination positive pour recouvrir un peu des recettes perdues avec l’arrêt des visites sur l’île. Avec la levée des mesures restrictives sur les transports et la reprise des vols internationaux à l’aéroport international Blaise Diagne, les autorités réfléchissent sur la meilleure formule pour une réouverture de l’île. Et pour le chef de cabinet du maire, ce sera l’occasion de trouver des solutions innovantes, comme le e-Ticketing, pour éviter le plus possible les rassemblements.

Toutefois, à Gorée, personne n’est pressé de rouvrir l’île aux visiteurs, dans un contexte de hausse des contaminations au Sénégal. La configuration géographique fait craindre le pire, si une épidémie venait à s’y répandre. ‘’Nous aurions beaucoup de mal à traiter des malades, les évacuer sur Dakar, etc., alerte Lucie Manga. Une préoccupation qu’elle partage avec la plupart des insulaires qui ne cessent de rappeler que la santé reste prioritaire sur les préoccupations économiques.   

Mais au-delà de tout cela, il faudra tirer des leçons de l’impact de la pandémie sur l’île. ‘’La première sera de repenser un modèle économique qui ne se basera plus simplement sur le tourisme. Soixante-dix pour cent des acteurs de l’économie de l’île n’y habitent pas. Au fort de la crise, ils sont tous partis et c’est nous les insulaires qui assurons la riposte pour tenir le coup’’, alerte Mamadu. Un des moyens serait déjà d’avoir plus d’insulaires dans le personnel de la LMDG.

Lamine Diouf

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